Ils n’en veulent vraiment pas. Dans le cadre des débats sur le projet de loi Numérique, une armée d’ayants droit s’est constituée pour dégommer l’exception de panorama étendue en Commission des lois au Sénat.
Si gouvernement et parlementaires n’avaient pas bien compris le message, ils n’auront aujourd’hui plus d’excuses. Une ribambelle de sociétés d’auteurs, syndicats et associations d’artistes et de créateurs, ont publié un communiqué commun pour marquer leur « totale opposition » à une arrivée trop généreuse de cette exception de notre droit. « Celle-ci doit rester strictement limitée aux particuliers et à des fins non lucratives, s’égosillent-ils. Au-delà, la fissure dans le droit d’auteur deviendrait brèche ! ».
La source du mal : l'exception ouverte aux associations
L’origine de ce courroux ? L’adoption d’un amendement en commission visant à élargir plus encore cette possibilité introduite dans le projet de loi Lemaire. En l’état actuel, programmée pour être inscrite à l’article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle, cette exception va rogner le monopole des titulaires de droit.
À l’instar de nombreux autres pays européens, elle autoriserait la reproduction et la représentation d'œuvres architecturales et de sculptures, placées en permanence sur la voie publique. Toutefois, initialement réservée aux seules personnes physiques, elle a été étendue aux associations loi 1901 en commission sénatoriale. La goutte de trop.
La SACEM, la SACD, la SCAM, et bien d’autres acteurs influents du secteur culturel rappellent que « le droit d’auteur est LE lien concret entre l’artiste et son œuvre ». Dans leur esprit, il est donc tout simplement intolérable que la liberté de panorama - le fait de prendre en photo la Pyramide du Louvre par exemple - soit reconnue aussi aux associations : « Il existe tant d’associations et d’une telle diversité dans leurs activités et dans leurs dimensions, qu’une exception aussi vaste serait inacceptable ».
Si la disposition venait à être adoptée, ils esquissent un avenir sombre pour leurs intérêts : « non seulement cela remettrait en cause, sans aucun fondement, tous les mécanismes actuels d’autorisation qui fonctionnent et permettent la diffusion des œuvres dans le respect des auteurs, mais ce serait aussi un précédent terriblement dangereux pour tous les secteurs de la création ».
Un lobbying pour dénoncer « le lobbying acharné de Wikimédia »
Au passage, ils assènent aussi quelques gifles : « le lobbying acharné de Wikimédia qui ne compte ni son temps ni son argent sur le sujet est tout à fait… surprenant ». Pour les sociétés d’auteur, dont l’expertise en matière de lobbying n’est plus à démontrer, « qu’on ne s’y trompe pas, sous couvert d’accès à la culture, l’action de Wikimédia fait avant tout le jeu des grandes plateformes de l’Internet ». Le riche Wikimédia, pantin de Google ?
Cette surchauffe des acteurs de la culture devrait atteindre un cran supérieur à la lecture d’autres amendements. Le texte actuel prohibe les usages à caractère directement ou indirectement commercial, ce qui restreint la possibilité de partager des photos sur des réseaux sociaux édités par des sociétés. Or, des sénateurs voudraient faire aussi sauter ces restrictions.
De son côté, la fondation redoute l’arrivée d’une exception trop restreinte. Et pour cause, ses licences libres autorisent souvent le partage même à des fins commerciales des photos de bâtiments illustrant les pages de l’encyclopédie. « Il est invraisemblable de demander une modification de la loi française au détriment des auteurs plutôt que de changer la licence choisie par Wikimédia en 2002 ou les conditions générales d’utilisation de Facebook ou Twitter par exemple. Curieuse hiérarchie des normes ! » réagissent énervés les ayants droit. « Sacrifier des catégories entières d’auteurs pour satisfaire des intérêts particuliers ou commerciaux serait une décision lourde d’injustice et incompréhensible pour la communauté déjà fragilisée des auteurs ».