La CJUE a déjà autorisé la revente de licences vendues initialement sans support physique. Mais peut-on aussi revendre la seule copie de sauvegarde d’un logiciel vendu initialement sur un DVD, devenu inutilisable ? L’avocat général de la CJUE estime que non.
Dans ce dossier, deux personnes avaient été poursuivies en Lettonie pour avoir revendu plus de 3 000 copies de programmes édités par Microsoft (Windows 95, 98, 2000 Pro, Millenium, XP, Office 2000, etc.). Un joli business qui leur a permis de récupérer très exactement 229 724,67 euros via Paypal. Elles ont cependant été poursuivies notamment pour vente illégale en bande organisée d’objets protégés par le droit d’auteur et usage illégal d’une marque.
La règle de l’épuisement et les copies matérielles de logiciels
Seulement, cette affaire est tombée sur un os qui a conduit les juridictions nationales à saisir la justice européenne. Les deux Lettons font en effet valoir que les licences avaient été légalement acquises auprès de particuliers et d’entreprises, mais copiées sur un autre support que l’original, lequel aurait été rendu inutilisable. En gros, des personnes leur ont revendus des copies de sauvegarde de licences légalement acquises.
Ces deux prévenus s’abritent ainsi derrière le droit européen. Sans revenir sur les principaux détails, la directive de 2009 sur la Protection juridique des programmes d’ordinateur ne réserve les droits exclusifs des éditeurs de logiciels, dont celui de distribution, que lors de la vente, non à la revente. En pratique, après la vente d’une copie, la revente est libérée sur le marché de l’occasion. Mieux, une jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union (dite UsedSoft) a également autorisé les reventes des licences « d’occasion » dématérialisées sur Internet.
Bref. Toute la logique voudrait que ce qui est autorisé sur le net, le soit également sur des copies physiques, tant que la licence tient évidemment la route. Seulement, tel n’est pas l’avis de l’avocat général de la CJUE qui, ce matin, a rejoint la position de Microsoft.
L’avocat général rejoint les positions de Microsoft
Pour lui, une copie matérielle non originale ne peut bénéficier de l’épuisement du droit de distribution. Il importe peu en effet que l’acquéreur initial ait rendu inutilisable sa copie initiale ou que cette copie initiale ait été endommagée. Deux points respectivement soutenus par les deux Lettons et par la Commission européenne.
Pour étayer son analyse, il opte pour une approche chirurgicale de la directive : celle-ci dit que la vente d’un programme par l’éditeur « épuise le droit de distribution de cette copie ». Dans l’esprit de l’avocat général, le « cette » évoque seulement la revente de la copie originale, non celle d’une autre copie. Le texte ne parle pas davantage des copies initiales inutilisables ou détériorées. Au contraire, « il octroie l’épuisement du droit de distribution de manière inconditionnelle à toute copie originale vendue par le titulaire ou avec son consentement ». Ni plus. Ni moins.
Pour s’en convaincre, il dresse plusieurs analogies : « de la même façon, la détérioration d’un livre ne confère pas à son propriétaire le droit d’en vendre une photocopie, tout comme la détérioration d’un disque vinyle ne confère pas non plus le droit d’en transférer le contenu sur un disque compact et de revendre ce dernier sans l’autorisation du titulaire ».
En outre, il considère qu’autoriser de tels droits de revente des supports non originaux compliquerait « sensiblement la lutte contre les copies de contrefaçon. En effet, et comme l’a souligné Microsoft, il est souvent impossible, en pratique, de distinguer une copie de sauvegarde licite […] d’une copie de contrefaçon. Partant, permettre la vente de copies de sauvegarde, comme le suggèrent les prévenus, le gouvernement letton et la Commission, entraînerait des difficultés pratiques majeures pour les autorités chargées de la lutte contre la contrefaçon »
Seul le support original peut être revendu
Conclusion : « Lorsque la copie originale d’un programme d’ordinateur, vendue par le titulaire ou avec son consentement, est incorporée à un support matériel, seule cette copie matérielle originale bénéficie de la règle de l’épuisement du droit de distribution ». Il n’est donc pas possible de revendre des licences d’occasion gravées sur une copie de sauvegarde. Seul le support original bénéficie de cette ouverture sur l’occasion. Par contre, lorsque la licence est dématérialisée, alors la jurisprudence UsedSoft joue à plein régime : ces reventes sont autorisées.
Cette affaire est d’une certaine manière datée puisque l’acquisition de licence aujourd’hui se fait bien souvent sur Internet, mais l’arrêt de la CJUE, attendu dans quelques mois, sera néanmoins important pour tous les éditeurs qui vendent encore des supports gravés.