[Interview] Luc Belot ne veut pas d’un « compromis tiède » sur la loi Numérique

[Interview] Luc Belot ne veut pas d’un « compromis tiède » sur la loi Numérique

Entretien avec le rapporteur (PS) du texte à l'Assemblée

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Xavier Berne

Publié dans

Droit

03/06/2016 12 minutes
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[Interview] Luc Belot ne veut pas d’un « compromis tiède » sur la loi Numérique

Après avoir été adopté en première lecture par l’Assemblée nationale puis par le Sénat, le projet de loi Numérique d’Axelle Lemaire sera débattu en commission mixte paritaire le 29 juin prochain. L’occasion de « prendre la température » avec Luc Belot, le député (PS) rapporteur du texte.

Engagé sous procédure accélérée, le projet de loi de la secrétaire d’État au Numérique semble plus que jamais proche d’une adoption définitive par le Parlement. Sept députés et sept sénateurs se réuniront prochainement autour d’une « CMP » (pour commission mixte paritaire) afin de trouver un compromis. Les points de discorde risquent néanmoins d’être nombreux et profonds, le Sénat, majoritairement à droite, ayant détricoté une bonne partie du texte voté quelques semaines plus tôt par l’Assemblée nationale.

Les deux rapporteurs, Christophe-André Frassa (sénateur LR) et Luc Belot (député PS), se préparent à débattre d’un projet de loi qui comporte dorénavant plus de 120 articles. En cas de CMP conclusive, le texte devrait être – sauf surprise – adopté successivement par les deux chambres, sans débats supplémentaires. Dans le cas contraire, la navette parlementaire reprendrait.

Quel regard portez-vous sur le texte adopté le mois dernier par le Sénat ?

Celui d'une approche et d’une sensibilité qui ne sont pas tout à fait les même que celles des députés. Ce qui est plutôt légitime, sinon ça ne servirait à rien d'avoir deux chambres ! Il y a des articles qu'ils ont ajoutés qui sont pertinents, d’autres qu'ils ont réécrit de manière plutôt correcte et satisfaisante, et puis des éléments de débat qui ne seront certainement pas toujours simples sur un certain nombre de sujets...

Maintenant, l’intérêt d'avoir une CMP, c'est de discuter et de trouver un terrain d'entente. Le risque, c'est d'avoir un texte qui soit uniquement un compromis, un texte tiède, qui ne porte pas d'ambition pour la France alors que là on a quand même un projet de loi qui – tant sur les données personnelles que sur l'Open Data, l'accessibilité, ou des sujets tels que la « mort numérique » – justifie qu'on ne rogne pas trop dessus. C'est aussi l'intérêt d'avoir du temps avant la CMP, pour pouvoir arriver sur un texte riche. Mais tout ça demande beaucoup de discussions.

J'aurais préféré une nouvelle lecture, très clairement. Christophe-André Frassa le pensait aussi. C'était vraiment l'occasion d'améliorer le texte. Mais entre ne pas avoir de texte du tout (qui était un risque si on allait vers une nouvelle lecture, avec un calendrier déjà très bouché) et avoir un texte intelligent avec un compromis que j'espère le plus équilibré possible, on a fait ce choix : on souhaite tous les deux que la CMP aboutisse.

Sur quels articles en particulier trouvez-vous que les ajouts du Sénat ont été pertinents ?

Je pense notamment aux articles nouveaux sur les jeux en ligne, la manière dont ils ont travaillé sur les éléments autour à la fois du coffre-fort numérique et de l'identité numérique, etc.

Quels sont les points sur lesquels vous allez (au contraire) vouloir absolument revenir ?

Nous allons avoir un certain nombre de discussions. La plus difficile concernera à mon avis la question de la mort numérique. C'est un sujet où nous ne sommes pas juste dans des ajustements, dans une question de calendrier ou de curseur... On a une vision sérieusement différente de ce que doivent devenir nos données après la mort [ndlr : Le Sénat veut que les emails ou photos stockées dans le cloud soient transmis aux héritiers de la même manière que des lettres conservées par le défunt, tandis que l’Assemblée souhaite qu’un accès soit simplement possible à des fins de liquidation et de partage de la succession].

Ensuite, on a des sujets complexes sur la mutualisation des antennes relais et la couverture des zones blanches. On sait que cette mutualisation présente plein d'inconvénients, mais elle a l'avantage de contraindre les opérateurs à aller vite et à faire en sorte qu'il y ait réellement une couverture. Moi, ce que j'ai dit aux opérateurs et à la Fédération française des télécoms, pour être extrêmement clair, c'est que cet article qui ne leur plaît pas, il restera dans le texte sauf si j'ai un engagement officiel de couverture d’un nombre de zones extrêmement conséquent. Dans un premier temps, il y avait 260 sites qui avaient été évoqués. Je pense qu'il faut qu'on aille au-delà.

On a discuté avec eux de la possibilité d’étendre la couverture à 500 sites supplémentaires, dans le cadre du programme dit du guichet (avec un prolongement d'une année de la période de réalisation), mais il faut vraiment que les opérateurs prennent un engagement ferme, pas une promesse faite sur un coin de table, dans une audition ou une rencontre avec eux. S’ils me confirment qu'ils participent à une extension du programme pour 1 300 sites sur cinq ans, je pense que je regarderais avec beaucoup de bienveillance la suppression de cet article qui concerne la mutualisation des antennes.

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Luc Belot, dans l'hémicycle - Crédits : Assemblée nationale

Et l’Open Data, un de vos « chevaux de bataille » ?

(Rires) Des Open Data vous voulez dire ! Parce qu'il y a plein d’articles à ce sujet... Celui sur lequel les sénateurs reviennent le plus concerne la jurisprudence, avec pour eux une vraie inquiétude autour de la réidentification des personnes. C'est une question complexe : aujourd'hui, ces données sont accessibles dans les tribunaux sans aucune difficulté, LexisNexis en publie quelques-unes, avec un moteur de recherche qui permet la recherche très concrète d'un protagoniste. Et puis sur les jugements définitifs, ils souhaitent maintenir cette rédaction, ce qui pose là aussi un vrai problème : quand on a tout un tas de recours qui peuvent durer deux à trois ans, vous n'avez aucune jurisprudence récente, alors que le droit se nourrit justement de décisions récentes...

Sur le reste, je crois qu’on devrait pouvoir essayer d'avancer.

Même sur les grosses oppositions relatives aux analyses de risque ou à la mention « si possible » pour les formats ouverts ?

Ce sera effectivement deux points de discussion. Sur les analyses de risques, je pense qu'on ne comprend pas la même chose... Eux ont une perception d'une réalité liée à la réidentification, moi je suis certainement plus sensible au fait que certains pourront se retrancher derrière cette analyse de risque pour ne pas ouvrir une partie de leurs données.

Quant au « si possible », je n'y tiens pas. Je l'ai d’ailleurs toujours fait sauter. Je continuerais donc de ne pas y tenir. On verra ce qu'il en ressortira...

Est-ce qu'on peut dire que c'est un point sur lequel vous ne cèderez à aucune condition ?

Je ne dirais ça d'aucun point, y compris sur la mort numérique, parce que c'est une CMP. À un moment donné, il faut savoir ce que l'on veut : que la CMP échoue ou qu’elle aboutisse ? Je vous l'ai dit dès le début : Christophe-André Frassa et moi-même souhaitons que la CMP aboutisse. On veut pouvoir prendre le temps du travail, de l'échange, pour essayer de trouver une solution sur l'ensemble des points. Ce sera parfois difficile (c'est une réalité objective), mais pour autant, il va falloir qu'on avance. Il y a des points auxquels je suis particulièrement attaché – je crois que tout le monde les connaît, notamment au sujet de l'Open Data. Mais pour l'instant, mon état d'esprit, il est d'aboutir. Il n'y a donc aucun point sur lequel je dirais « si je n'ai pas ça... ».

N’auriez-vous pourtant pas intérêt à imposer vos préférences, sachant qu’en cas d’échec, le dernier mot reviendrait à l’Assemblée ? Vous me disiez aussi que vous auriez aimé une seconde lecture...

Si le texte n’arrive jamais en séance, la seconde lecture n'existe pas ! Je ne suis pas complètement naïf : tout ce qui ne passera pas avant décembre/janvier va être dans l’entonnoir ingérable de tous les bouts de texte qu'il faut terminer sur les séances de janvier/février. Or on est à l'abri de rien dans la période qui arrive. On a vu comment les attentats ont complètement bousculé notre calendrier. On a des textes importants, majeurs pour la fin du quinquennat, qui sont encore en attente (loi Sapin II, Égalité et citoyenneté...). L'embouteillage législatif est réel ! Donc à un moment donné, je mesure le risque, qui est aujourd’hui très clair.

Pour le dire autrement, je voulais une nouvelle lecture, parce que c'est comme ça qu'on rend un texte le plus riche possible. C'est d'abord le débat parlementaire qui permet d'améliorer réellement un projet de loi. Maintenant, le risque, c'est que ce texte ne passe jamais ! Entre aucun texte et une CMP, je préfère une CMP.

Une fois que je suis à la CMP, il y a deux possibilités si je veux qu'elle soit conclusive : soit on amoindrit le texte sur tout (donc il y a tout un tas d'articles qu'on supprime) ou alors c'est de la négociation de marchands de tapis « je te donne ça, je prends ça, etc. » Et ça, ça fait un texte incohérent et tiède ! La troisième solution, que je défends, consiste à prendre le temps des allers et retours avec le Sénat, pour trouver un texte qui soit le plus riche et le plus équilibré possible. Et aujourd'hui, j'ai plutôt bon espoir. On a certes des points de désaccords qui sont forts, mais j'ose espérer qu'on n'ira pas jusqu'au blocage...

Pour revenir à vos points de désaccord, comment voyez-vous les débats à venir sur le montant des amendes de la CNIL et sa saisine parlementaire ?

Je n'ai pas identifié ces deux dispositions comme étant des points durs du côté des sénateurs, donc je pense que ce sont des éléments sur lesquels on peut avoir une discussion. Il faudrait qu'on explique pourquoi on y tenait, à la fois pour la saisine et le montant des amendes.

Et sur les consultations en ligne des citoyens sur les textes de loi ?

Je crois qu'on peut écrire tout ce qu'on voudra à ce sujet, de toute façon, on est en 2016 et heureusement pour la démocratie, on sera tous obligés d'y venir ! Je ne vois pas comment les uns et les autres vont pouvoir en faire l'économie. Je suis persuadé qu'y compris dans le cadre de la primaire Les Républicains, les uns et les autres vont se saisir de cette question. Les consultations en ligne, les différents formats de consultation deviendront, demain, une règle. Est-ce qu'on arrivera à trouver un terrain d'entente en CMP avec les sénateurs là-dessus, on verra... J'ai quand même cru comprendre que tout le monde avait trouvé cette démarche intéressante.

Doit-on comprendre que vous pourriez soutenir la récente proposition de loi du député Martin-Lalande, qui souhaite rendre ces consultations obligatoires ?

Absolument. Patrice Martin-Lalande est un député travailleur, ce qui n'est pas toujours le cas de bon nombre de mes collègues. On verra les modalités, comment le texte évolue et quels apports pourront être faits en commission, mais j'ai un a priori très favorable.

Le gouvernement a notifié cette semaine plusieurs articles du projet de loi Numérique à la Commission européenne. Doit-on comprendre que ce sont des dispositions qui n’ont pas vocation à bouger ?

C'est une discussion que je n'ai pas encore eue avec eux [l’exécutif, ndlr]. En tant que député de la majorité, j'ai un dialogue permanent avec le gouvernement – et c'est bien légitime. Mais ce sont les élus qui trancheront sur ces questions-là. Je suis d’ailleurs très sensible aux prérogatives des parlementaires. Si on estime, sénateurs et députés, qu'il y a des articles qui nécessitent une amélioration législative, on ne se privera pas.

Vers quel calendrier se dirige-t-on, si la CMP était conclusive ?

Après, ça va très vite. Une inscription en séance de quelques heures des deux côtés et c'est fini.

Pensez-vous que le texte pourrait être définitivement adopté durant la session parlementaire de cet été ?

Je le souhaite. Mais le calendrier est tellement compliqué que je ne peux pas prendre d'engagement. C'est ce qu'on souhaite tous, que ça aille très vite... Mais j'ai certainement au moins une douzaine de collègues rapporteurs qui ont la même ambition sur tout un tas de textes, et un nombre de séances qui ne va pas être démultiplié, bien qu'on ait une session extraordinaire qui risque d'être lourde en juillet.

Merci Luc Belot.

Écrit par Xavier Berne

Tiens, en parlant de ça :

Sommaire de l'article

Introduction

Quel regard portez-vous sur le texte adopté le mois dernier par le Sénat ?

Sur quels articles en particulier trouvez-vous que les ajouts du Sénat ont été pertinents ?

Quels sont les points sur lesquels vous allez (au contraire) vouloir absolument revenir ?

Et l’Open Data, un de vos « chevaux de bataille » ?

Même sur les grosses oppositions relatives aux analyses de risque ou à la mention « si possible » pour les formats ouverts ?

Est-ce qu'on peut dire que c'est un point sur lequel vous ne cèderez à aucune condition ?

N’auriez-vous pourtant pas intérêt à imposer vos préférences, sachant qu’en cas d’échec, le dernier mot reviendrait à l’Assemblée ? Vous me disiez aussi que vous auriez aimé une seconde lecture...

Pour revenir à vos points de désaccord, comment voyez-vous les débats à venir sur le montant des amendes de la CNIL et sa saisine parlementaire ?

Et sur les consultations en ligne des citoyens sur les textes de loi ?

Doit-on comprendre que vous pourriez soutenir la récente proposition de loi du député Martin-Lalande, qui souhaite rendre ces consultations obligatoires ?

Le gouvernement a notifié cette semaine plusieurs articles du projet de loi Numérique à la Commission européenne. Doit-on comprendre que ce sont des dispositions qui n’ont pas vocation à bouger ?

Vers quel calendrier se dirige-t-on, si la CMP était conclusive ?

Pensez-vous que le texte pourrait être définitivement adopté durant la session parlementaire de cet été ?

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Commentaires (1)


“Moi, ce que j’ai dit aux opérateurs et à la Fédération française des

télécoms, pour être extrêmement clair, c’est que cet article qui ne leur

plaît pas”



Il faut dire que les opérateurs mobile n’ont pas fait leur travail. Un texte contraignant, c’est tout ce qu’ils méritent. Cela fait plus 15 ans que les fréquences pour la 2G ont été donné et on a encore des zones habitées où elle ne passe pas.

À leur décharge, ils n’avaient aucunes contraintes de couverture de zone avec faible densité de populations, contrairement à ce qui a été fait avec les fréquences 4 G.