Alors que la publicité sur les sites de presse est contestée, plusieurs alternatives font leur chemin. Parmi elles, deux projets doivent bientôt voir le jour : FairPay, qui propose de supprimer publicités et suivis sur les sites, et Newsily, une plateforme de lecture illimitée de contenus en paywall, tous deux pour 10 euros par mois.
Deux entreprises, deux approches pour un objectif : de meilleurs médias en ligne. Fin mars, les principaux sites de presse ont lancé une action coordonnée à l'attention des utilisateurs de bloqueurs de publicité, qui grignotent une partie de leurs revenus (voir notre analyse). Une action qui illustre les limites du financement de la presse en ligne par la publicité et qui va dans le sens de nouveaux acteurs, qui veulent fournir de nouvelles options aux médias.
Fin avril, le projet FairPay lançait une campagne de financement participatif pour un système d'abonnement unifié, qui élimine la publicité et le suivi de la navigation des sites partenaires. Cela grâce à une simple extension pour navigateur. Pour 9,90 euros par mois, ils obtiennent surtout un accès complet aux contenus, directement sur leurs sites.
À l'été, ce sera Newsily qui sera mis en ligne en bêta privée. Cette plateforme de lecture de contenus « premium » compte faire émerger les articles réservés aux abonnés payants des médias, pour les fournir dans une offre aussi à 9,90 euros par mois. Au cœur du modèle : une hiérarchisation propre à la plateforme, qui doit faire ressortir les meilleurs contenus.
Deux visions complémentaires, qui ne seraient que la part visible de l'iceberg alors que de nombreuses initiatives voient le jour. Et ce, alors que les kiosques numériques repensent leurs modèles et se préparent à proposer des offres illimitées. Une mutation que nous aurons l'occasion d'analyser au sein de notre dossier du mois composé de plusieurs articles à venir.
FairPay, pour éliminer le besoin de tracking
« Mon expérience professionnelle m'a amené à travailler pendant un an et demi dans une société qui faisait du retargeting [re-ciblage] dynamique. Je l'ai quittée parce que je trouvais ça bizarre. Je voyais qu'on brassait une quantité phénoménale de données » nous explique Nicolas Hoareau, le PDG de FairPay. En tant qu'internaute, c'est la publicité de plus en plus intrusive qui l'a poussé à se demander pourquoi les éditeurs en dépendaient tant. « J'ai vu la nécessité de trouver une alternative à tout ça. »
Sa solution est donc FairPay, une plateforme légère pour l'utilisateur, qui doit lui permettre de naviguer dans l'ensemble des contenus des sites de presse, même payant, sans publicité ni suivi. Cela pour environ 10 euros par mois. Ce projet de « à la Netflix » a démarré en 2015, avec une approche avant tout technique, Hoareau revendiquant sa vision de développeur.
Le tout doit passer par une extension au navigateur, qui ajoute un entête HTTP spécifique à la requête vers le site concerné. Celui-ci envoie le token reçu à FairPay, qui le déchiffre. « Le serveur répondra oui ou non, et si le token est valide, le site ne doit pas afficher de publicité » conclut Hoareau, qui insiste sur la vitesse du processus. « Si la publicité s'affiche, l'utilisateur paie deux fois » note-t-il.
Garantir l'anonymat des utilisateurs
L'une des clés de FairPay est l'anonymat. Pour Nicolas Hoareau, plus que la publicité, le problème est le suivi et les cookies. « On s'est rendus compte que c'était le far west, même plus que la publicité » affirme-t-il. Le service veut dire fournir un suivi « propre » aux sites, en leur imposant par ailleurs de couper leurs outils d'analyse pour ses utilisateurs. Ceux-ci pourront avoir le nombre de visites par page, avec l'heure de consultation.
Même FairPay ne doit pas disposer des données. « On n'a rien sur les membres : en créant un compte, on lui demande un mot de passe, en lui attribuant un alias, type "alpha42". On n'a ni adresse, ni numéro de téléphone, ni sexe... » appuie-t-il. L'entreprise compte même fournir un email anonymisé à l'utilisateur pour s'abonner aux newsletters, qu'il pourra rediriger vers sa vraie boite mail s'il le souhaite.
Abandonner toutes ces données sur les internautes n'est pas à la portée de tous les médias, comme le reconnaît Hoareau. Les grands médias « sont trop empêtrés » dans la publicité pour bouger facilement. Des acteurs moins importants sont plus à l'écoute, comme Ulyces, avec qui l'entreprise a discuté. Mais là encore, cela reste compliqué. Les médias se diraient intéressés mais attendraient une valeur sûre, alors que FairPay se présente comme une source de revenus complémentaires. Il compte d'ailleurs fournir 90 % des revenus générés aux médias, une part très importante face à ce que propose la concurrence.
Une plateforme qu'il reste à financer
En un mois sur IndieGogo, la campagne a récolté 810 dollars sur les 50 000 espérés. Campagne sur les réseaux sociaux et vidéos n'y ont rien fait. « On ne va pas se mentir, ce n'est pas ce qu'on attendait, mais on en a tiré pas mal de conclusions. On pensait vraiment que les médias allaient être plus attirés par notre démarche. Certains commencent, mais c'est assez faible » reconnaît Hoareau, pour qui le financement par les internautes est important.
Selon ces « anonymes du web » autoproclamés, seuls des anonymes peuvent porter un projet un projet aussi radical sur la vie privée. « Le pire des scénarios est qu'on cherche des fonds ailleurs. On a rencontré trois investisseurs [venus du monde de la publicité], ça s'est très mal passé parce que je le sentais mal » raconte le PDG. Le service doit compter 15 000 utilisateurs mensuels pour être rentable, une fois lancé.
Pour le moment, il continue de travailler à côté, en attendant de voir le résultat de la campagne de financement. L'équipe a déjà investi 10 000 euros dans la société. Si le projet est financé, trois développeurs sont prêts à travailler à plein temps dessus, pour une sortie dans trois mois. Sans cela, le temps à y consacrer sera logiquement moindre, avec une fenêtre de lancement de la plateforme estimée à la fin de l'année.
Des projets plein la tête, dont de la vidéo open source
Les 10 000 euros du projet sont pour le moment consacrés à la technique et à la communication. Si le projet se lance, il faudra en plus financer le service au client, un point important pour Hoareau. Cela en plus d'autres outils, comme une plateforme de blogs intégrant déjà FairPay.
Le principal souci pour l'équipe, aujourd'hui, est la plateforme, à la fois complexe et coûteuse. « On a dépensé beaucoup d'énergie pour monter l'architecture avec de nombreux serveurs, load balancers et semi-CDN pour répondre rapidement... » explique l'initiateur du projet.
Ce système d'abonnement pour la presse en ligne ne doit être qu'un début. Par la suite, l'équipe espère pouvoir s'attaquer aux applications mobiles et au streaming vidéo. Côté mobile, l'idée serait de financer les applications via FairPay, en échange de l'arrêt de la collecte de données. Pour la vidéo, il s'agirait de monter une plateforme de streaming open source, l'équipe ayant déjà une expérience dans le domaine avec la création du protocole VAST.
Ces plans sur la comète viendront de toute façon après la presse, qu'il faut déjà convaincre d'adhérer au modèle. Une gageure alors que les projets se multiplient sur le créneau du tout illimité, qu'ils viennent d'acteurs en place comme LeKiosk (voir notre analyse), ou de nouveaux venus.
Newsily, une nouvelle plateforme de lecture de presse
Mais FairPay n'est pas la seule tentative pour financer la presse en ligne autrement. Newsily se concentre de son côté sur une idée : une plateforme de consultation de contenus « de qualité », habituellement fournis derrière les paywall des sites d'information. Cela pour 9,90 euros par mois.
Tous les contenus sont éditorialisés et fournis au sein d'applications propres au service, avec la promesse de fonctions habituelles comme la lecture hors-ligne. Une initiative qui n'est pas sans faire penser à Blendle (financé en partie par Axel Springer et le New YorkTimes, bien que le modèle soit sur de l'abonnement plutôt qu'un accès à l'unité.
L'idée est née chez la journaliste Viviane Bach lors de ses études de journalisme, entre 2008 et 2010. « Je picorais ce qui m'intéressait dans la presse. Je ne pouvais pas m'abonner à tout. J'aurais bien aimé pouvoir lire à un certain nombre de choses, donc un abonnement unique qui me permettrait de consulter tout ça » se souvient-elle.
La plateforme s'est concrétisée lors d'un Startup Weekend en 2014, où son idée a terminé en deuxième place. « Partant de là, j'ai décidé de me lancer dans l'aventure et de le faire exister » explique Bach, qui a fondé une société au capital de 30 000 euros avec Joëlle, plus versée dans la gestion. Pour le moment, l'équipe travaille sur une première version du site, qui sera testée en bêta fermée à l'été.
Construire la plateforme et attirer des médias
Les testeurs seront triés sur le volet, pour lire les contenus proposer par trois à cinq médias, dans l'idéal. Encore faut-il encore les convaincre de participer au projet. L'équipe a discuté avec une vingtaine de médias, dont « certains » seraient intéressés pour participer au test de cet été. Pour les autres, c'est cette bêta qui pourraient les décider à venir. Ceux-ci obtiendraient 60 % à 70 % des revenus générés, via différentes clés de répartition.
L'une des questions centrales est le prix. Si les utilisateurs sont prêts à payer 10 euros par mois pour un tel accès, les médias ont déjà des offres individuelles plus chères, parfois à 20 euros mensuels. Un gouffre qui n'inquiète pas Newsily. « On ne propose pas l'intégralité de leur offre. La personne qui va vouloir consulter tout leur contenu, avec leur hiérarchisation, ne le trouvera pas chez nous. C'est un lecteur qui s'abonne, et qui sera perdu chez nous, soyons honnêtes » explique Newsily.
Même si elle « n'a pas encore toutes les réponses » à nos questions, l'équipe se dirige vers une sélection de contenus, qu'elle éditorialise elle-même via des rubriques thématiques. Une journaliste a d'ailleurs été embauchée pour mener ce travail au quotidien. Le but est de montrer des contenus habituellement « cachés » derrière un paywall, de sources différentes.
« Pour une partie du public qui ne paie pas, il a l'impression que cette information n'existe plus. Nous sommes dans une volonté de curation, de mise en avant d'articles de fond. On n'a pas vocation à devenir l'AFP » explique encore Viviane Bach.
Un lancement commercial espéré à la fin de l'année
Actuellement en négociation avec des médias, Newsily déclare que les questions de la quantité d'articles fournis et la fréquence de publication restent les points centraux. La question d'éventuels contenus sponsorisés n'aurait pas encore émergé. La bêta estivale doit prouver que la plateforme technique fonctionne (avec lecture, navigation et sauvegarde hors-ligne), avant de l'ouvrir et de multiplier les rubriques au fil des partenariats avec des titres.
Pour le moment, Newsily ne s'est pas encore adressé aux internautes eux-mêmes, attendant d'avoir un produit fini à présenter. Pour s'adresser à eux, l'équipe compte s'adresser aux utilisateurs de bloqueurs de publicité via des campagnes « classiques » sur les réseaux sociaux, notamment via des posts sponsorisés et des vidéos, qui devraient arriver dans les prochains mois.
Si elle se montre confiante pour la bêta cet été avec plusieurs médias, elle se montre plus prudente pour le lancement commercial sur une version finale, à l'automne. « Nous sommes vraiment très en amont » rappelle Bach.
L'approche est à la fois très différente, mais aussi complémentaire à celle de FairPay. Quand celui-ci mise sur une ouverture des contenus de médias aux lecteurs, via une plateforme portée par des « internautes anonymes », Newsily prend une approche bien plus journalistique, concentrée sur la qualité du contenu et l'expérience de lecture. Il reste encore à voir comment les deux projets avanceront, avec de premières réponses d'ici la fin de l'année.
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