Bloqueurs de pubs : Les Échos généralise son dispositif, le GESTE se prépare pour la rentrée

Le vent se lève
Internet 11 min
Bloqueurs de pubs : Les Échos généralise son dispositif, le GESTE se prépare pour la rentrée

Les Échos vient de renforcer son dispositif veillant à s'opposer aux bloqueurs de publicités. En test sur une partie de l'audience depuis février, il est désormais généralisé. De son côté, le GESTE réfléchit à une seconde vague de blocages pour la rentrée, sur fond de remise en question des pratiques des éditeurs.

Fin février, le quotidien économique Les Échos annonçait mettre en place un dispositif afin de bloquer l'accès à son site pour les internautes qui utilisent un bloqueur de publicité. Ceux-ci avaient deux alternatives : placer le site en liste blanche ou s'abonner à une offre contenant un mode de lecture Zen.

Une initiative isolée qui fait suite à des précédents en Allemagne ou aux États-Unis, mais qui montre que la situation préoccupe chez nous. Voici avait ainsi décidé de bloquer aussi l'accès à ceux qui n'affichent pas la publicité, mais en utilisant un dispositif plutôt spécial, exploitant une extension basée sur le code d'Adblock Plus.

Fin mars, c'était au tour des membres du GESTE (Groupement des éditeurs de contenus et services en ligne) de mettre en place des contre-mesures de manière généralisée et plus ou moins coordonnée. L'opération avait été jugée comme une réussite, puisque « l’audience adblockée a diminué de 11 % à 20 %, selon les catégories de sites » selon une publication du groupement d'éditeurs. 

L'initiative du GESTE pourrait connaître une suite à la rentrée

Dans le détail, certains s'en tiraient mieux que d'autres. Cela pouvait dépendre du contenu et du public du site, mais aussi de la stratégie mise en place. Ainsi, L'Équipe avait par exemple proposé un mois d'abonnement offert à ceux qui plaçaient le site en liste blanche, de quoi diviser par deux le nombre de concernés et faire grimper le nombre d'abonnés d'un bon tiers selon les responsables du site, qui s'était confié au JDN... Au moins pour un temps.

Car depuis, on entend assez peu les sites concernés sur le sujet. Aucun ne semble avoir remis en place son dispositif arrêté au bout d'une semaine, même les simples alertes, excepté Metronews (Groupe TF1). Il faut dire que cette opération n'était qu'un test prévu pour être temporaire, sur une période d'une semaine environ. L'actualité tragique de l'époque et la perte d'une partie de l'audience devant le message affiché par les différents sites ont, semble-t-il, aussi joué dans la décision de ne pas continuer en attendant de faire le point.

Chacun a donc analysé ses chiffres et ses pratiques, le GESTE a de son côté organisé une première réunion technique le 18 mai dernier. De quoi permettre à chacun d'échanger sur la question et de peaufiner son dispositif, en vue d'une nouvelle action qui pourrait avoir lieu à la rentrée, probablement pour un mois. Mais rien n'est encore définitivement arrêté.

« La plupart des éditeurs vont tenir compte des enseignements de la première vague en particulier les bonnes pratiques sur le plan technique ou de communication. La plupart vont surtout veiller à pouvoir mesurer l'impact de l'opération. Lors de la première vague tout le monde n'avait pas la capacité technique de le faire et la durée était souvent trop courte pour tirer des conclusions définitives » précise Emmanuel Parody, secrétaire général du GESTE.

Le consensus ne semble toujours pas de la partie chez les éditeurs qui ont chacun leur modèle, leurs objectifs et leur approche, bien que tout le monde sache qu'il faut agir sur la question : « Il n'est pas sûr que tous les éditeurs participent, mais pour le moment la volonté générale est plutôt largement positive sur le sujet ».

La difficile remise en question des éditeurs

Le vrai débat est effectivement ailleurs : sur l'évolution des pratiques publicitaires. Lors de la première vague, nous avions constaté que si les éditeurs avaient bien assimilé qu'il fallait chercher à faire comprendre la question du financement de l'information aux lecteurs, rares étaient ceux qui avaient assimilé qu'ils étaient en partie à l'origine du problème.

Certains ont néanmoins commencé à faire des efforts et à revoir leurs contrats ainsi que les formats qu'ils acceptent de diffuser. Multiplication des trackers, superposition des campagnes, son et lecture automatiques, gêne lorsqu'il s'agit de simplement lire un article, sont en effet autant de sources d'installation des bloqueurs de publicité, plus que les questions relatives aux données et à la vie privée.

L'IAB France diffusait début mars le résultat d'une étude IPSOS qui indiquait que 30 % des internautes déclaraient être équipés d'un bloqueur de publicité. 55 % disaient connaître ce genre d'outils, avec une répartition forte en fonction de l'âge dans les deux cas : 20 % et 40% pour les 60 ans et plus, 53 % et 79 % pour les 16/24 ans :

Etude IAB Adblock FranceEtude IAB Adblock France

85 % des utilisateurs indiquaient avoir sauté le pas en raison d'une perturbation de la navigation et parce que la publicité en ligne est devenue trop énervante (71 %), présente (66 %) et répétitive (61 %). La dimension sociale n'est d'ailleurs pas à exclure puisque près de la moitié des installations ont été effectuées par un proche (amis, famille, etc.).

Parmi les solutions testées par l'IAB au sein de l'étude, le fait d'utiliser moins de formats par page et de répétitions des mêmes publicités semble remporter un certain succès (56 %). Et ce, alors que près de deux tiers des personnes interrogées indiquaient qu'une publicité est acceptable lorsqu'elle n'interfère pas avec la navigation, se ferme facilement et ne force pas la vue avant l'accès au contenu.

Le marché de la publicité toujours en phase « alcooliques anonymes »

Un constat largement partagé par l'industrie, alors que l'IAB a mis en place deux programmes D.E.A.L. et L.E.A.N. et promet une charte pour les semaines à venir. Son Président, Randall Rothenberg rappelait ainsi dans sa keynote d'ouverture des rencontres de l'UDECAM à propos des problématiques autour des malwares et des temps de chargement trop important que « les consommateurs ont raison, la peur des virus est peut être exagérée, mais elle est rationnelle. Et le les pages qui se chargent trop lentement sont un vrai problème ».

Mais dans la pratique, rien n'est simple. Participer à la réunion de présentation des résultats de l'étude de l'IAB France était d'ailleurs un moment intéressant à analyser car tout le monde était d'accord sur le fond : il faut agir, il faut faire mieux, sous peine de voir tout le marché se faire emporter. Mais au moment d'évoquer des décisions ou de passer à la pratique, on ne sentait plus vraiment le même enthousiasme.

« J'ai l'impression que l'on est à une réunion des alcooliques anonymes » avait tenté l'un des intervenants, provoquant les rires de la salle. Une phrase qui sonne encore, quelques mois plus tard, assez juste. Et les acteurs ont autant de mal à dessaouler qu'à se défaire de leur addiction. Ce qui est rendu d'autant plus complexe que la chaîne alimentaire de la publicité est composée d'une multitude d'intervenants qui ne veulent pas voir leur part du gâteau disparaître dans le grand nettoyage que tout le monde appelle de ses vœux.

Emmanuel Parody se veut néanmoins assez confiant sur la dynamique en cours : « Sur la question des formats les éditeurs font le ménage dans leur inventaire et il y a des discussions engagées individuellement pour réduire la part de certains formats intrusifs. » Pour autant, il semble conscient qu'une grande part du chemin reste à faire, et que certains ne jouent pas encore le jeu. « Les annonceurs de certains secteurs, ou les agences qui les conseillent, ne sont pas toujours prêts à modifier leurs habitudes. C'est un point qui prendra du temps. C'est toute la chaîne de valeur de l'écosystème publicitaire qui doit se saisir de la question » concède-t-il.

Un constat toujours partagé par le président de l'UDA, Pierre-Jean Bozo, qui a toujours la dent assez dure avec les éditeurs. Dans un entretien accordé le mois dernier au Nouvel économiste, il prévient :

« ils s’enferment dans une spirale infernale, car moins ils résoudront ce problème grâce à de la publicité responsable, plus ils vont créer du rejet de la pub intempestive et de la perte de la confiance de la part des mobinautes [...] nous avions prédit cet échec dès octobre dernier. Nos amis britanniques et allemands ont déjà essuyé des échecs. Le Guardian a bien essayé de faire la pédagogie, mais cela n’a pas marché.

Si on essaie le juridique ou le pédagogique, cela échoue. La solution ? Respecter le consommateur : quand il ne veut pas de pub, il faut lui permettre de ne pas en avoir de pub. [...] je ne comprends pas leur entêtement à ne pas se mettre à la place du citoyen internaute ou mobinaute. Ce “rejet” de la relation, qui monte avec les tranches d’âges, entre le consommateur-citoyen et le média, nous pose un vrai problème, car on peut projeter un avenir exponentiel de l’utilisation d’adblockers. »

Mais en attendant que ceux qui continuent de s'opposer à de meilleures pratiques publicitaires, les bloqueurs continuent de gagner du terrain. Et même si des alternatives payantes sans publicité comme FairPay, Newsily, Flattr Plus, SQWeb ou encore Articly sont en train d'émerger, et que les kiosques numériques comme ePresse et LeKiosk revoient leur modèle face à l'émergence de solutions « convergentes » comme SFR Presse, aucun n'est encore de taille pour réellement se poser en rempart face aux bloqueurs.

Plus de blocages, mais un abonnement Premium mis en avant chez L'Équipe

Les éditeurs continuent de revoir les choses à leur manière. Pour le moment, L'Équipe semble miser surtout sur son offre Premium et son contenu exclusif. Ainsi, si les vidéos ou les contenus ne sont plus bloqués à ceux qui utilisent un bloqueur, nous n'avons pas pu obtenir de chiffres concernant le nombres d'abonnés restant suite à l'opération du GESTE. Mais de nombreux articles sont marqués d'un « É » rouge qui signifie qu'ils sont limités aux membres Premium. Une offre d'essai de 7 jours est proposée, avant un passage à 11,99 euros par mois.

Cet abonnement permet de disposer du journal en version numérique, du magazine dès le vendredi et de consulter un site avec une ergonomie spécifique, sans publicité. Ceux qui ne veulent pas se retrouver lié par un abonnement ont aussi la possibilité d'acheter les articles à l'unité (0,99 euro) ou par pack de dix (3,99 euros). Un modèle qui semble à la fois complet, équitable et abordable.

L'Equipe Premium

Metered Paywall et dispositif anti-bloqueurs pour Les Échos

À l'opposé, on retrouve donc Les Échos, qui a décidé de généraliser son bloqueur de bloqueurs de publicités au sein de son nouveau site. Son fonctionnement est assez simple : si un blocage est détecté, une partie du contenu disparaît via une fonction JavaScript et se voit remplacée par un message qui laisse deux possibilités, ajouter le site sur liste blanche ou s'abonner à tarif « réduit ».

En réalité, la remise de 50 % affichée est aussi appliquée à l'offre d'abonnement proposé à tous, et fait tomber le tarif de l'offre numérique à « seulement » 16 euros par mois, contre 25 euros pour l'offre permettant de recevoir le quotidien papier, le magazine hebdomadaire et le mensuel.

Dans les deux cas, le lecteur aura accès à un mode « lecture zen » avec une publicité limitée, sans que l'on sache quels sont les formats concernés. Le site n'a d'ailleurs toujours pas revu ses pratiques publicitaires puisque, lors de nos tests de ce matin, nous avons relevé sur un même article 116 cookies tiers et 46 trackers (jusqu'à 58 sur certains relevés) sur une première visite, ce qui diffère assez peu de nos précédentes analyses.

Les Echos Publicité Juin 2016

Pour rappel, Les Échos incitait déjà à l'abonnement les lecteurs qui affichent la publicité, qui n'ont accès qu'à huit articles gratuits (metered paywall) par mois et par navigateur (l'information étant stockée via des cookies). Un dispositif qui n'est pas courant dans la presse française, bien que récemment adopté par Libération (7 visites par mois).

Selon CBNews, cette décision fait suite au succès de l'application de ce dispositif sur une partie de l'audience : « 20 % de l’audience ciblée a accepté de désactiver leur adblock pour lire des articles », mais sans impact négatif sur l'audience. Il sera intéressant de voir quel sera le bilan de cette généralisation d'ici la rentrée et quelle direction prendront les éditeurs d'ici la fin de l'année afin de pérenniser leurs modèles.

Notre dossier sur les kiosques de presse en ligne :

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