Quand les opérateurs veulent leur part du marché de la publicité mobile

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Internet 8 min
Quand les opérateurs veulent leur part du marché de la publicité mobile
Crédits : Medioimages/Photodisc/Thinkstock

Et si les publicités sur mobile n'étaient plus décomptés du forfait mais directement payées à l'opérateur par les annonceurs ? C'est ce que préparent un nombre croissant de groupes télécoms américains et européens, en imposant parfois un blocage des publicités jugées excessives. Une défense du consommateur qui a ses avantages pour ces sociétés.

Attention mobinautes, la publicité consume votre connexion. C'est en tous cas ce qu'affirment de plus en plus clairement les opérateurs et certains publicitaires, alors que les éditeurs français ont entamé une guerre contre les bloqueurs de publicités (mais uniquement sur les ordinateurs de bureau).

Une étude d'Enders Analysis datée du 16 mars, reprise par Business Insider, enfonce d'ailleurs le clou : le poids des pages web mobiles peut provenir à près de 80 % des publicités. Le cabinet a chargé huit pages de sites populaires sur un iPhone 6, avec et sans bloqueur. L'abus de publicité et de JavaScript alourdissent les pages de 18 % à 79 %, estiment-ils.

La solution serait-elle d'adopter un bloqueur de publicité ? Cela peut paraître alléchant pour les utilisateurs, mais pose un souci aux éditeurs de presse, qu'ils abusent ou pas dans leurs pratiques, puisque ces outils bloquent tout sans distinction. Les utilisateurs peuvent certes utiliser une liste blanche, mais celle-ci est effacée à chaque nouvelle installation sur un appareil.

Certains opérateurs mobiles se proposent de régler cette question de la consommation de données, à leur manière. Le 19 février, le groupe télécom Three publiait une grande annonce : il compte désormais s'attaquer aux « publicités excessives et sans intérêt ». En clair, les réseaux mobiles du groupe en Italie et au Royaume-Uni doivent bientôt bloquer une partie des publicités proposées à leurs clients.

Le blocage s'exécute au niveau du réseau, via la technologie de la startup israélienne Shine. Ce n'est qu'une première étape, la solution devant être adaptée dans l'ensemble des pays européens où Three est présent.

Améliorer l'expérience publicitaire sur mobile

L'initiative de Three répond officiellement à trois problèmes. Le premier est que l'utilisateur ne devrait pas payer pour recevoir des publicités. Le deuxième est que certaines publicités récupèreraient ou exploiteraient des données personnelles sans autorisation. La troisième est que la publicité n'est pas assez personnalisée.

Pour Three, il ne s'agit donc pas de bloquer toutes les publicités, mais seulement celles que le groupe estime inutiles. La société est d'ailleurs formelle : la plupart du temps, la publicité intéresse et bénéficie à l'utilisateur. « Dans les prochains mois, Three annoncera tous les détails sur la manière dont il accomplira ces objectifs et travaillera avec Shine et l'industrie publicitaire pour délivrer une meilleure expérience, plus ciblée et plus transparente » déclare-t-elle dans son communiqué.

Cette décision n'est pas spécialement du goût d'un autre opérateur britannique, O2. L'opérateur, qui avait étudié cette piste fin 2015, est revenu sur sa position. Pour son patron, Ronan Dunne, le blocage « n'est pas la réponse ». Il demande plutôt à l'industrie de s'unir pour cesser les publicités intrusives, en se référant à l'initiative L.E.A.N. de l'IAB, l'organisme qui représente l'industrie publicitaire. Une position plus modérée que celle de Three, dont le propriétaire s'apprête à racheter O2 pour 10,5 milliards de livres.

Shine, une société spécialisée dans le blocage de publicités

Three est l'un des premiers clients de la startup Shine, derrière cette solution de blocage de publicités. Créée en 2011 pour développer des antivirus mobiles, elle n'est passée au marché de la publicité que récemment. À Business Insider, l'entreprise affirmait en mai que sa solution permettait de bloquer l'ensemble des publicités, mais que son usage dépendait de ce qu'en attend chaque opérateur. Seules sont épargnées les « native ads », tels que les articles sponsorisés, qui sont considérés comme faisant partie du contenu.

« Nous pensons que le blocage de publicité est un droit. Point. Si le consommateur décide de l'utiliser, nous pensons que ça doit être son droit, et ils doivent être capables de le faire en toute intégrité. Personne sur le marché n'a un droit divin d'exister » attaque Roi Carthy, le directeur marketing de Shine, chez Business Insider.

Sa communication se veut d'ailleurs agressive. Dans une publicité, l'entreprise prend directement à parti l'IAB. Alors que celle-ci s'est lancée dans une opération rédemption plus ou moins convaincante (voir notre analyse), Shine prétend vouloir lui porter un sérieux coup, à la manière d'un boxeur. Pour la société convertie au blocage de publicité, l'industrie s'appuie sur « des revenus sales de pratiques intrusives pour ralentir sa chute inévitable ». Un discours choc qui, à n'en pas douter, doit plaire à ses prospects.

Pourtant l'IAB ne cesse de multiplier les initiatives et les promesses. Outre le programme L.E.A.N. qui consiste en une série d'engagements pour une publicité plus respectueuse de l'internaute, exploitant le chiffrement et des formats légers, elle promet une charte de bonnes pratiques qui devrait être publiée dans l'année.

Dans le même temps, elle recommande aux sites de sensibiliser sur la question du blocage des publicités. Mais comme bien souvent, et un peu à la manière d'une HADOPI, le batôn est venu bien avant la carotte. Autant dire qu'une telle initiative de la part d'un opérateur ne devrait pas mécontenter les utilisateurs, à moins que les éditeurs ne choisissent de leur bloquer l'accès, à eux aussi.

Le précédent du Free #AdGate

Cette initiative n'est d'ailleurs pas sans en rappeler une autre : celle de Free. Il y a quelques années, l'opérateur avait en effet mis en place une option de blocage de publicité, ce qui avait mené au fameux #AdGate. Dès lors, deux camps s'étaient opposés, certains ayant choisi de bloquer l'accès aux internautes issus du réseau de Free, d'autres reprochant au FAI d'instrumentaliser les revenus des sites pour ses combats personnels.

Car à l'époque, tout n'était pas bloqué, et c'était bien la régie de Google qui était spécialement visée. Le blocage, outil de libéralisation de l'internaute, était surtout un moyen de pression dans les négociations avec le géant du Net, le tout sur fond de débits ridicules sur des sites comme YouTube.

Depuis, les relations avec Google se sont apaisées, la Freebox Mini 4K sous Android TV est sortie, l'option a disparu des forfaits mobiles de l'opérateur il y a quelques mois, mais reste présente dans la Freebox.

Le blocage de la publicité : un bon moyen de se financer

Le blocage de la publicité comme moyen de pression afin d'obtenir quelque chose, ou même une part du gâteau, ce n'est d'ailleurs pas nouveau. Dans le marché des bloqueurs de publicité, Eyeo est ainsi l'acteur de référence et monnaie cher le fait de passer sur sa liste blanche auprès de certains gros groupes.

De quoi laisser certains penser qu'il s'agit là d'une procédure d'extorsion, puisque l'éditeur se place entre l'internaute et les sites sous prétexte de rendre un service, pour mieux laisser passer ceux qui lui signent un chèque, même lorsqu'ils pratiquent le ciblage comportemental.

Dans la bataille qui oppose éditeurs et bloqueurs, certains ont bien compris qu'il fallait se positionner pour récupérer une part du gâteau. Nous avons ainsi déjà évoqué le cas de Voici et Prisma Médias qui propose sont propre bloqueur, basé sur Adblock Plus, mais laisse passer par défaut certaines publicités sur les sites du groupe.

Un mimétisme qui commence à faire des émules, les solutions « anti-adblock » visant simplement à permettre aux éditeurs de continuer de faire perdurer leurs pratiques se multipliant ces derniers mois. L'important n'est ainsi pas de comprendre le problème ou d'apporter une solution, mais de capter une part du marché publicitaire alors que le secteur est en plein chamboulement technique.

Le marché des données financées par les entreprises

Derrière l'initiative de Three se cache aussi un tout autre chose que le blocage de publicité. Le groupe souhaite que les publicitaires paient pour les données consommées par leurs contenus, ce qui n'est pas sans plaire à certains opérateurs.

Cette idée se répand donc rapidement, au moins aux États-Unis et en Europe. Il s'agit de ne pas décompter les Mo ou Go consommés en publicité du forfait de l'internaute, mais de les facturer directement à la société derrière la publicité. Pour Three, l'usage d'un bloqueur de publicité serait donc une manière d'accélérer le mouvement, dans le sens de ses intérêts.

À la mi-février, Orange Digital Ventures a investi dans DataMi, un spécialiste de la « sponsored data ». L'entreprise permet aux opérateurs de facturer à des sociétés les volumes de données consommées par leurs contenus. D'autres formes de sponsoring sont offerts, comme des sondages qui permettent aux internautes d'augmenter leur volume de données mensuel « gratuitement ». Dans tous les cas, s'il ne présage pas d'une intégration des solutions de DataMi dans les réseaux d'Orange, cet investissement reste significatif pour le groupe.

Outre-Atlantique, les grands opérateurs mobiles se sont déjà largement engouffrés dans la consommation Internet financée par les entreprises. Le dernier en date est Verizon, qui a lancé fin janvier son programme FreeBee Data, qui propose à des sociétés de payer au clic ou au Go consommé par leurs contenus mobiles.

Une tendance qui intéresse fortement le régulateur américain des télécoms, la FCC, qui avait invité les opérateurs à en discuter à la mi-janvier. Reste à voir quelle sera la position des différents acteurs pour le marché européen.

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