Les sénateurs ont terminé hier l’examen du projet de loi sur la République numérique. Le texte d’Axelle Lemaire sera voté cet après-midi. On notera, parmi les dispositions validées, celles encadrant les compétitions d'e-sport.
Encadrer les compétitions de jeux vidéo pour les autoriser. Voilà en substance la philosophie qui propulse l’article 42 du projet de loi de la secrétaire d’État au numérique.
Pour bien comprendre la difficulté qui pourrit aujourd’hui cette activité, il faut plonger son nez dans le Code de la Sécurité intérieure. Pourquoi ? Car on y trouve toute la législation qui prohibe les loteries. Or, celle-ci éclabousse l’univers du sport électronique. Dès lors qu’existe d’un côté l’espérance d’un gain dû au hasard, même à titre résiduel et de l’autre, un sacrifice financier quelconque du joueur, alors l’activité est interdite.
Comme déjà exposé, une compétition de sport électronique pourrait être interdite si elle remplit les quatre conditions suivantes :
- Une offre publique
- La naissance de l’espérance d’un gain chez le joueur
- Le sacrifice financier du joueur
- La présence, même infime du hasard
Dans un rapport préliminaire éventé en mars dernier, le sénateur Jérôme Durain et le député Rudy Salles avaient ainsi résumé d’un trait la problématique rencontrée par le sport électronique : « pour peu qu’elles présentent l’espérance d’un gain pour les participants victorieux, un droit d’entrée même minime, et qu’elles soient organisées au dehors du cercle strictement privé, les compétitions de jeux vidéo remplissent manifestement ces quatre conditions ».
L’article 42 du projet de loi Lemaire, adopté hier par les députés, crée donc une exception à cette prohibition, du moins pour les seules compétitions de jeux.
Noir c’est noir, il n’y a plus de e-sport
Cet accouchement s’est réalisé non sans douleur. Dans le texte adopté en Commission des lois le 6 avril dernier, le rapporteur Christophe-André Frassa souhaitait que ces compétitions soient soumises à « une autorisation temporaire délivrée, après enquête, par le ministre de l'Intérieur ».
Un mode opératoire qui n’a vraiment pas satisfait de nombreux parlementaires, mais également la secrétaire d’État au numérique : « Faut-il une enquête préalable avant l'autorisation préfectorale ? C'est la police et c'est très loin de la réalité de la question ! Vous vous rapprochez là du régime des casinos. Attention aux stéréotypes et aux clichés, faisons confiance à la jeunesse ! ». Toujours durant les débats noués hier en hémicycle, elle a ajouté : « vous voulez établir un régime d'autorisation préalable très strict, qui s'applique en fait aux seules grandes manifestations sportives comme le Tour de France. Nous n'avons pas la même conception de l'ordre public : le jeu vidéo ne menace pas la sécurité et la nation ».
Un régime finalement conditionné à des seuils fixés par décret
Hier, après adoption d’une série d’amendements, le régime est finalement tout autre. Il crée une dérogation à l’interdiction dès lors qu’on reste sous une série de seuils, notamment de frais d’inscription.
Dans le détail, un sacrifice financier sera admis, mais seulement si on reste en dessous d’une fraction du coût total d’organisation de la manifestation, coût incluant le montant total des gains et lots proposés. Et c’est un décret en Conseil d’État qui fixera ce taux, étant précisé par la loi que « ce taux peut varier en fonction du montant total des recettes collectées en lien avec la manifestation ».
Le montant total des gains et lots sera également plafonné par décret. Simplement, quand le chiffre effectif dépassera ce montant, les organisateurs devront justifier « de l’existence d’un instrument ou mécanisme, pris au sein d’une liste fixée par ce même décret, garantissant le reversement de la totalité des gains ou lots mis en jeu ». Ce pourra être un compte sous séquestre, prévient le Gouvernement.
Ces dispositions sont complexes, mais pour aller à l’essentiel, retenons que l’idée est d’éviter que les organisateurs puissent tirer de juteux bénéfices sur les épaules des frais engagés par les participants. À ces acteurs donc de trouver d’autres sources de financement, histoire de contenir le sacrifice des joueurs dans des limites respectables.
Précisions que ces compétitions devront être, non « autorisées », mais déclarées à une autorité administrative, elle aussi définie par un décret. En cas de problème quant au respect des conditions posées par la loi, celle-ci pourra donc interdire la tenue de cette compétition.
Les mineurs pourront y participer, mais seulement avec l’aval de leur représentant légal (parents, etc.) lequel devra être « informé des enjeux financiers de la compétition et des jeux utilisés comme support de celle-ci », outre de la signalétique affectant les jeux selon l’âge du mineur.
Enfin, pour les compétitions de jeux vidéo se déroulant en ligne, notamment au titre des phases qualificatives), la loi pose que « les frais d’accès à internet et le coût éventuel d’acquisition du jeu vidéo servant de support à la compétition ne constituent pas un sacrifice financier ». Là encore avec l’idée d’évincer l’interdiction du Code de la Sécurité intérieure, tout en minorant au maximum le sacrifice du joueur.
Quand le e-sport fait vivre
Remarquons aussi l’article 42 bis A du projet de loi qui institue un statut pour « le joueur professionnel de jeu vidéo compétitif salarié ». Cette disposition s’inscrit là encore dans la lignée du rapport Durain-Salles.
Un tel contrat permettra d’instaurer un lien de subordination entre le joueur et une association ou une société, soumise à agrément. Il sera à durée déterminée au minimum d’un an, en principe, sauf pour ceux des joueurs ayant pris une compétition en cours ou en remplacement d’un joueur défaillant. Il ne pourra par contre excéder une durée supérieure à cinq ans.
Dans tous les cas, il pourra néanmoins être renouvelé « afin d’assurer la protection des joueurs professionnels de jeu vidéo compétitif et de garantir l’équité des compétitions ». La loi a prévu un certain formalisme à ces contrats qui, en cas de violation, pourront être réputés à durée indéterminée.