Sur Twitter, Nicolas Chatin avait qualifié Free de « coucou » se posant en « Calimero ». Un gazouillis de trop pour Free qui avait porté plainte pour injure publique. Le directeur de l’information de SFR a finalement été relaxé, et Free condamné pour procédure abusive comme nous avons pu le constater dans l'ébauche du jugement du TGI de Paris.
Le 27 novembre 2013, le quotidien Les Échos révélait l’existence d’une lettre de Free adressée à SFR, Bouygues, l’Arcep et l’Autorité de la Concurrence. De sa belle plume, l’opérateur implorait ses concurrents de lui faire une proposition, histoire d’accueillir les fréquences du partage de réseau que les deux entreprises envisageaient de mutualiser. Pour l’aigle Xavier Niel, cet accord de mutualisation risquait en effet d’être un facteur de déstabilisation majeur s’il en était exclu. Ce même jour, Nicolas Chatin publiait ce tweet cinglant : « quand le coucou se pose en Calimero », suivi d’un lien vers l’article de nos confrères.
FAI comme l’oiseau
Ce fut le coup de bec de trop. Le 24 février 2014, Free Mobile et Free déposaient plainte et se constituaient parties civiles pour injure publique envers un particulier. Une procédure à la délicatesse d’un bulldozer, puisque suivie automatiquement d’une mise en examen.
Dans la copie de travail du jugement que nous nous sommes procurée, Free réclamait pas moins de 10 000 euros de dommages et intérêts, un communiqué judiciaire dans deux journaux ou sites Internet, outre 3 000 euros pour couvrir les frais de justice. En somme, du lourd.
Dans ce nid à embrouilles, l’essentiel de la décision rendue ce 15 avril, mise en lumière par nos confères de ZDNet, est un peu surréaliste. Free a considéré que par ce qualificatif plumesque, « le prévenu véhicule contre les deux sociétés la notion d’usurpateur, de profiteur et d’imposteur ». De même, l’expression et celle de « Calimero » « ont des connotations bien plus péjoratives que sympathiques, manifestant de la part de l’auteur des propos l’intention de leur nuire ». On ne touche donc pas impunément au ramage et au plumage d’un si bel oiseau.
« Coucou », c‘est mou
Dans cette drôle de basse-cour, l’analyse n’a pas été partagée par le ministère public pour qui « coucou » n’est ni méprisant ni outrageant, mieux : ces expressions restent dans « les limites admises à la critique exprimée sur un ton humoristique ».
La 17e chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris a suivi ses conclusions. Elle a rappelé le contenu de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881, à savoir que l’injure est une « expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait », avant d’égrainer chacun des termes : « une expression outrageante porte atteinte à l’honneur ou à la délicatesse ; un terme de mépris cherche à rabaisser l’intéressé ; une invective prendre une forme violente ou grossière ».
Quand la justice nous explique le « coucou » et « Calimero »
L’article des Échos sur les genoux, le TGI de Paris a donc déployé ses compétences ornithologiques pour expliquer qu’un « coucou » est une espèce européenne « connue pour son inaptitude à construire son propre nid et pour investir les nids construits par d'autres oiseaux ». Or ici, Free « cherche à faire sa place dans un secteur d’activité dominé par des opérateurs historiques ayant déjà développé leurs réseaux ».
Quant à « Calimero », les juges ont révisé leurs classiques, dopés à Récré A2 et aux Visiteurs du Mercredi : voilà donc un « poussin isolé et malchanceux, qui se lamente des injustices qu’il subit pour susciter l’apitoiement de son entourage et obtenir des issues favorables ». Et selon eux, cette métaphore répond à la référence animalière de l’article des Échos qui avait comparé Free avec « un chien dans un jeu de quilles ».
« En comparant cet opérateur à Calimero, Nicolas Chatin filant la métaphore de l’oiseau, fait directement référence à la fois au fait que Free se présente dans sa lettre à SFR et Bouygues Télécom comme un « quatrième opérateur » cherchant sa place parmi les « trois opérateurs historiques », en position de force, et aux suppositions de l’article sur le fait que Free a tenté par cette lettre de faire réagir Orange pour étendre au réseau 4G le partenariat qu’il avait signé avec celui-ci pour d’autres réseaux, à l’instar de Calimero, poussin malchanceux, qui se lamente des injustices qu’il subit pour susciter l’apitoiement de son entourage et obtenir des issues favorables. »
Bref, voilà des termes qui comportent « l’imputation d’un fait précis, exclusive du délit d’injure publique », ce qui doit mécaniquement entrainer la relaxe du prévenu.
Merle alors !
Au passage, le TGI a surtout considéré que Free et Free mobile avaient agi « de manière téméraire et de mauvaise foi ». Mieux, ces deux sociétés « ne pouvaient légitimement voir prospérer leurs poursuites du chef d’injure publique eu égard à la nature des propos poursuivis et au fait que ceux-ci sont indissociables du contexte factuel auquel ils se réfèrent ». Il a même vu que leur action « exercée contre le directeur de la communication de SFR visait manifestement à réduire au silence une entreprise concurrente sur les démarches que les parties civiles ont engagées auprès d’elle ». D’aucuns appelleraient cela la politique de l’autruche.
Nos valeureux juges ont au surplus condamné Free à se déplumer de 10 000 euros au profit de Nicolas Chatin, jugeant la constitution de partie civile abusive. Soit une excellente piste de scénario pour les futures aventures de Calimero.