Les ministres de Bercy ont inauguré en grandes pompes l'Agence du numérique, chargée de guider le déploiement du très haut débit et le développement des startups. Cela alors que la Commission européenne ne partage pas l'enthousiasme français sur le plan France THD. De quoi inquiéter les acteurs des déploiements.
Annoncée début 2014 et créée en février 2015, l'Agence du numérique a enfin été inaugurée par le gouvernement. Axelle Lemaire et Emmanuel Macron ont présenté la « nouvelle » agence avant-hier, avec ses trois composantes : la mission France THD montée en 2013 (qui pilote le déploiement du très haut débit), la French Tech (pour dynamiser les créations de jeunes pousses) et un programme de diffusion de la culture numérique.
L'entité existe en fait depuis plus d'un an, a déjà eu quelques succès, mais subit aussi des blocages sur lesquels les ministres s'expriment peu. Sur sa principale mission, le déploiement du très haut débit, la validation des dossiers de réseaux publics ruraux (montés par les collectivités) tient le rythme et la question actuelle est surtout celle de leur commercialisation.
Un plan France THD toujours bloqué en Europe
Cela ne veut pas pour autant dire que tout va bien. Un problème résiste encore et toujours à l'enthousiasme gouvernemental : la validation du plan France THD par la Commission européenne, qui traine depuis plus d'un an. Comme nous le révélions dès l'été dernier, la Commission refuse de valider le plan français, notamment pour des questions de subventions de la montée en débit d'Orange... dont certaines (pré-plan France THD) sont considérées comme illégales.
Sans cette validation, ce sont l'ensemble des projets de réseaux publics qui font appel à la montée en débit (soit 80 %), qui sont dans une insécurité juridique. L'État ne pourra pas s'appuyer sur un blanc-seing européen s'il doit défendre un de ces projets devant une quelconque autorité. Surtout, cette question a bloqué quelques mois l'avancement du très haut débit, Bercy ayant évalué la situation avant de reprendre la validation des dossiers et les décaissements de subventions.
Il y a deux semaines, Axelle Lemaire s'est dit « très confiante » sur la validation par la Commission, affirmant encore avoir obtenu des garanties bruxelloises et que Bercy a répondu aux dernières inquiétudes des autorités européennes. Une nouvelle promesse, après plusieurs autres déjà déçues. Pas de quoi rassurer les acteurs du très haut débit avec qui nous avons discuté.
Les collectivités toujours inquiètes de l'avis bruxellois
Cette validation, l'Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l'
« Si la réponse sur le plan était négative, cela aurait déjà été exprimé par l'Europe. On reste sur des échanges » et non sur une mise en demeure de la Commission européenne, se rassure Patrick Chaize, le président de l'AVICCA. Pour lui, il y a une « dissonance » entre la Direction générale de la concurrence (qui traite le dossier) et la direction politique de la Commission.
Quand cette dernière donne des garanties politiques aux ministres, la Direction de la concurrence ne valide pas le plan français. « Si ça ne rentre pas dans la case, ça ne rentre pas dans la case ! » note Patrick Chaize. Au départ, Bruxelles aurait proposé de séparer le plan, en acceptant la partie valide (la fibre jusqu'à l'abonné) et en remettant à plus tard ce qui bloque (la montée en débit et, semble-t-il, le câble aujourd'hui). La France aurait refusé, pour une raison simple : la montée en débit est la première étape de nombreux projets, bien avant d'envisager de déployer la fibre jusqu'à l'abonné.
Reste que l'Agence du numérique aurait mis de l'eau dans son vin, comme nous le confirme le président de l'AVICCA. Alors qu'elle demandait presque systématiquement de la montée en débit dans les projets, sa part se verrait de plus en plus réduite. « La montée en débit n'est plus aussi développée dans les dossiers présentés. Et quand elle l'est, il y a plutôt un avis réservé de la part de la mission. Elle pousse beaucoup plus le FTTH qu'elle ne le poussait il y a un an ou deux » déclare Patrick Chaize.
Les industriels des RIP ne veulent plus s'en soucier
Pour l'AVICCA, cette absence de validation est toujours un souci, qui laisserait encore les investisseurs tiers timides, alors que le retour sur investissement des projets fibre ne fait aucun doute. Surtout, les décaissements effectifs sont encore lents. « Quand on regarde le nombre de dossiers engagés (pratiquement 100 %), pour 13 milliards d'euros de travaux, ce sont 50 millions décaissés par l'État » s'agace le président de l'AVICCA, pour laquelle cette lenteur est un cheval de bataille.
« C'est certainement trop lent vu des collectivités. Après, le processus a été monté de telle manière à ce que ce soit lent. L'État décaisse en dernier lieu, [une fois les travaux effectués,] les collectivités avançant l'argent dans l'intervalle » rappelle Etienne Dugas, président de la FIRIP. Pour la fédération des industriels, très active jusqu'ici dans les négociations européennes autour du plan, il n'est plus question de s'y investir.
« J'ai arrêté de perdre mon temps sur ce sujet » tance Étienne Dugas. « À partir du moment où l'État considère qu'il n'y a pas de problème, qu'il paie (ce qui est le cas), qu'il valide les projets (ce qui est le cas), cela devient son problème et plus le nôtre » poursuit-il. S'il est « très réservé » sur l'annonce d'une validation dans deux mois, la question n'est plus sa priorité.
« L'État considère que tout va bien dans le meilleur des mondes » note-t-il, rejoignant les soupçons de « méthode Coué » de Patrick Chaize. Si un problème vient, la fédération qui représente 90 % des industriels des réseaux publics sera « pragmatique », promet-elle. La réponse devrait donc arriver dans moins de deux mois, si la promesse gouvernementale est (enfin) tenue.