Ce week-end, le ministère de la Justice a publié un arrêté permettant l’installation d’un système de vidéosurveillance dans les cellules de détention. Un texte qui a été préalablement examiné par la CNIL, non sans critiques.
Cet arrêté autorise l’installation par la direction de l'administration pénitentiaire d’un système de « vidéoprotection de cellules de détention » dans les prisons. Mis en œuvre qu’à titre exceptionnel, il a pour finalité le contrôle de personnes placées en détention « faisant l'objet d'une mesure d'isolement » et « dont l'évasion ou le suicide pourraient avoir un impact important sur l'ordre public eu égard aux circonstances particulières à l'origine de leur incarcération et l'impact de celles-ci sur l'opinion publique ».
Ces traitements automatisés existent déjà dans « les cellules de protection d'urgence », ils sont étendus ici pour celles placées en détention provisoire et faisant l'objet d'un mandat de dépôt criminel. L’arrêté prévoit que la personne concernée sera alertée de cette mesure décidée par le garde des Sceaux. La décision porte en principe sur une durée de trois mois, renouvelable sans plafond particulier.
Un œil électronique en temps réel 24H/24, 7j/7
Le mécanisme est spécialement intrusif puisque la personne est contrôlée 24 h/24, 7j/7, en temps réel. Les caméras devront être visibles, sans être équipées toutefois de micro. Les images seront conservées en principe durant un mois, avant d’être détruites. Elles seront consultables par le chef d’établissement (ou son représentant) dans un délai de 7 jours à compter de l’enregistrement « s'il existe des raisons sérieuses de penser que la personne détenue présente des risques de passage à l'acte suicidaire ou d'évasion ». « Au-delà de ce délai de sept jours, les données ne peuvent être visionnées que dans le cadre d'une enquête judiciaire ou administrative ».
« Au terme du délai d'un mois, les données qui n'ont pas fait l'objet d'une transmission à l'autorité judiciaire ou d'une enquête administrative sont effacées ».
Les images en temps réel seront accessibles aux agents de l'administration pénitentiaire habilités par le chef d'établissement. Y auront aussi accès, « le correspondant local informatique individuellement désigné et dûment habilité par le chef d'établissement ». Chaque consultation sera journalisée durant trois mois. Les extractions des séquences seront conservées pendant un an.
L’avis et les critiques de la CNIL
Chargée d’examiner le projet d’arrêté, avant donc sa publication au Journal officiel, la CNIL a relevé plusieurs problématiques.
Pour elle, ce texte se raccroche à la loi de 1978, et spécialement l’article 26 I.2 qui autorise un ministre à créer par arrêté un traitement de données à caractère personnel ayant pour objet « la prévention, la recherche, la constatation ou la poursuite des infractions pénales ou l’exécution des condamnations pénales ou des mesures de sûreté ».
Seulement, on est ici face à une surveillance « permanente et particulièrement longue, portant par nature une atteinte grave au droit au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel des personnes en faisant l'objet, [des] individus déjà soumis à des mesures restrictives de libertés ».
L’atteinte à la vie privée ne peut du coup être admise que si elle est proportionnée au but poursuivi. En particulier, conformément à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et à la jurisprudence de la Cour, ce mécanisme doit « reposer sur une base légale suffisante et être mis en œuvre dans des conditions permettant d'assurer un juste équilibre entre l'ingérence dans la sphère privée de la personne détenue et les troubles à l'ordre public susceptibles de résulter de l'évasion du requérant ou d'une atteinte à son intégrité physique. »
Sur ce point, justement, la CNIL considère qu’ « aucune disposition législative ne prévoit explicitement la possibilité, pour l'administration pénitentiaire, de mettre en œuvre une telle surveillance ». Pire, dans la version du texte qui lui fut soumis, le ministère de la Justice n’avait prévu aucune garantie procédurale devant entourer la mesure de surveillance. « La Commission s'interroge dès lors sur la possibilité de prévoir et d'encadrer la mise en œuvre d'une telle surveillance par un tel arrêté portant création de traitements de données à caractère personnel. »
Débat sur la novlangue de la vidéoprotection
Autre objet de critiques : l’intitulé même de l’arrêté, « portant création de traitements de données à caractère personnel relatifs à la vidéoprotection de cellules de détention ». La CNIL rappelle à raison que l’expression de vidéoprotection ne vise que les caméras installées sur la voie publique, contrairement à la vidéosurveillance qui se déploie entre des murs :
« Conformément aux dispositions de l'article L. 251-1 et suivants du code de la sécurité intérieure (CSI), ce terme concerne uniquement les systèmes de caméras installés sur la voie publique et dans les lieux ouverts au public. Dans la mesure où il s'agit de dispositifs mis en œuvre dans des lieux non ouverts au public, la commission demande que le projet d'arrêté soit modifié afin de faire référence à la notion de « vidéosurveillance » et non à celle de « vidéoprotection ». »
La recommandation de la CNIL a été aussi utile qu’un coup d’épuisette pour vider un océan. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que la Commission tique sur ce genre d’appellation (voir cette actualité de 2013).
Autre point oublié par le ministre de la Justice : qu’une « évaluation précise, concernant tant les aspects légaux qu'opérationnels, en concertation avec l'ensemble des acteurs dont l'expertise s'avère nécessaire en la matière » soit menée.
Des finalités déterminées, explicites et légitimes
Sur le fond, cependant, elle considère malgré tout que « le profil spécifique de certains détenus, au regard de leur dangerosité ou des faits qui leurs sont reprochés, peut justifier que ces derniers fassent l'objet de mesures de surveillance renforcées, notamment afin de garantir que la procédure judiciaire puisse aller à son terme », les finalités étant jugées « déterminées, explicites et légitimes ».
Plusieurs de ses autres recommandations ont été aussi prises en compte, notamment s’agissant du champ des personnes concernées (restreint aux « personnes placées en détention provisoire et faisant l'objet d'un mandat de dépôt criminel » et d’une mise en isolement). La CNIL relève également que les yeux électroniques seront particulièrement puissants : « il s'agit de caméras 360 degrés, avec infrarouges et enregistrement simultané, filmant vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept ». Ainsi, « l'ensemble de la cellule sera filmée, en permanence ».
Soulagement : « S'agissant plus spécifiquement des lieux d'intimité, la commission prend acte des précisions apportées par le ministère selon lequel, si ces lieux seront effectivement filmés, un panneau d'occultation, placé devant les sanitaires, préservera l'intimité corporelle de la personne détenue ». Concession de l'arrêté : il est prévu qu'« un pare-vue fixé dans la cellule [garantira] l'intimité de la personne tout en permettant la restitution d'images opacifiées ».