Si la France perd des points au classement européen sur le numérique, elle reste bien placée dans certains domaines, comme l'administration en ligne. Pour le reste, la Commission pèse le pour et le contre des initiatives nationales qui doivent aboutir dans les prochaines années.
Après l'indice sur la société et l'économie numérique (DESI) en février, la Commission européenne publie son rapport sur l'état d'avancement de l'Europe numérique (EDPR) pour 2016. Derrière ces acronymes se cachent une étude quantitative sur les marchés numériques nationaux (DESI) et une analyse sur les avancées de chaque pays membre à partir de ces chiffres (EPDR).
Comme nous le relations, la France a perdu deux places au classement dans l'édition 2016 du DESI. Elle n'est plus qu'à la 16e place sur 28 pays, son score étant tiré par le bas sur l'accès au haut débit et l'usage du numérique par les entreprises. La note globale française a bien augmenté dans l'année, mais moins rapidement que celle des voisins européens. La France fait donc partie des pays « accusant un retard », avec la Bulgarie, Chypre, la République tchèque, la Hongrie, la Pologne et la République slovaque.
En retard sur le très haut débit... pour le moment
L'accès au très haut débit est l'un des points qui déprécie la note française. « La couverture reste encore relativement limitée à ce stade, avec 45% des ménages connectés en juin 2015 contre 71% dans l'UE » écrit la Commission européenne. 15 % des Français possèdent un abonnement à 30 Mb/s ou plus, contre 30 % en moyenne dans l'Union. La France est donc en 24e place sur 28, même s'il faut tenir compte de la taille du territoire et une faible densité rurale, estime l'institution.
Surtout, elle rappelle le plan France Très Haut Débit (France THD), lancé en 2012 et qui doit couvrir l'ensemble du pays en 2022 en très haut débit, dont 80 % en fibre. Un programme ambitieux, dont beaucoup doutent qu'il soit atteignable. C'est pourtant la principale réponse du gouvernement français lorsque l'on évoque ce retard des débits : d'autres pays ont fait le choix de solutions plus temporaires, quand le choix français de la fibre jusqu'à l'abonné implique un déploiement long mais un réseau pérenne.
Reste tout de même un détail qui peut chiffonner Bercy. La France n'a pas encore transposé la directive sur la réduction du coût de déploiement des réseaux, qui doit permettre d'accélérer les travaux. En outre, même si la Commission ne le signale pas, elle doit encore valider juridiquement le plan THD français, qui bloque à la direction de la concurrence depuis près d'un an. Bercy promet une validation dans deux mois, même si l'échéance peut encore être plus lointaine.
Côté mobile, 73 % des français disposent d'une connexion haut débit (3G), soit une progression de 9 points en un an. Surtout, la France est en avance sur l'attribution des fréquences 700 MHz aux opérateurs mobiles. Alors que les pays membres devront sûrement les fournir d'ici 2020, les Français s'en sont chargés en novembre dernier, dans des enchères qui ont rapporté 2,8 milliards d'euros à l'État.
Le numérique (relativement) bien diffusé dans la population
La France est mieux classée sur le deuxième indicateur, le capital humain, à savoir l'usage du numérique par la population. « Avec 81 % d'internautes parmi la population et 57 % de citoyens ayant acquis au moins les compétences de base, la France se classe 10e et 12e respectivement parmi les 28 États membres de l'UE » écrit la Commission européenne. De même, 42 % des entreprises françaises ont cherché à recruter des spécialistes du numérique en 2015, contre 28 % en moyenne dans l'Union.
Pourtant, celles-ci ont encore du mal à recruter du personnel qualifié en la matière. L'écart entre offre et demande devrait d'ailleurs croître d'ici 2020, anticipe l'institution. Un déficit qui tranche avec un très bon niveau de formation en la matière : la France est classée 2e sur 28 en matière de formation scientifique et technologique (23 pour 1 000 personnes).
De nombreux programmes, comme le Plan numérique pour l'éducation (voir notre interview), doivent contribuer aux efforts français. Malgré tout, il manque une coalition nationale des professionnels et du monde de l'éducation pour combler le manque de personnel qualifié en matière de numérique, estime la Commission.
Malgré une bonne proportion d'internautes dans la population, ceux-ci n'utiliseraient pas autant le réseau des réseaux que la plupart de leurs homologues européens. Côté pile, les Français consomment beaucoup de médias ; nous sommes parmi les premiers consommateurs de vidéo à la demande, selon le DESI. De même, nous semblons friants de transactions en ligne (commerce et banques) aux yeux de l'Europe.
Côté face, nous sommes 45 % à utiliser les réseaux sociaux, contre 63 % en moyenne dans l'UE. La consultation de la presse, l'écoute de musique, le visionnage de vidéos ou le jeu en ligne sont également moins fréquents que chez nos voisins.
Entreprises et numérique : mauvaise note mais des progrès
Si l'adoption du numérique est contrastée pour les particuliers, cela reste un défi pour les entreprises françaises. C'est dans ce domaine que la France obtient son pire score, selon le DESI. Sur certains marqueurs d'usage des technologies, comme le cloud, les sociétés tricolores affichent ainsi un certain retard face à leurs voisines... Même si la situation va en s'améliorant pour les PME.
En attendant, la Commission note les efforts de la France sur la question, avec les prêts numériques proposés en 2014 par Bpifrance, pour un montant de 300 millions d'euros. De même, il y a un an, le gouvernement présentait l'initiative Industrie du futur, censée accélérer l'intégration du numérique par les industriels. L'institution ne porte toutefois pas de jugement sur ces programmes, alors qu'elle était bien plus prolixe sur les autres indicateurs.
Des services publics plus dynamiques en ligne
La France est également bien placée en ce qui concerne l'administration en ligne, 48 % des Français effectuant des formalités en ligne (contre 32 % en moyenne en Europe). Elle est également en avance dans la transparence et l'incitation à l'usage de ces outils en ligne, même si son score évolue moins vite que celui des autres pays sur la question. La Commission remarque les efforts en cours par l'administration, comme le site service-public.fr, la politique du « Dites-le-nous une fois » et l'importance croissante de l'open data avec Etalab.
De même, France Connect – qui doit devenir un identifiant unique pour les démarches administratives – est salué (voir notre analyse). Pourtant, nous ne disposons pas de stratégie numérique par défaut en matière d'administration, ce qui est encore un manque, juge la Commission.
Certaines de ces différences nationales, notamment sur l'e-commerce, doivent être gommées grâce au marché unique numérique, le grand chantier de l'institution européenne de ces derniers mois, censé faire tomber de nombreuses frontières. Une adoption de ses différentes mesures est espérée d'ici la fin de l'année. Reste que ce train de réformes ne règlera pas certaines questions, dont le développement de l'e-administration, qui semble encore rester une question très nationale.