La proposition de résolution écologiste en faveur d’un revenu de base à l’heure du numérique sera examinée le 19 mai prochain par le Sénat. Next INpact a pu s’entretenir avec son auteur, Jean Desessard.
Les débats, initialement prévus pour le 9 mars, avaient du être reportés faute de temps. Les sénateurs EELV ont finalement pu inscrire leur texte à l’ordre du jour du mardi 19 mai. Cette résolution (dépourvue de valeur contraignante) pourrait être vivement combattue par la majorité sénatoriale et le gouvernement.
L’idée d’un revenu de base (ou « revenu universel ») est loin d’être nouvelle. Qu'est-ce qui vous conduit à penser qu'elle serait plus pertinente encore aujourd'hui ?
Toutes les expériences qui ont eu lieu au niveau international (aux Pays-Bas, en Finlande, en Suisse ou dans d'autres pays) activent les choses. Les gens se rendent compte aussi qu'avec la révolution numérique, des millions d'emplois vont disparaître et que nos systèmes de protection sociale actuels, productivistes, ne sont pas adaptés pour répondre aux besoins de tous ces gens qui vont se retrouver sur le carreau, si l'on peut dire.
Je pense qu'il y a, en France en tout cas, une vacuité des formes de solidarité sociale. Le système des aides sociales paraît lourd, avec beaucoup de saupoudrage. C'est-à-dire qu'on s'aperçoit qu'on met le RSA, après le RSA on met autre chose, et ainsi de suite. Il faut toujours plus ! Notre idée, c’est de dire qu’il y a une allocation qui peut remédier à ça, pour que les gens ne soient pas dans la pauvreté. C'est un revenu que chacun aurait : le revenu de base.
Pourquoi ? Parce que dans nos sociétés qui ont encore une certaine richesse, on ne peut tolérer que des gens soient à la rue. Il faut donc donner à chacun et à chacune les moyens de subvenir à ses besoins vitaux. On voit bien que la chimère du plein emploi s'éloigne de plus en plus !
On a vu que le CNNum avait relancé cette idée. En quoi le numérique vient-il spécifiquement remettre cette idée au goût du jour ?
Avec la robotisation, notamment, beaucoup d'emplois vont disparaître. Il faut bien garantir à chaque humain un revenu de subsistance.
Jusqu’ici, certaines personnes s’y opposaient aussi au motif qu’il était trop compliqué à mettre en œuvre. Or aujourd’hui, la maîtrise de l'informatique aide au développement du revenu de base, même si c'est une idée qui date du 19ème siècle. Ça permet de gérer beaucoup plus facilement la distribution à chacun d’une somme chaque mois. Et c'est normalement plus facile de pouvoir la récupérer au niveau des impôts.
Avez-vous calculé le coût d’une telle réforme ?
C'est une question que nous avons au trois quart résolue, en se basant sur le RSA. Ça nous coûterait environ 400 milliards d'euros par an pour un revenu de base au montant actuel du RSA (524 euros), pour tous, y compris les enfants. Il est évident qu'on aura encore besoin de discuter de ses nombreuses modalités.
En contrepartie, vous supprimeriez le RSA, les allocations chômage ou retraite, etc. ?
Jusqu'à hauteur des 524 euros, on supprime les allocations qui relèvent de la solidarité nationale. C’est-à-dire les minimas sociaux, ces aides que l’État verse indépendamment de la situation de la personne : APL, allocations familiales, AAH... Mais on maintient celles qui sont dans une logique assurantielle : les allocations chômage, par exemple – on y a droit parce qu'on a travaillé avant, ce n'est pas de la solidarité nationale.
Comment comptez-vous financer ces nouvelles dépenses ?
Le revenu de base serait financé avec les aides sociales qui existent actuellement. Et comme on le donne aussi aux classes moyennes, à ceux qui gagnent de l'argent, on va leur reprendre. C'est pas fait pour qu'ils gagnent plus, c'est pour que si un jour ils gagnent moins, qu'ils sont au chômage ou dans la rue, ils aient quelque chose. C'est une solidarité de la société.
Donc on le retrouve sous la forme de l'impôt : vous avez gagné 524 euros supplémentaires, on vous les reprend par l'impôt ; vous étiez au SMIC, vous ne payiez pas d'impôts, mais maintenant vous avez en plus le revenu de base, et bien vous serez imposé, etc.
Ne craignez-vous pas que cela pousse les gens à vouloir moins travailler ?
Le problème, c'est qu'on est dans une société très paradoxale : il y en a qui travaillent beaucoup, et d'autres qui sont privés de travail. Il faut penser maintenant que de toute façon, la recherche du travail pour tout le monde est une chose très difficile. La première question, c'est donc de le partager, et la deuxième question, c'est comment ? Soit on partage tous la même chose par semaine, soit – ce que je pense moi – on a des périodes d'activité intense qui se relaient avec des périodes de « pour soi ».
L’idée, c’est que chacun puisse travailler à fond pendant une période (trois mois, deux ans...) sur quelque chose de motivant, puis, pendant une autre période, puisse arrêter – le revenu de base permettant à chaque individu de conserver un certain niveau de subsistance.
Je connais des jeunes qui sont très forts dans des activités sportives. On ne va pas leur demander d’attendre d’avoir 40 ou 50 ans et les moyens nécessaires pour pouvoir les pratiquer. C'est quand même un peu paradoxal ! Il faut donc que les jeunes puissent disposer d'un revenu. Même indépendamment de ça, je souhaite qu'un jeune qui veuille se consacrer à une activité qui l'intéresse puisse avoir un revenu pour le faire. Pourquoi ? Parce que c'est à ce moment-là qu'il a envie de le faire ! S'il a envie de voyager, très bien... Il revient et il paie sa dette à la société en travaillant à son retour.
Comment comptez-vous surmonter l'opposition du gouvernement sur ce sujet ?
Il faut changer de gouvernement et après on verra...
Merci Jean Desessard