Copie privée : bras de fer au Sénat entre transparence et opacité

Quand les sénateurs PS ne veulent pas
Droit 6 min
Copie privée : bras de fer au Sénat entre transparence et opacité
Crédits : Sénat (CC BY-NC-ND 2.0)

Le projet de loi sur la liberté de création entrera en discussion au Sénat la semaine prochaine. À l’aide de plusieurs amendements, le sénateur David Assouline, suivi par ses collègues PS, veut revenir sur le sursaut de transparence souhaitée par le sénateur Leleux en matière de copie privée.

Le ring de la copie privée s’apprête à accueillir un nouveau match entre les tenants de la révolution et ceux du statu quo, ceux qui plaident pour la transparence et les autres. Ce sujet, généralement méconnu en raison de sa complexité, est pourtant suivi de près par les ayants droit. Et pour cause, ceux-là savent que toute évolution législative non maitrisée peut menacer leur manne. La bagatelle de 230 millions d’euros qu’ils butinent chaque année sur la plupart des supports vierges, de la box au DVD vierge, en passant par le disque dur externe, la clef USB ou la carte mémoire.

Les sénateurs PS ne veulent pas d’experts indépendants en commission

L’un des nerfs sensibles touche à la commission chargée d’établir assiette et taux de la redevance en question, la Commission Copie privée. Cette instance est présentée comme « paritaire ». 12 bénéficiaires de la ponction (les ayants droit) ne font-ils pas face à 12 redevables ?

En réalité, comme souvent, pour bien régner, il suffit de bien diviser. Ces derniers sont divisés en deux camps. D’un côté, 6 consommateurs, de l’autre, 6 industriels (fabricants, télécoms, etc.). Les ayants droit n’ont ainsi qu’à espérer le ralliement d’une seule voix d’en face pour transformer leurs désirs en réalité.

Comme on pouvait s’y attendre, l’instance a connu ses crises, parfois très lourdes, conduisant comme en 2011 à l’éclatement. 5 industriels avaient en effet décidé de claquer la porte, dénonçant un simulacre de paritarisme. Heureusement, fin 2015, la Commission a retrouvé ses membres. Il faut dire qu’en 2015, un rapport commandé par Fleur Pellerin, ministre de la Culture, a tenté de trouver des pistes pour réactiver ces travaux.

Pour apaiser les relations et calmer les appétits, le document a notamment proposé qu’un collège d’experts indépendants soit nommé par les ministres de la Culture, de la Consommation et de l’Industrie, parmi les membres de la Cour des comptes, de l’Inspection générale des finances, de l’Inspection générale des affaires culturelles ou du Conseil général de l’économie, de l’industrie, de l’énergie et des technologies (p. 13 du rapport).

En préparation des débats sur le projet de loi Création, le sénateur Jean-Pierre Leleux s’est naturellement inspiré de ces lignes pour proposer donc, l’arrivée d’un collège de magistrats en commission copie privée. Ces trois personnes auraient ainsi pour mission d’apporter leur expertise sur la méthodologie, les études d’usages, etc. Bref, toute l’arrière-scène de la fixation des taux et de l’assiette.

La proposition du rapporteur a cependant sauté à l’Assemblée nationale, qui a lui préféré un collège de représentants des trois ministères. Ce qui n’est évidemment plus la même chose.

Pugnace, le sénateur Leleux a réintroduit son collège d’experts indépendants, une fois le texte de retour au Sénat en seconde lecture. Les arguments sont là : « Il me semble évident, pour ce qui concerne la composition du nouveau « pôle public » de la commission de la copie privée, que la solution, préconisée par les députés, d’y nommer trois représentants des ministères en charge de la culture, de l’industrie et de la consommation risque de conduire à ce que chacun d’entre eux épouse, fort légitimement, la position qui conviendra le mieux aux intérêts défendus par son ministère de tutelle : ceux des industriels, des ayants droit ou des consommateurs ». Ajoutons qu’on imagine assez mal les représentants de gouvernement s’écharper sur la redevance copie privée. Dans le scénario du pire, on doit même craindre que le lobbying exercé auprès du Premier ministre par le plus influent des trois collèges actuels imposera une position commune. D’ailleurs, rappelons que Bercy a aussi un petit intérêt dans la redevance, puisque la TVA s’applique sur la ponction. En clair, lorsque 230 millions sont collectés chaque année, il y a 46 millions (en plus) qui tombent dans le budget public. Toujours ça de pris !

Cette drôle guerre se poursuit aujourd’hui à quelques jours des débats en séance. David Assouline, suivi par l’ensemble des sénateurs socialistes, a déposé un nouvel amendement pour chasser ces vils indépendants. Il prône encore et toujours l’intervention de « trois représentants des ministres chargés de la culture, de l’industrie et de la consommation ».

Les sénateurs PS ne veulent pas de déclarations d’intérêts

Sur le même amendement, David Assouline a gommé une autre proposition du sénateur Leleux puisée dans le rapport Maugüé, à savoir qu’outre le président, les membres de la Commission copie privée soient astreints à transmettre une déclaration d’intérêts à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Un coup d'effaceur asséné sans la moindre explication.

Pourtant, une telle publication permettrait, sous la menace de sanctions, de traquer une éventuelle brebis galeuse, à savoir l’hypothèse d’un membre d’un collège minoritaire qui aurait aussi des intérêts avec les ayants droit, confinant le paritarisme à un rêve de façade. L’amendement PS se satisfait du minimum vital, réservant l’obligation de déclaration au seul président de la Commission…

Les sénateurs PS ne veulent pas la publicité du règlement intérieur

Mieux encore, le même texte dézingue l’obligation pour la commission copie privée de publier au Journal officiel son règlement intérieur. En somme, « grâce » aux élus socialistes, les consommateurs seraient tenus de payer la copie privée, tout en ignorant la cuisine interne à l’élaboration des barèmes !

Un peu comme si le règlement de l’Assemblée nationale ou du Sénat n’était soumis à aucune publicité, condamnant les citoyens à l’opacité la plus totale quant aux règles orchestrant l’élaboration des normes. Belle affaire !

Les sénateurs PS ne veulent pas l’intervention d’une autorité indépendante

Jean-Pierre Leleux a voulu également que les études d’usages, aujourd’hui financées par les ayants droit, soient confiées à la Hadopi. « Ces travaux ne pourraient ainsi faire l’objet d’aucun parti pris » avait considéré l'élu. Suivant les députés, les sénateurs socialistes refusent l’intervention de cette autorité indépendante, là encore sans la moindre justification.

Ils se contentent de proposer que 1 % de la redevance soit aiguillée pour financer ces études. Elles resteraient ainsi confinées entre les murs de la Commission copie privée, loin des yeux extérieurs puisque les travaux en cours sont frappés de confidentialité.

Les sénateurs PS ne veulent pas soumettre à agrément le collecteur de la redevance

Leleux avait aussi proposé que Copie France, la société des ayants droit chargée de collecter la redevance, soit soumise à agrément. Cet agrément impliquerait notamment l’arrivée de consommateurs et d’industriels à sa tête, histoire d’y retrouver la représentation paritaire de la Commission copie privée.

Sans surprise, ni d’ailleurs d’explication, David Assouline et ses collègues ne veulent pas de l’arrivée de ces intrus dans le pipeline des ayants droit.

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