Droit à la déconnexion, « partenariat » entre le ministère de l’Éducation nationale et Microsoft, plan Très haut débit, Hadopi... Next INpact a pu interroger Axelle Lemaire, la secrétaire d’État au Numérique, sur plusieurs sujets brûlants évoqués au cours des derniers mois dans ces colonnes.
Notre dernier entretien avec la locataire de Bercy nous a effectivement permis d’aborder davantage de dossiers que son seul projet de loi – débattu à partir d’aujourd’hui en séance publique au Sénat (voir le premier volet de notre interview).
Un récent rapport propose d’instaurer un « statut de l’innovateur public », afin d’assurer une certaine liberté aux fonctionnaires informaticiens – surtout vis-à-vis de leur hiérarchie – ce qui leur permettrait de s’impliquer davantage dans des projets liés par exemple aux logiciels libres. Qu’en pensez-vous ?
Je pense que c'est une bonne idée ! Tout ce qui peut contribuer à donner un espace de créativité, non seulement aux agents publics mais aussi salariés du privé, doit pour moi être encouragé. Je réfléchis d’ailleurs à la création d’un « compte innovation » un peu sur le modèle des entreprises numériques qui réservent une journée par semaine ou par mois à l'implication dans un projet associatif ou la création d'une entreprise. Cet usage pourrait être un jour généralisé, pourquoi pas dans le cadre du compte personnel d’activité [dont devrait bénéficier chaque actif à partir du 1er janvier 2017, ndlr].
Je trouve que l'innovation individuelle doit être toujours plus encouragée au sein de l'appareil de l'État. Tout ce qui encourage l'innovation publique est à mes yeux positif. L'incubateur de start-ups d'État, qui a été créé au SGMAP, est à ce titre formidable. J'aimerais que ce modèle-là se multiplie et qu'on le voie émerger dans chacune des administrations : la démultiplication des start-ups d'État permettrait d’attirer spontanément les innovateurs publics. Mais ça suppose de vaincre toutes les résistances pour renverser la hiérarchie, un peu comme on l’a fait avec la consultation en ligne sur le projet de loi pour une République numérique. C’est un travail de longue haleine, il ne faut pas se voiler la face.
Êtes-vous satisfaite du « droit à la déconnexion », tel qu'introduit dans le projet de loi Travail ?
Il est important que le sujet figure dans le texte, de même que celui du télétravail. Ce sont deux questions qui doivent être abordées au plus près des besoins des salariés et de l'entreprise. Ce que prévoit le texte, c'est que le sujet soit évoqué lors de la négociation annuelle obligatoire sur la qualité de vie au travail.
Le fait pour certains salariés d'être connectés en permanence peut être mal vécu, donc il faut mettre ce sujet sur la table pour aboutir soit à des chartes, soit à des cadres plus contraignants (mais toujours discutés de manière ouverte et transparente au sein de l'entreprise). En Allemagne, notamment dans le secteur automobile, il y a déjà des conventions de ce type.
Certains poids lourds de la majorité, tels que Benoît Hamon, estiment qu'il sera très dur de rendre ce droit effectif en l’état, car les employeurs auront le dernier mot...
J'estime que ce droit à la déconnexion doit avant tout être une protection pour le salarié, pour qu'il ne puisse pas lui être reproché de ne pas avoir répondu en dehors de certaines heures définies à l'avance. Pour cela, il faut une prévisibilité et un cadre. La prévisibilité, en soi, est protectrice pour le salarié. Donc ce qu'il faut, c'est que ce cadre soit écrit et connu – que ce soit l'employeur qui le définisse ou un accord.
J'ai le sentiment que c'est devenu un sujet tellement important pour les salariés que ces derniers le mettront nécessairement sur la table des négociations, avec des demandes très précises à l’attention de leurs employeurs. À ce stade, je suis assez confiante sur le fait que ce sujet, comme celui du télétravail, va faire l'objet de négociations en interne et surtout au niveau de l'entreprise (et pas uniquement des branches, ce qui est la nouveauté). C'est quand même une question qui est abordée différemment selon la catégorie socio-professionnelle des salariés, selon leur âge, voire selon leur sexe. D'où ce besoin de coller au plus près des attentes de chacun.
Avez-vous été choquée par le récent accord de « partenariat » entre Microsoft et le ministère de l’Éducation nationale ?
Il est compliqué pour moi de me prononcer sur la validité d’un accord signé par un autre ministère, et sur lequel nous n’avons donc pas été associés. Le ministère de l'Éducation nationale reste quoi qu’il en soit confiant quant à la solidité juridique de ce partenariat.
Et sur son aspect symbolique ? On sait pertinemment que les enfants qui s’habituent à des programmes vont avoir tendance à y être dépendants par la suite...
C’est bien pour cela que je serais pour ma part très favorable à la conclusion d’autres partenariats de ce type avec l’écosystème des logiciels libres et open source.
Au-delà des symboles, il faut aussi rappeler la réalité sur le terrain : le ministère de l’Éducation nationale est l’un des plus gros contributeurs et utilisateur de logiciels libres. À titre d’exemple, 23 000 serveurs EOLE ont été déployés au sein des établissements scolaires et les suites OpenOffice et LibreOffice sont très largement utilisées dans l’Éducation nationale tout comme elles le sont d’ailleurs par mes équipes et à Bercy.

Que dites-vous aux électeurs de François Hollande déçus de voir que l'ex-candidat n'a pas respecté son engagement n°45, selon lequel il promettait de « remplacer » la loi Hadopi ?
Ce que je constate quand on parle d'Hadopi, c'est qu'aujourd'hui on traite du sujet et termes d'usages – et c'est heureux. Le parti pris du ministère de la Culture, c'est de mettre l'accent sur l'offre légale et son encouragement. C'est une position que je partage à titre personnel mais s'il fallait aujourd'hui, en avril 2016, ouvrir le sujet Hadopi, à mon avis la réponse est non.
Aujourd'hui, l'actualité du numérique nous montre tous les jours à quel point c'est un sujet qui est dépassé – en tout cas dans la manière très dialectique, très dichotomique et finalement très frontale et conflictuelle avec laquelle il a pu être abordé par le passé. Et quand je vous disais que je me réjouis de voir qu'on a dépassé ces dichotomies dans les débats parlementaires, c'est bien la preuve que les usages l'ont emporté sur le dogmatisme.
En fin de compte, je pense que le numérique évolue plus vite que les programmes politiques, donc nous devons mettre à jour notre action en permanence pour en tenir compte. Le plan pour le numérique à l'école, ce n'était pas le programme de 2012. Le très haut débit, dans la manière dont on l'a mis en œuvre, en étendant en plus à la question de la couverture mobile (qui était potentiellement une Boite de Pandore, personne ne s'y était collé depuis des années !), toute la politique d'innovation qu'on a réécrite, la création de la French Tech, avec des outils de financement au service du développement de nos écosystèmes de startups... Jamais un gouvernement français n'a fait autant pour le numérique ! C’est d’ailleurs ce que me disent souvent mes interlocuteurs à l'étranger.
Les récents attentats qui ont frappé notre pays conduisent les pouvoirs publics à s'interroger sur l'adaptation de nos moyens de secours. Le gouvernement envisage-t-il de développer une application qui permettait notamment de signaler une prise d'otage sans avoir besoin de faire usage de sa voix ?
Oui, on y travaille. Mais ce chantier doit être engagé aussi avec la communauté citoyenne, d’où peuvent émerger des solutions nouvelles. C’est une leçon que j'ai retenu des attentats : les initiatives assez innovantes sont venues des gens, des hashtags utilisés sur Twitter, etc. Il est vrai qu’il y a très certainement des progrès à faire au plan technologique. C’est l'objet par exemple du hackathon organisé avec la ville de Paris où toutes ces questions ont été posées et des solutions proposées par les participants – dont des applis. On réfléchis en ce moment à la façon dont ces solutions pourraient être intégrées dans les réponses des pouvoirs publics. La réponse aux attentats passe bien sûr par le côté sécurité publique et ordre public, mais pas seulement. Il y a aussi le côté mobilisation citoyenne et efficacité de nos dispositifs. Le numérique et les outils technologiques peuvent être une partie de la réponse.
Où en est-on de la validation du plan France Très Haut Débit par la Commission européenne ?
97 départements sur 101 sont engagés. Ils ont soumis un dossier avec une demande de financement, que nous instruisons pour validation juridique et financière. Le pays dans sa totalité est lancé dans ce programme de déploiement territorial du numérique. Nous avons notifié le plan à la Commission européenne, et poursuivons les échanges pour expliquer notre cahier des charges. Les choix qui ont été faits correspondent à des modèles d’organisation nouveaux, encore mal connus de la Commission européenne. Mais les signaux sont positifs, et je suis optimiste sur l’issue de ces échanges.
Vous n’avez aucune idée, même approximative, de l’horizon de validation ?
Je me suis entretenue à plusieurs reprises avec les commissaires. Emmanuel Macron également. On a toujours reçu des réassurances de la part des commissaires européens concernés. Il y a clairement une volonté partagée de faire aboutir cet examen de la notification.
Merci Axelle Lemaire.