La révision du Règlement des télécommunications internationales (RTI) doit s'ouvrir le 3 décembre prochain à Dubaï. Mais alors que la position de la France n’a toujours pas été officiellement précisée, de plus en plus d’acteurs avancent leurs pions. Dernier en date : Google, qui s'alarme des vélléités de certains États afin d'accroître le contrôle d’Internet.
Du 3 au 14 décembre prochain, se tiendra à Dubaï la Conférence mondiale sur les télécommunications internationales. L’un des objets de cette rencontre organisée sous l’égide de l'Union internationale des télécommunications (UIT) - institution faisant partie des Nations Unies, n’est autre que la future régulation mondiale d’Internet. Cette réunion vise en effet à réviser le RTI, ce traité global mettant en place les principes généraux régissant l'établissement et l'exploitation des télécommunications internationales. Le texte n’a pas été modifié depuis son entrée en vigueur, le 1er juillet 1990. Celui-ci a plus précisément pour but de faciliter l'interopérabilité des réseaux et l'échange de trafic à travers les frontières (pour plus de détails, voir notre article : La future régulation mondiale du net entre les mains de l'UIT).
Mais alors que les États préparent les discussions à venir, Google vient de s’inviter dans le débat. Le géant de l’internet a en effet ouvert un portail dédié (à consulter ici), afin de faire entendre sa voix et mobiliser l’opinion publique. Si la firme de Mountain View se réjouit qu’Internet soit aujourd’hui « un outil universel » à la disposition de chacun, et ce sans qu’aucune organisation, gouvernement, ou individu ne le contrôle, ceci ne pourrait peut-être pas durer, prévient Google. « Tous les gouvernements ne sont pas favorables à un Internet libre et ouvert », s’alarme ainsi la société américaine, expliquant que 42 pays filtrent et censurent actuellement des contenus, et que 19 nouvelles lois menaçant la liberté d’expression ont été adoptées au cours des deux dernières années (voir notre article relatif au dernier rapport de transparence de Google : Google s’inquiète d’une surveillance gouvernementale en hausse).
Le géant de l'internet entre dans la danse
Google explique ainsi quelles sont précisément ses craintes : que certains États profitent de la révision du traité RTI pour accroitre leur mainmise sur Internet. En effet, selon le géant de l’internet, les propositions portées par certains pays « pourraient permettre aux gouvernements de censurer des propos légitimes, voire d'autoriser la coupure de l'accès à Internet. D'autres propositions envisagent d'imposer à des services tels que YouTube, Facebook et Skype des droits d'entrée pour pouvoir atteindre des utilisateurs à l'étranger. Cela pourrait limiter l'accès à l'information, en particulier sur les marchés émergents ».
Au passage, la firme de Mountain View en profite pour égratigner le modèle décisionnel onusien : « l’UIT n'est pas le cadre adéquat pour prendre des décisions concernant l'avenir d'Internet ». Google fait ainsi valoir que seuls les États sont conviés aux discussions, ce qui exclut de fait les acteurs privés ou les associations en tout genre, quand bien même ceux-ci serait directement concernés par le texte en question. « Les ingénieurs, les entreprises et les personnes qui construisent et utilisent le Web n'ont pas voix au chapitre ». Le géant de l’internet pointe également du doigt l’opacité qui entoure la révision du RTI, regrettant que les propositions formulées pour le traité restent confidentielles et que les débats aient lieu à huis clos.
La Russie pointée du doigt
Cette montée au créneau de Google n’est pas anodine. Depuis plusieurs semaines, des documents confidentiels relatifs à la conférence circulent, notamment grâce au site dédié WCIT Leaks. Il est ainsi apparu que des propositions formulées par la Russie, dans un document en date du 13 novembre (PDF), tendraient à faire adopter un amendement selon lequel « Les États membres auront le droit souverain de gérer l'Internet au sein de leur territoire national, ainsi que de gérer les noms de domaines nationaux ».
Ce passage, dont se sont notamment alarmés nos confrères américains de CNET, a été retiré par les autorités russes, comme l’atteste une nouvelle version du texte, en date du 17 novembre (PDF). Toutefois, cette modification pourrait bien n’être qu’un changement de façade. CNET explique en effet que des États comme la Chine, l’Iran ou la Russie (qui a au passage instauré il y a peu une « liste noire » relativement opaque des sites interdits en ex-URSS) continuent de porter des propositions visant à conférer aux États un meilleur contrôle de certaines ressources liées à l’internet, et actuellement gérées par des organismes indépendants comme l’ICANN.
La position de la France se fait toujours attendre
En ce qui concerne la France, rappelons que le gouvernement a lancé fin octobre une consultation publique afin de préparer sa position officielle pour la conférence de Dubaï. Cette opération, qui a pris fin depuis le 9 novembre, a donné lieu à plusieurs réponses, comme celles de La Quadrature du Net ou de l’Association des Services Internet Communautaires - l’ASIC, (qui regroupe des acteurs du web comme Dailymotion, Google, PriceMinister, Yahoo!, Deezer, Ebay, Facebook, Microsoft, etc.).
Tandis que Jérémie Zimmermann, porte-parole de LQDN, voyait en cette consultation tardive un « écran de fumée », la députée Laure de la Raudière interpellait il y a une semaine et demi le gouvernement au moyen d’une question parlementaire. Inquiète du « tournant très politique » pris par les négociations, l’élue UMP voulait savoir si le gouvernement « défendra une position favorable à la neutralité d'Internet et quelle sera la définition de neutralité d'Internet dont il assurera la promotion ».
À ce jour, aucune réponse de la part des autorités n’a été publiée. Nous avons également contacté le cabinet de la ministre déléguée à l’Économie numérique, Fleur Pellerin, afin d’avoir quelques précisions sur la position qu’entend défendre la France lors de la rencontre du mois prochain, et attendons toujours un retour.