Dans un arrêt révélé dans nos colonnes, la cour d’appel de Paris a finalement donné raison aux ayants droit de l'audiovisuel et du cinéma face à Yahoo, Microsoft, Orange, SFR, Auchan Télécom, Darty Télécom, Bouygues Télécom, Numericable et Free. Le fond du dossier ? La question du coût du blocage et du déréférencement des sites de streaming illicites.
Le 28 novembre 2013, les professionnels de l’audiovisuel obtenaient, après une longue bataille avec les intermédiaires, le blocage de la galaxie Allostreaming. FAI et moteurs devaient donc bloquer ou nettoyer de leurs résultats une ribambelle de sites :
- dpstream.tv
- fifostream.tv
- allostreaming.com
- alloshowtv.com
- allomovies.com
- alloshare.com
- allomegavideo.com
- alloseven.com
- allourls.com
- fifostream.com
- fifostream.net
- fifostream.org
- fifostreaming.com
- fifostreaming.net
- fifostreaming.org
- fifostreaming.tv
Seulement, le tribunal de grande instance de Paris n’avait pas été au bout des vœux de l’Association des producteurs de cinéma (APC), de la Fédération nationale des distributeurs de films (FNDF), du Syndicat de l’édition vidéo numérique (SEVN), de l’Union des producteurs de films (UPF) et du Syndicat des producteurs indépendants (SPI).
Les juges refusaient en effet de faire supporter sur le dos des intermédiaires le coût de ces mesures. Les ayants droit de l’audiovisuel voyaient là un gros rocher dans leur stratégie de lutte contre la contrefaçon en ligne. Ils décidaient du coup de faire appel pour purger cette question financière.
Un article de la loi Hadopi pour socle juridique
Pour mémoire, cette décision s’était appuyée sur un article du Code de la propriété intellectuelle, voté avec la loi Hadopi. Le 336-2 du CPI permet en effet aux titulaires de droit de réclamer au TGI d’ordonner « toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une telle atteinte à un droit d’auteur ou un droit voisin, à l’encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier ». Cet article est la transposition en France de l’article 8, §3, de la directive n° 2001/29/CE du 22 mai 2001 du Parlement européen et du Conseil sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information.
Dans son arrêt, diffusé en avant-première sur Next INpact, la cour d’appel de Paris va confirmer les demandes des syndicats professionnels qui auront su démontrer « que le réseau allostreaming composé des sites principaux allostreaming.com, allomovies.com, alloshowtv.com et alloshare.com et de sites secondaires actifs dpstream.tv et fifostream.tv est entièrement dédié ou quasi entièrement dédié à la représentation d’œuvres audiovisuelles sans le consentement des auteurs ». Comme lors du jugement de première instance, tous les acteurs des nouvelles technologies désignés ont ainsi été tenus de procéder à un nettoyage en règle pour bloquer ou déréférencer ces contenus.
La question des coûts pilotée par un arrêt de la CJUE
Sur la question des coûts, qui est le gros morceau de ce dossier. Pour les ayants droit, « la mise à leur charge du coût des mesures ordonnées n’est pas conforme à la finalité de la directive 2001/29 et constitue un obstacle à l’accès au juge, également garanti par l’article 6, §1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ». Ils dénoncent aussi « qu’aucun des intermédiaires techniques n’a communiqué de documentation pertinente de nature à permettre un début de discussion contradictoire sur le coût précis de ces mesures, notamment pour déterminer le nombre de salariés déployés pour mettre en œuvre les mesures ordonnées. »
En réponse, Free dira en substance ne pas avoir à supporter le coût de mesures ordonnées par une décision judiciaire « relative à des faits dont elle n’est en aucun cas responsable ». Un argument partagé avec les autres FAI. Orange a ajouté néanmoins que les mesures ordonnées impliquent des modalités de mise en œuvre « compliquées dont le coût est augmenté du fait de sa qualité d’opérateur d’infrastructure vitale ».
Pour trancher, la Cour d’appel de Paris s’est appuyée sur l’arrêt Telekabel de mars 2014, déjà examiné dans nos colonnes. La CJUE avait dans cette décision rendue après le jugement Allostreaming, estimé que les FAI pouvaient prendre ces coûts à leur charge du moins en fonction des « ressources » et des « capacités » dont ils disposent. Aux yeux des magistrats européens, simplement, les opérateurs ne peuvent être tenus de faire des « sacrifices insupportables » lorsqu’on leur laisse comme ici le choix des armes.
Les juges français vont s'en inspirer en rappelant un principe général du droit : « une partie qui doit faire valoir ses droits en justice n’a pas à supporter les frais liés à son rétablissement dans ses droits ». Dans ce duel entre contenants et contenus, la Cour considère que les syndicats des ayants droit sont dans la nécessité d’agir face à ces contrefaçons massives et leur équilibre économique « déjà menacé par ces atteintes, ne peut qu’être aggravé par l’engagement de dépenses supplémentaires ».
En face, les FAI et moteurs sont eux « à l’origine de l’activité de mise à disposition de l’accès à ces sites ». Ils « tirent économiquement profit de cet accès (notamment par la publicité s’affichant sur leurs pages) ». Conclusion : « il est dès lors légitime et conforme au principe de proportionnalité qu’ils contribuent financièrement aux mesures de blocage ou de déréférencement ».
FAI et moteurs devront assumer tant qu'il n'y a pas de sacrifice insupportable
La messe est donc dite, et ne pourrait être revue que « dans l’hypothèse où une mesure particulière devait s’avérer disproportionnée eu égard à sa complexité, à son coût et à sa durée, au point de compromettre, à terme, la viabilité du modèle économique du FAI ou du fournisseur de moteur de recherche ». Ce n’est donc que dans une telle hypothèse que ce coût devrait être supporté par les ayants droit. Or, pour le moment, FAI et moteurs n’ont pu démontrer les « sacrifices insupportables » dont faisait part la CJUE, « ni que leur coût mettrait en péril leur viabilité économique ».
Par ailleurs, la CA considère que la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur la question des coûts, toujours, ne s’applique pas puisque les intérêts des ayants droit ne relèvent pas de « la sauvegarde de l’ordre public, dans l’intérêt général de la population ». Soit une petite giffle à ceux du secteur qui pensaient que la lutte contre les contenus illicites relevaient bien de cette priorité.
En résumé, les intermédiaires vont devoir prendre à leur charge le coût des mesures de blocage et de déréférencement voulu par les ayants droit, jusqu’au jour où ils parviendront à démontrer qu’il s’agit pour eux d’un « sacrifice insupportable ». On remarquera enfin que Google s'est désisté lors de l'appel.
Ouverture des vannes
Cette affaire est fondamentale puisqu'elle ouvre d'une certaine manière les vannes : à l'avenir, tous les secteurs de la création vont maintenant être tentés de réclamer eux-aussi des mesures de blocage, au frais des intermédiaires.
La décision est susceptible de cassation, on notera cependant que dans le cadre du projet de loi Création, les sénateurs ont autorisé le CNC à « engager une action en cessation devant le tribunal de grande instance en cas d’atteinte au droit d’auteur occasionnée par un service en ligne » justement sur le fondement de l'article l’article L336-2 du code de la propriété intellectuelle. En clair, si la disposition est maintenue, le Centre national du cinéma pourra lui aussi exercer des demandes similaires devant le TGI, en réclamant la prise en charge des coûts sur les épaules des FAI et des moteurs.