Voilà quelques jours, OpinionWay et la société Coppernic ont dévoilé un sondage sur le ressenti des Français quant à la multiplication des contrôles dans leur quotidien. Les résultats, parfois contrastés, épinglent les géants du Net, tout en offrant un joli champ politique pour les partisans de la surveillance.
Selon cette étude réalisée fin mai auprès d’un échantillon représentatif de plus de 1 000 personnes, 56 % d’entre-elles ont le sentiment de vivre dans une société de contrôle. De nombreux dispositifs intrusifs recueillent néanmoins une bonne opinion dans le panel.
C’est le cas des portiques de sécurité dans les aéroports (90 %), dans les magasins (88 %) les bornes dans les bus (88 %). Dans le secteur des nouvelles technologies, cette impression positive profite également aux codes PIN (82 %), aux caméras de surveillance (80 %), aux capteurs d’empreintes digitales (76 %), et même à la géolocalisation et aux objets connectés (respectivement 58 et 57 %).
C’est bien simple : sur les 12 testés, 10 dispositifs bénéficient finalement d’un tel accueil. Au fond de la classe, les radars routiers (45 %) et les opens spaces (43 %) sont les seuls à avoir une majorité d’opinion défavorables.
Présenter les gains du contrôle pour le faire accepter
Toujours selon ce sondage, les Français seraient finalement prêts à sacrifier leur liberté pour plus de sécurité. « Ils sont en mesure d’accepter davantage de contrôle si on leur présente ces mesures comme un gain de sécurité, de justice ou d’égalité entre les citoyens » a exposé OpinionWay lors d’une présentation à laquelle nous participions. À une très large majorité, ainsi, ces personnes considèrent qu’être contrôlé « n’est pas un problème si on n’a rien à se reprocher ». Une formule bien entendu fragile, mais classique en la matière.
Dans le détail, le contrôle a pour but de protéger les citoyens, pousser à respecter les obligations et à favoriser « le bien vivre » en société. Pour autant, chez 49 % des personnes, le fait d’être contrôlé constitue un flicage, rend méfiant (48 %), voire empiète sur la vie privée (46 %) et constitue une atteinte aux libertés individuelles (43 %).
En somme, il y a une certaine contradiction, ou plus exactement, les Français ont le sentiment de vivre dans une société de contrôle, sans être toutefois réfractaires à de telles intrusions. « Ils perçoivent davantage les bénéfices que les inconvénients, poursuit OpinionWay, spécialiste en sondages politiques et études marketing. C’est un jugement qui se fonde sur l’utilité pratique et pragmatique, traduisant aussi une incorporation sociale de l’idée du contrôle ». Il y a en tout cas une rupture profonde avec le passé où la sensibilité des Français était nettement plus à fleur de peau.
Un sentiment de contrôle excessif par les grands acteurs du Net
Fait notable, le sentiment de contrôle excessif n’existe qu’à l'égard de quatre acteurs seulement : les « grandes entreprises de l’internet », les services fiscaux, les opérateurs télécom et les réseaux sociaux.
Le secteur des nouvelles technologies est donc surreprésenté dans cette sorte de liste noire. Un enseignement précieux à destination des cellules marketing des GAFA pour redorer l’image de leur bastion. Selon Mathieu Zagrodzki, chercheur en science politique au CESDIP et spécialiste de la sécurité, ces résultats s’expliquent en tout cas parce qu’avec le délitement des solidarités et de la cellule familiale, les personnes se sentent finalement « impuissantes face à ces acteurs globalisés ».
Ces chiffres sont aussi le fruit d’un contexte très particulier en France. Celui des attentats, de la menace terroriste, des discours sécuritaires dans lesquels souvent d’ailleurs, les acteurs du Net ont été systématiquement brocardés.
Ce ressenti n’est d'ailleurs pas en harmonie avec la réalité des possibilités offertes par les textes. La loi Renseignement et celle sur la surveillance des communications électroniques internationales, adoptées l’an passé, ont justement démultiplié les pouvoirs des services spécialisés sur le terreau des nouvelles technologies. Ils peuvent par exemple accéder à l’ensemble des données de connexion d’un groupe potentiellement important de personnes, aussi bien pour prévenir des infractions terroristes que pour défendre les intérêts économiques ou anticiper des mouvements sociaux violents.
« La résistance tombe avec l’effet d’habitude »
Ce type de sondage en France reste intéressant d’après Mathieu Zagrodzki, « car on est un peu dans un angle mort de l'étude des sciences sociales. Il faudrait néanmoins qu’il soit reproduit pour voir dans quelle mesure les évènements qui font l'histoire impactent la demande de sécurité des populations ». Outre le contexte des attentats, il y a aussi tout un faisceau de raisons pour expliquer ces chiffres. Le chercheur en science politique égraine notamment un phénomène d’accoutumance puisque « la résistance tombe avec l’effet d’habitude ». Et celui-ci de citer en exemple la vidéoprotection dans les rues, qui a profité de longue date d’un « fort effort de persuasion à l’égard des administrés ».
En tout état de cause, ces résultats montrent combien est grande l’autoroute pour le gouvernement dès lors qu’il s’agit de faire adopter un nouveau texte sécuritaire en France. L'espace politique est mûr dès lors que l’opinion est correctement sensibilisée à une menace, selon un timing aux petits oignons.
Dans cette France marquée au fer rouge par les attentats, l'image des gendarmes, policiers et des douaniers est toujours très positive (plus de 85 % d’opinion favorable). « Les violences policières n’ont pas eu autant d’écho dans l’opinion public que l’on croit » constate en ce sens OpinionWay. Finalement, seuls les agents du fisc et surtout les huissiers ne profitent pas d’un tel plébiscite.