C’est demain que débutera l’examen en séance du projet de loi Lemaire sur le numérique. À cette occasion, plusieurs sénateurs proposent d’étendre allègrement le délai de prescription des délits de presse (injures et diffamations) commis en ligne.
Et si l'on adaptait les règles de prescription pour sanctionner les injures et les diffamations publiées en ligne ? Un groupe de sénateurs entend revoir en ce sens les règles de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. À ce jour, l'action publique et l'action civile se prescrivent en principe après trois mois révolus. En clair, la victime peut porter plainte dans ce laps de temps, plus au-delà.
Une série d'exceptions
Il existe toutefois une série d’exceptions. En 2013, le tribunal de grande instance de Paris a revu la règle de calcul habituelle, à savoir que sur Internet, le point de départ est fixé au jour de la première mise en ligne. Pour les juges, en effet, la publication d'un lien hypertexte équivaut à une sorte de remise en ligne du texte litigieux auquel il renvoie. Cette position permet donc à la victime de profiter d'un répit dans l'agenda : « La réédition d’un livre fait courir un nouveau délai de prescription ; [...] il en va de même, pour des propos figurant sur le réseau Internet, la création d’un lien hypertexte permettant d’accéder directement à un article plus ancien, que la création d’un tel lien doit être analysée comme une nouvelle mise en ligne du texte auquel ce lien hypertexte renvoie. »
Depuis 2014, en outre, les parlementaires ont isolé les injures et diffamations qui visent une personne ou un groupe de personnes pour des motifs racistes, sexistes, homophobes ou à l'encontre des handicapés. Pour ces cas, la prescription est alors d'un an.
Un an pour toutes les injures et diffamations
Dans le cadre du projet de loi Numérique d’Axelle Lemaire, des sénateurs LR veulent revoir tout ce régime pour l'harmoniser, à la hausse. Ils proposent que dans la loi de 1881, le délai de 3 mois soit porté à un an pour toutes les infractions concernées dès lors que les propos ont été publiés en ligne.
Dans l’exposé de leurs motifs, ils expliquent qu’« en 1881, avec un journal ou des libellés papier, il n’y avait plus de trace du délit 3 mois après. Sur internet, non seulement on peut découvrir qu’on est victime 6 mois après les faits, mais en plus l’injure ou la diffamation reste « éternellement » en ligne ».
Avec la généralisation du web, des réseaux sociaux, insistent-ils, « la victime est durablement atteinte par l’utilisation à son insu de ces données la concernant ». Il serait donc temps de dépoussiérer le texte en question afin d’injecter une différenciation des délais de prescription selon les supports et « ne pas priver plus longtemps de moyen d’action les victimes de diffamation ou d’injure sur internet ».
L'opposition du gouverment
Lors de l’examen en commission, le rapporteur Christophe-André Frassa avait déjà repoussé un premier amendement allant dans le même sens. Un rejet justifié parce que le sujet est actuellement à l'étude dans le cadre de la mission d’information confiée fin 2014 à François Pillet (LR) et Thani Mohamed Soilihi (PS) et portant sur « le droit pénal à l’heure d’Internet ».
Plus en amont, à l’Assemblée nationale, Axelle Lemaire s’était elle aussi opposée à une telle réforme soutenue par Nathalie Kosciusko-Morizet. La secrétaire d’État préférait marquer son attention sur le droit au déréférencement, dénonçant les conséquences « potentiellement très lourdes » d’une redéfinition des prescriptions.
L’amendement propose « de revenir sur l’équilibre délicat qui a été trouvé en 1881 dans un texte fondateur, la loi sur la liberté de la presse, sur laquelle le Gouvernement n’a pas l’intention de revenir ». « L’internet n’existait pas ! » lui avait alors rappelé NKM. Peine perdue : « Le Gouvernement ne souhaite pas traiter les publications en ligne de manière différente en modifiant la loi de 1881 sur la liberté de la presse, loi fondatrice dont il convient de respecter l’équilibre. »