Alors que le gouvernement s’oppose bec et ongles à ce que le Parlement instaure un véritable dépôt légal des livres numériques, un amendement vient d’être redéposé au Sénat dans l’espoir d’arriver à combler une situation qui paraît ô combien paradoxale. Explications.
Comme pour la copie privée, les sénateurs pourraient bien ne pas lâcher le morceau. Les écologistes Marie-Christine Blandin et Corinne Bouchoux vont en effet tenter – après une percée victorieuse lors des débats en première lecture – de contraindre les éditeurs à transmettre à la Bibliothèque nationale de France (BNF) une copie de leurs ebooks.
Le droit actuel souffre pour mémoire d’une sorte d’angle mort : s’il est obligatoire pour les professionnels concernés de transmettre un exemplaire de leurs livres au format papier à l’institution en charge du dépôt légal, il n’en est rien pour ceux au format numérique. Comme l’explique la BNF, les ebooks font effectivement figure de « cas particulier », celui qui commercialise de tels livres n’ayant « aucune démarche active » à effectuer. Et pour cause, les robots archivant le « web français » sont censés récupérer ces livres lors de leurs moissonnages.
Le problème, rappellent les sénatrices Blandin et Bouchoux, réside dans le fait que « les livres numériques sont pris en compte de manière incomplète par le dispositif de dépôt légal obligatoire », en raison des « limites techniques rencontrées » parfois par les robots moissonneurs de la BNF (obligation de payer, DRM, etc.). Voilà pourquoi ces deux parlementaires demandent à ce que les éditeurs transmettent un fichier de leurs ebooks à la BNF. « Une telle obligation serait relativement légère pour les éditeurs, dans la mesure où, contrairement aux exemplaires papier, la transmission des fichiers numériques n’implique aucun coût », insistent-elles.
La curieuse opposition du gouvernement à une telle réforme
À l’Assemblée nationale, le gouvernement a curieusement combattu une telle réforme en mars dernier. Tout en reconnaissant que le dispositif actuel n’était « pas parfaitement adapté au monde du livre numérique », la ministre de la Culture a soutenu mordicus que les éditeurs étaient « déjà soumis, sans ambiguïté, à l’obligation de dépôt pour le livre numérique, à l’instar de leurs homologues des autres industries culturelles ». Et ce quand bien même la BNF explique l’inverse, affirmant noir sur blanc qu’à ce jour, « il n'y a pas de dépôt à l'unité des publications numériques en ligne ou téléchargeables, leur collecte passe par le site web qui les diffuse »...

« Madame la ministre, vos arguments sont erronés, je suis navrée de le dire », avait fini par lâcher la députée Isabelle Attard dans l'hémicycle. Audrey Azoulay, soutenue par le rapporteur Patrick Bloche et les députés PS, avait néanmoins réussi à obtenir la suppression des dispositions sénatoriales en faveur d’un véritable dépôt légal des livres numériques.
Restera maintenant à voir si les élus de la Haute assemblée choisissent de maintenir leur position. L’examen du projet de loi Création doit débuter cet après-midi en commission de la culture, et se poursuivra en séance publique à partir du 24 mai. Une commission mixte paritaire se réunira ensuite afin que députés et sénateurs tentent de trouver un compromis.