Annoncé en fin de semaine dernière, l'échec du mariage entre Orange et Bouygues a suscité de nombreuses réactions dans le week-end et ce lundi. Parmi elles, celles de Martin Bouygues et du président de l'ARCEP, qui reviennent sur les raisons de l'échec et l'avenir du secteur... Alors que la bourse sanctionne lourdement les groupes télécoms ce matin.
Vendredi 1er avril, les longues négociations autour du rachat de Bouygues Telecom par Orange ont pris fin, sur un constat d'échec. Les quatre opérateurs nationaux n'ont pas pu se mettre d'accord sur la répartition des actifs de Bouygues Telecom, sur fond de mésentente avec l'État à propos de la prise de participation de Bouygues dans Orange.
Les réactions ont donc fusé ces derniers jours dans l'ensemble du secteur, y compris chez l'ARCEP, qui s'était pourtant bien gardé de commenter le sujet jusqu'ici. Quand le patron du groupe BTP affiche son mécontentement face au comportement de certains concurrents dans les négociations, le régulateur affirme le besoin de cesser la guerre des promotions pour renouer avec l'investissement. De son côté, la bourse a largement sanctionné cet échec, certains souffrant bien plus que d'autres.
Martin Bouygues ne regrette rien
Non, rien de rien, non il ne regrette rien. Dans un entretien au Figaro, Martin Bouygues explique que cette opération n'était pas essentielle pour l'avenir de Bouygues Telecom, même si c'est une occasion manquée. Selon lui, la raison de cet échec n'est pas tant son bras de fer avec l'État sur sa future participation dans le capital d'Orange, mais les agissements d'un des autres opérateurs dans les discussions.
« Mais si nous étions quatre à la table des négociations, nous n'étions que trois à vouloir aboutir. Manifestement, l'un des protagonistes nourrissait l'ambition d'avoir le maximum en payant le minimum, tout en gardant la possibilité de se retirer » affirme le patron de Bouygues au Figaro. Quel opérateur ? Martin laisse planer le mystère, même si les yeux se tournent pour beaucoup vers Xavier Niel.
"Pourquoi je n'ai pas vendu @bouyguestelecom à @orange" : mon itw dans @Le_Figaro du jour https://t.co/sNt4vTWmqH pic.twitter.com/XbV3h0Vdn2
— Martin Bouygues (@MartinBouygues) 4 avril 2016
Dans l'absolu, il ne se dit pas inquiet pour Bouygues Telecom, qui continuera sa vie en solo. Une affirmation qui avait déjà été faite au début de l'été 2014 lors de la mise en place d'un vaste plan de réorganisation, ainsi que lorsque l'offre de Numericable-SFR avait été rejetée à l'unanimité.
L'important, selon lui, était d'obtenir assez de garanties pour les employés et limiter l'attente, qui a effectivement suscité de nombreuses spéculations en interne. « La consolidation du marché français avait du sens. Mais puisqu'elle n'a pas lieu, nous allons continuer d'évoluer dans un marché à quatre opérateurs. Cela va être très compétitif » explique-t-il encore.
Compétition ne voudra pas pour autant dire baisse des prix, qui sont déjà bien assez bas selon l'opérateur. Difficile de le contredire, après la guerre des forfaits 4G à 3,99 euros de ces derniers mois. « Il faut être naïf pour croire que le marché français peut durablement fonctionner avec les prix les plus bas au monde dans le mobile et dans le fixe tout en ayant les investissements les plus élevés » explique encore Bouygues, qui prophétise plutôt une montée des prix pour soutenir les investissements.
L'ARCEP veut un retour à l'investissement
De son côté, le président de l'ARCEP, Sébastien Soriano, a fait la tournée des radios pour donner son avis sur l'échec de cette consolidation. Hier soir, face à Emmanuel Duteil sur Europe 1, il a martelé vouloir revenir à un cycle d'investissement plus pérenne, en cessant la guerre des « prix totalement cassés » qui fait rage aujourd'hui ; un affrontement qui ne serait pas viable à long terme. Avec la fin de ces négociations, ce sont les projets de consolidation qui s'envoleraient pour plusieurs années.
« On ne savait plus si on était à quatre ou potentiellement à trois, donc tout le monde se tournait un peu autour. J'espère qu'on aura un peu plus de stabilité, que les opérateurs vont se poser et se concentrer sur leur métier, qui est de faire de bons investissements et fournir de bons services » déclare Sébastien Soriano au micro d'Europe 1. D'ailleurs, la guerre des prix était « une manière pour certains de vouloir faire boire la tasse à d'autres », à savoir Bouygues Telecom, estime-t-il encore.
Dans un marché à trois, l'ARCEP affirme qu'elle aurait dû être plus vigilante sur les prix et les investissements, alors que la concurrence à quatre tient tous les acteurs à l'affût. D'ailleurs, le régulateur explique que l'avance d'Orange sur la fibre (dont il détient à peu près deux tiers des abonnements) est justement un signe de dynamisme. « Orange joue le rôle de locomotive. Il a intérêt à regagner ses clients qu'il a perdu » commente son président. Orange s'était d'ailleurs lui-même qualifié de « locomotive » sur la fibre, lors de la dernière conférence annuelle du plan France THD en juillet dernier.
Interrogé par Le Monde, le président de l'ARCEP affirme tout de même avoir l'œil sur la « locomotive » Orange. « Nous allons lancer le chantier de la régulation d’Orange sur le fixe, notamment de la fibre », éventuellement pour permettre à ses concurrents d'accéder à son réseau, affirme ainsi Sébastien Soriano.
Questionné sur l'offre fixe à 20 euros par mois de Bouygues Telecom, Soriano affirme que « quand on pense au très haut débit, à la fibre optique, il faut investir beaucoup, et ce n'est pas avec 20 euros par mois que l'on pourra financer ces investissements sur toute la France », même s'il se refuse à commenter plus avant la stratégie de l'opérateur.
« Si les opérateurs évitent de partir dans des guerres de promotion inconsidérées, le marché est viable à quatre » a-t-il finalement indiqué ce matin à Sarah Bourg sur France Info. Cela en opposition à des prix « artificiellement bas » qui ne profiteraient pas aux réseaux, donc aux consommateurs.
Les syndicats divisés
Côté syndicats, les déçus font face aux rassurés. Côté pile, la CFDT Bouygues Telecom affirme qu'il s'agit d'une « opportunité ratée » pour stabiliser le secteur, éventuellement en reclassant l'ensemble des salariés de l'opérateur chez Orange. Un scénario qui ne semblait pourtant pas à l'ordre du jour, les employés anticipant eux-mêmes leur partage entre les autres groupes télécoms. De même, pour la CFDT, cette opération aurait pu être « créatrice de valeur pour Orange » et une garantie en termes d'investissement.
Azzam Ahdab, délégué central CFDT de Bouygues Telecom donnait sa vision des choses concernant l'avenir de l'opérateur à l'antenne de BFM Business : « Les salariés nous on y croit, on va se battre, on n'a pas le choix. Mais maintenant il faut que les actionnaires y croient aussi en investissant lourdement dans l'entreprise ».
📣standalone viable à condition:
— CFDT_BYTEL (@cfdtbt) 2 avril 2016
Le DSC CFDT demande aux actionnaires de croire en #BouyguesTelecom en investissant❕ https://t.co/nokOuHNzRI
Face à eux, la fédération CGT de la communication, citée par Les Échos, se montre moins déçue. Pour elle, ce mariage était « avant tout une opération financière visant à une prise de contrôle capitalistique pour des intérêts particuliers ». D'ailleurs, les 10 milliards d'euros mis sur la table devraient être redirigés vers l'investissement et l'emploi, estime-t-elle.
Pour Sud PTT enfin, également cité par Les Échos, après cet échec, « l'urgence sociale mérite que l'Etat soit le garant de l'avenir des investissements dans l'intérêt du public ». Cela même si l'opération posait elle-même des questions importantes en termes d'emploi et de prises de décisions dans le secteur, qui ne doivent pas « se réduire à quelques arrangements entre représentants d'une oligarchie financière ».
Crack 40
Les opérateurs et l’ARCEP n’ont pas été les seuls à réagir à la fin des négociations entre Bouygues et Orange. Les marchés financiers qui attendaient beaucoup de ce rapprochement ont lourdement sanctionné l’échec des discussions entamées officiellement le 5 janvier dernier.
Les groupes Bouygues, Iliad et Numericable SFR sont les plus durement touchés par la nouvelle, avec pour chacun d’eux un recul de plus de 13 % de leur valorisation, moins d’une heure après l’ouverture de la bourse de Paris. Orange de son côté s’en tire plutôt bien en ne chutant que de 5 à 6 points environ.
Ironiquement, l’ensemble des actifs de Bouygues sont aujourd’hui valorisés à hauteur de 10,4 milliards d’euros, soit à peu de choses près la valorisation réclamée par l’entreprise pour sa seule activité télécoms. De quoi étoffer la théorie selon laquelle Martin Bouygues se serait montré trop gourmand en restant sur l'offre qui avait été faite par Patrick Drahi. Depuis le 5 janvier, et en comptant la baisse du jour, la valorisation de l’entreprise a reculé de 18,6 %.
Iliad est aussi perdant dans l’affaire. Avant l’ouverture des négociations, la société de Xavier Niel cotait à 227 euros, aujourd’hui, une action de l’entreprise ne vaut plus qu’environ 192 euros, soit une baisse de plus de 13 %. L’intransigeance présumée de Xavier Niel autour de la table semble donc lui avoir coûté cher. Aujourd’hui, la maison mère de Free et de Free Mobile est valorisée à 11,3 milliards d’euros.
Chez Numericable-SFR, la descente est moins brutale qu’il n’y parait. Le groupe de Patrick Drahi avait en effet profité d’une certaine embellie avec le démarrage des négociations. Entre le 5 janvier et aujourd’hui, l’opérateur n’a ainsi perdu que 5 % de sa valeur environ. Il conviendra tout de même de rappeler que depuis sa réintroduction en bourse à l’été 2015, la société a perdu près de 40 % de sa valeur, et est désormais cotée à hauteur de 13,8 milliards d’euros.
Il n’y a finalement qu’Orange qui s’en tire sans trop de dommages. Son cours boursier n’a dévissé que de moins de 6 points aujourd’hui, ce qui limite la perte à environ 4 % depuis le début des négociations. Une casse limitée qui permet à Orange de garder une valorisation proche des 40 milliards d’euros.