Le projet de loi est passé comme une lettre à la poste. Sans surprise, l’ensemble des amendements portés par les députés Isabelle Attard et Lionel Tardy sur la copie privée a été rejeté. Non sans une once de mauvaise foi ou de réécriture de l’histoire.
Les députés ont adopté hier soir le projet de loi Création en seconde lecture. Dans le lot, on retrouve l’extension de la redevance aux magnétoscopes virtuels (NPVR), un projet qui permettra à Molotov.tv de déployer prochainement ses ailes commerciales. Mais cette première brèche dans l’univers du cloud ne doit pas cacher le reste. Ces deux députés qui avaient tenté de réformer les bugs de cette institution se sont heurtés à un mur, comme si ses maçons n’avaient qu’une mission : sacraliser les 230 millions d’euros, son rendement actuel, coûte que coûte.
Quand Audrey Azoulay réécrit le rapport Maugüé
Cette confrontation ne s’est pas faite sans couacs. Quelques exemples. Lionel Tardy avait suggéré qu’un collège de magistrats intègre la commission copie privée, histoire d’apporter une expertise externe indépendante, plutôt que laisser trop de mou aux 12 ayants droit qui s’y taillent la part du lion. Refus pur et simple d’Audrey Azoulay, épaulée par le député Patrick Bloche, rapporteur du texte. Ceux-ci préfèrent en effet que ce collège externe soit composé de trois représentants gouvernementaux, l’un du ministère de la Culture, un autre de celui de la Consommation enfin un dernier du ministère de l’Industrie.
« La constitution d’un pôle public au sein de la commission de la copie privée, sans voix délibérative, mais avec voix consultative, sera utile, car ses membres pourront assister la commission en cas de besoin et se faire le relais, dans un sens comme dans l’autre, des éventuels problèmes ou des nouvelles questions qu’amène l’évolution des technologies » a soutenu la nouvelle locataire de la Rue de Valois, qui a trouvé « « the » argument imparable : « Cela correspond aux préconisations du rapport de Christine Maugüé ».
Sauf que la ministre n’a pas lu ce rapport, à moins qu’elle n’ait déformé volontairement ses conclusions. Dans le document remis à sa prédécesseur en juin 2015, la conseillère d’État Christine Maugüé avait bien suggéré l’arrivée d’un collège d’experts pour ausculter les études d’usages mises sur la table de la Commission copie privée.
Seulement, page 12, elle suggérait certes que ces trois mousquetaires puissent être nommés, pourquoi pas, par les trois ministères, mais « le cas échant parmi les membres de la Cour des comptes, de l’Inspection générale des finances, de l’Inspection générales des affaires culturelles ou du Conseil général de l’économie, de l’industrie, de l’énergie et des technologies ». Le passage en question se trouve dans ce PDF (aux pages scannées, ce qui évince les robots des moteurs de recherche), isolé dans la capture ci-dessous :
On notera d’ailleurs que Marcel Rogemont, dans son rapport sur les 30 ans de la copie privée, lui aussi publié durant l’été 2015, avait pilonné l’hypothèse aujourd’hui votée. Il le dit dans son texte : cette hypothèse consistant « à renforcer la représentation des pouvoirs publics au sein de la commission » a été « formulée par les ayants droit ».
Or, à l'époque, le député socialiste l'avait repoussé bec et ongles : « l’ajout de représentants de l’État ne constitue pas nécessairement une garantie d’indépendance. Le Président actuel de la commission, représentant de l’État, est considéré par les représentants des fabricants et importateurs de supports et par les représentants des consommateurs comme insuffisamment neutre et trop souvent favorable à la cause des ayants droit ».
De plus, « l’État peut avoir intérêt à ce que le montant de la rémunération pour copie privée soit le plus élevé possible dans la mesure où la part des 25 % de RCP consacrée à l’action artistique et culturelle sera d’autant plus importante. Alors que le ministère de la Culture est soumis à une contrainte budgétaire importante, une contribution croissante des SPRD au financement de la culture peut être bienvenue ». Surtout, « la présence de représentants des différents ministères pourrait se traduire par des conflits interministériels, un rapport de force déséquilibré au profit du ministère chargé de l’industrie et un risque de blocage nécessitant un arbitrage systématique du premier ministre ».
Curieusement, en séance, Marcel Rogemont n’a pas pris soin de rappeler ses écrits estivaux.
Exit la Hadopi, exit l’autorité indépendante
Autre chose. Lionel Tardy avait demandé à ce que la Hadopi soit investie de la réalisation des études d’usages de la Commission copie privée, études qui servent à ébaucher les barèmes de la redevance imposée sur les supports vierges.
Cette fois le même Marcel Rogemont s’y est opposé, arguant que « la commission de la copie privée réalise ses études d’usage comme elle l’entend. Si elle a envie de saisir la Hadopi, elle le fera. Il n’est pas besoin de l’inscrire dans le texte. Le nouveau président de la commission de la copie privée est très attaché à ce que ces études d’usage soient réalisées le plus possible en communion entre ses différents membres ».
Fait piquant, dans son rapport sur les 30 ans de la Copie privée, ce même député avait demandé à ce que les études d’usages soient confiées à une autorité administrative légère. Pourquoi ? Car « le fait de confier à une autorité administrative indépendante (AAI) légère un rôle d’arbitre du système et de garant de sa transparence et de sa lisibilité permettrait à la fois de conserver le fonctionnement paritaire de la commission et de mettre fin aux soupçons d’opacité voire d’une certaine partialité dont ses décisions font parfois l’objet ». Là encore, ces propos, rappelés par Lionel Tardy, ont été poliment tus par son auteur.
Un million d'euros remboursés aux pros, au lieu de 224 estimés
Et le remboursement des professionnels ? Rappelons que les sociétés, associations, églises, etc. n’ont pas à payer la redevance qui ne peut que peser sur les personnes physiques compte tenu des pratiques de copie privée. Mais dans sa généreuse logique, la France a préféré que la redevance soit aspirée au plus haut de la chaine commerciale afin de faire payer tout le monde, libre ensuite aux pros de réclamer le remboursement ou de se faire exempter. Problème, le mécanisme de mise à l’écart des pros – une demande européenne - fonctionne très mal au regard des chiffres distillés par les ayants droit.
Rogemont avait déjà fait ce constat l’été dernier : « Les remboursements des professionnels restent (…) très limités. L’étude d’impact accompagnant la loi du 20 décembre 2011 [sur la copie privée] évaluait les remboursements à un montant annuel de 58 millions d’euros. Or, selon les chiffres communiqués par le ministère de la Culture le 13 mai 2014, le total des remboursements depuis l’origine atteint seulement 375 805 euros, soit moins de 0,65 % de la somme prévue par l’étude d’impact. (…) En avril 2015, Copie France, interrogée par le rapporteur, a indiqué que 776 276 euros avaient été remboursés aux professionnels depuis l’entrée en vigueur de la loi de décembre 2011. Les demandes de remboursement sont très peu nombreuses (1 316 au total) et font l’objet d’un taux d’acception de 84 %. »
Quels sont les chiffres aujourd’hui ? « Quelque un million d’euros », dixit la ministre de la Culture en Commission des affaires culturelles. Ainsi, plus de 4 ans après la loi de 2011, ce montant devait dépasser 224 millions d’euros, selon la méthode de calcul de l'étude d'impact de la loi. Il atteint péniblement un petit million. La différence – 223 millions - est donc conservée par les ayants droit.
Certes, il est aussi possible aux entreprises d’opter pour une exonération du paiement à la source. Mais sur le site de Copie France, la liste des sociétés exonérées plafonne toujours à moins de 2 000 structures, tellement loin des 3,5 millions de personnes morales en circulation…
Pas de déclaration d’intérêts en Commission copie privée
Le député Tardy souhaitait que les membres de la Commission copie privée – 6 consommateurs, 6 industriels, 12 ayants droit - soient astreints à déposer une déclaration d’intérêts. Cette déclaration, très fréquente dans les institutions transparentes, permet de découvrir si un membre n’a pas des liens proches avec d’autres structures, signe d’un nauséabond conflit d’intérêts.
Ce souhait avait été formulé par Christine Maugüé elle-même, dans le rapport rangé soigneusement dans le bureau de la ministre : « il pourrait être demandé aux membres et à leurs suppléants d’adresser [une] déclaration d’intérêts aux ministres chargés de nommer les membres de la commission ainsi qu’au président de la commission, pour veiller à prévenir l’existence de conflits d’intérêts tenant par exemple à ce que des membres du collège des consommateurs ou des industriels qui se trouveraient par ailleurs eux-mêmes en situation de percevoir de la copie privée en qualité d’ayant droit ».
En première lecture, Patrick Bloche avait expliqué au député de Haute-Savoie que « la mise en œuvre d’une telle proposition ne peut passer par la loi, elle relève de la commission pour copie privée, qui doit pour cela modifier son règlement intérieur ». Et le président de la Commission des affaires culturelles se félicitant cependant « nous aurons annoncé ici que le législateur souhaite qu’elle le fasse ». La phrase a été consignée ici.
En seconde lecture, marche arrière toute ! « Nous avons déjà fait un pas, à l’initiative du gouvernement, en obligeant le président à effectuer une déclaration d’intérêts ; nous l’estimons suffisant ». Bloche v2 ne veut donc plus que les membres de la Commission copie privée dépose une telle déclaration d’intérêts, n’évoquant même plus le passage par le règlement. Il se satisfait d’un amendement porté par le gouvernement qui, dans la loi (surprise !), se contente d’astreindre à une telle obligation le président de la Commission Copie privée.
Et pour la nouvelle ministre, c’est le nirvana de la transparence : « les autres membres représentent des intérêts professionnels, et sont nommés après avis d’organisations professionnelles. Il nous semble donc normal que cette obligation soit limitée au seul président ». Elle annonce toutefois que « dans le cadre du règlement intérieur, tous les membres devront déposer leurs curriculum vitæ au secrétariat de la commission pour la bonne information de tous. »
Bref, on ne saura donc pas si tel représentant du collège des consommateurs – c’est une hypothèse - organise des festivals financés par la redevance copie privée, apportant sans rougir sa voix aux 12 titulaires de droits. Au lieu et place, les citoyens devront se satisfaire d’un CV, bêtement non engageant auprès de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique.
Le règlement intérieur non publié au J.O.
Mais il y a mieux. Lionel Tardy, toujours, a tenté de réintégrer une disposition adoptée par les sénateurs, mais démontée en commission des affaires cultuelles à l’Assemblée. Son objet ? Obliger la publication du règlement intérieur de la Commission copie privée. « Je ne vois pas quel argument pourrait s’opposer à une telle publication. Sauf erreur de ma part, le règlement de la commission de la copie privée n’est pas consultable sur internet. Je propose donc de rétablir la publication du règlement de cette commission, ce qui me semblerait tout à fait logique » a exposé le parlementaire en séance. Idée judicieuse : le règlement intérieur pourrait receler des informations très importantes sur les règles et procédures internes, dans la forge décisionnelle.
Réponse de Patrick Bloche ? « Défavorable ». Réponse de la ministre de la Culture ? « Même avis ». Conclusion de Lionel Tardy : « Tout va bien ! »