Dès demain, les « dossiers médicaux personnels » deviendront officiellement des « dossiers médicaux partagés ». Le gouvernement a publié au Journal officiel de ce matin le décret permettant la mise en place de cette sorte de carnet de santé consultable en ligne, tel que revu par la loi sur la santé du 26 janvier 2016.
« Le dossier médical partagé ne se substitue pas au dossier que tient chaque établissement de santé ou chaque professionnel de santé, quel que soit son mode d'exercice, dans le cadre de la prise en charge d'un patient », précise d’entrée le décret d’application de l’article 96 de la récente loi Touraine sur la santé. Et pour cause, le nouveau « DMP » est avant tout destiné à améliorer le suivi des patients entre médecins. Chaque dossier a notamment vocation à contenir :
- Des informations sur l'état des vaccinations, les synthèses médicales, les fameuses « lettres de liaison » entre médecins, les comptes rendus de biologie médicale, d'examens d'imagerie médicale, d'actes diagnostiques et thérapeutiques...
- Des données relatives à la dispensation de médicaments, telles qu’issues du dossier pharmaceutique.
- Des consignes du titulaire en cas de situation grave ou de décès (sur le don d’organes ou de tissus, le nom et les coordonnées de sa personne de confiance...).
L’ensemble de ces informations sera accessible gratuitement depuis un site Internet (a priori « dmp.gouv.fr »), à la fois par les professionnels de santé et les patients ayant choisi d'avoir un DMP, puisque cet outil continuera d'être proposé aux seules personnes intéressées.
Un véritable « carnet de santé numérique »
Tout bénéficiaire de l’assurance maladie pourra en créer un compte, ou demander à ce qu’on lui en créée un (auprès d’un professionnel de santé ou lors d’un passage en laboratoire par exemple). « La création du dossier médical partagé nécessite le consentement exprès et éclairé du bénéficiaire », indique le décret. Ce dernier précise d’ailleurs que l’accord du patient pourra être recueilli « par tout moyen, y compris de façon dématérialisée » – ce qui n’est pas possible aujourd’hui. Le patient devra dans tous les cas être informé des finalités du dossier médical partagé ainsi que de ses modalités de création, de paramétrage, de clôture et de destruction.
Par principe, le médecin traitant disposera d’un accès complet aux informations contenues dans les DMP de ses patients. Chaque titulaire d’un dossier médical partagé pourra en revanche en interdire l’accès à certains professionnels de santé (autres que son docteur habituel) : dentiste, infirmière, allergologue...
« Lorsqu'un professionnel de santé estime qu'une information sur l'état de santé versée dans le dossier médical partagé ne doit pas être portée à la connaissance du patient sans accompagnement, il peut rendre cette information provisoirement inaccessible au titulaire du dossier en attendant qu'elle soit délivrée à ce dernier par un professionnel de santé lors d'une consultation d'annonce », poursuit le décret. Si cette consultation d’annonce n’a pas eu lieu sous deux semaines, « le patient est informé par tout moyen y compris dématérialisé d'une mise à jour de son dossier médical partagé, l'invitant à consulter un professionnel de santé, notamment son médecin traitant, pour en prendre connaissance ». Si ce n’est toujours pas le cas au bout d’un mois, l’information en question deviendra « automatiquement accessible » au patient.
Suivi des accès et avertissements en cas d’utilisations frauduleuses
Il est d’autre part prévu que toutes les actions réalisées sur le DMP soient « tracées et conservées dans le dossier médical partagé, et notamment la date, l'heure, et l'identité de la personne qui a créé ou modifié le dossier médical partagé ». Cet historique sera accessible au titulaire du DMP comme aux professionnels de santé.
Autre chose : la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), à qui est confié la gestion des DMP, devra avertir le patient dont le dossier aura fait l’objet d’un piratage. « Lorsqu'elle constate ou est informée d'une situation ou d'un événement révélant un dysfonctionnement grave ou une utilisation frauduleuse », détaille le décret, l’institution devra en informer « sans délai » le titulaire du DMP et les professionnels de santé concernés, tout en prenant « toutes les mesures conservatoires nécessaires ».
Afin d’éviter que les données de santé de millions de Français se retrouvent dans la nature, la CNAMTS est logiquement tenue de respecter les référentiels édictés par l’administration, et plus particulièrement le référentiel général de sécurité de l’ANSSI.
Enfin, en cas de décès ou sur demande du patient, le DMP sera clôturé. À compter de cette fermeture, le dossier médical partagé sera archivé. « Il reste néanmoins accessible pour tout recours gracieux ou contentieux », ajoute le décret. En l'absence d'accès postérieur, l’administration procèdera à une destruction au bout de dix ans.
Une transition imminente
Dès le 6 juillet, jour d’entrée en vigueur de ce décret, tous les dossiers médicaux personnels deviendront des dossiers médicaux partagés (on en compte 585 000 à ce jour). Ils seront donc régis par ces nouvelles règles. Une phase de transition de plusieurs mois pourrait toutefois s’enclencher, afin par exemple que les patients puissent créer par eux-mêmes un DMP par voie dématérialisée, ce qui n’est pas encore possible aujourd’hui.
Ce dossier devrait en tout cas être suivi de près par la Cour des comptes, qui avait dénoncé en 2013 la gestion guère reluisante du DMP. « Le coût total de développement du dossier médical personnel a été d’au moins 210 M€ entre la loi de 2004 l’ayant instauré et fin 2011 », regrettaient notamment les magistrats, pour – à l’époque – environ 260 000 dossiers créées. L’absence « particulièrement anormale de stratégie » des pouvoirs publics était vivement pointée du doigt, de même que le « grave défaut de continuité de méthode dans la mise en œuvre d’un outil annoncé comme essentiel à la réussite de profondes réformes structurelles ».