À l'occasion des États généraux des réseaux d'initiative publique (RIP) à Deauville, la fédération des industriels des RIP donne le coup d'envoi de quatre opérations pilotes pour les « zones fibrées », où le réseau cuivre classique doit progressivement laisser place au FTTH. Une initiative louable, mais qui n'est pas sans obstacles.
Aujourd'hui, se tiennent à Deauville les États généraux des réseaux d'initiative publique (RIP), l'un des grands rendez-vous annuels du secteur. Ce matin, la Fédération des industriels des RIP (FIRIP) annonce le lancement de son projet de livre blanc sur les « zones fibrées », qui doivent accélérer l'adoption de la fibre, mais dont le décret et les conditions sont encore à définir.
Pour y arriver, la fédération s'est associée à quatre zones pilotes qui appliqueront cette bascule du réseau cuivre vers la fibre jusqu'à l'abonné (FTTH) dans les prochaines années. Si tout reste concrètement à définir, beaucoup de points sont déjà esquissés dans le rapport Champsaur, publié en février 2015 (voir notre analyse). C'est dans ce rapport qu'a été introduite l'idée d'une extinction du cuivre par plaques, ces fameuses « zones fibrées » dont la couverture et l'adoption du FTTH sont suffisantes. Le but étant de vider le réseau cuivre de la zone de ses utilisateurs, puis de l'éteindre, dans un délai de cinq ans.
Le statut de « zone fibrée » a été introduit via la loi Macron en août 2015, mais le décret se fait toujours attendre. « Nous proposons d'accompagner l'élaboration du cahier des charges de ces passages en zone fibrée, par des opérations pilotes qui permettront à la fois de démontrer les éléments facilitateurs et les difficultés éventuelles » nous explique Agnès Huet, la vice-présidente de la FIRIP, pour qui mieux vaut rapidement passer à la pratique que d'attendre.
Quatre projets pilotes pour accélérer la fibre
Ce coup d'envoi s'appuie sur quatre opérations pilotes, comprenant la communauté de communes de Cœur Côte Fleurie (où se situe Deauville) dans le Calvados, le syndicat des communes du pays de Bitche en Moselle et Chevry-Cossigny en Seine-et-Marne. D'autres communautés de communes restent à convaincre, dont celle des Rives de Moselle, qui doit être la quatrième zone pilote, nous explique Agnès Huet, la vice-présidente de la FIRIP.
« La communauté de communes de Cœur Côte Fleurie est un des premiers exemples. On a près de 33 500 lignes FTTH, toutes raccordables. Au regard de cela, vous avez 21 331 lignes cuivre. Donc on n'a pas de problème d'incomplétude », c'est à dire de zones avec du cuivre mais sans FTTH, poursuit-elle. « C'est aussi le cas sur d'autres communautés qui ont donné leur accord pour être pilotes. Il n'y a pas d'obstacle à rentrer dans cette étude » assure-t-elle encore.
L'annonce aux États généraux des RIP doit convaincre les autres acteurs de rejoindre l'initiative. « Nous nous adressons à des communautés d'agglomérations en zones moins denses. De son côté, l'ARCEP a montré un fort intérêt pour le livre blanc et la réalisation de ces opérations » affirme Agnès Huet. Reste tout de même à intéresser Bercy, qui pilote le plan France THD, et Orange dont la collaboration est nécessaire pour ces opérations pilotes. C'est l'un des objectifs de la journée.
La FIRIP est aidée dans sa démarche par l'AVICCA, qui représente nombre de collectivités. « Les premiers contacts ont été pris entre les présidents de la FIRIP et de l'AVICCA, le sénateur Patrick Chaize. C'est lui qui a porté les zones fibrées au Sénat, donc il est directement concerné. Ce qui a été convenu, c'est que la FIRIP allait directement proposer aux membres de l'AVICCA d'être partie prenante des opérations pilotes » déclare la fédération.
Les leçons du rapport Champsaur
Ces travaux s'appuient donc directement sur le rapport Champsaur de l'an dernier, qui pose la plupart des éléments nécessaires aux opérations pilotes. Les collectivités sont sélectionnées sur huit critères, comme la taille de la zone fibrée (au moins 10 000 lignes), sa géographie, la disponibilité d'offres de gros non-discriminatoires, la qualité de service ou encore la complétude des déploiements horizontaux et verticaux. Les RIP répondent facilement à une bonne partie de ces critères, du fait de leurs obligations légales. « Il ne faut pas oublier un dernier critère, qui est le rôle de l'État » souligne Agnès Huet.
Le rapport Champsaur demande ainsi à ce qu'il contribue au raccordement vertical des dernières zones incomplètes. « Il y a toujours 5 % de sites isolés, des conventions d'immeuble qui ne se signent pas dans certaines communes, parce que des syndics et des bailleurs ont du mal à voir l'intérêt de basculer. Ce que préconise le rapport Champsaur nous convient totalement : un accompagnement de l'État sur les dernières prises à fibrer. Maintenant, quel type d'accompagnement ? Par qui ? Comment ? C'est ce qu'il faut voir » interroge la vice-présidente de la FIRIP.
Globalement, le rapport Champsaur préconise une montée (artificielle) des prix des connexions cuivre (ADSL et VDSL), afin de vider le réseau avant qu'Orange ne l'éteigne. Une fois une zone déclarée fibrée, Orange peut déclencher un préavis d'extinction, allant jusqu'à cinq ans. Des points, comme l'augmentation des prix du cuivre, seront l'une des grandes questions de ces opérations pilotes. Pour la FIRIP, sans cette augmentation, les FAI auront peu de raisons de passer leurs clients à la fibre.
Une collaboration à construire avec les FAI
L'initiative arrive en plein débat sur la volonté des fournisseurs d'accès nationaux de proposer leurs offres sur les RIP. C'est même l'une des questions centrales de l'événement du jour. Les représentants des collectivités et des industriels se plaignent de l'attentisme des opérateurs nationaux vis-à-vis des réseaux publics. Ils les accusent à demi-mot de vouloir mettre en péril leur économie en réservant leurs box fibre aux zones denses, où ils déploient leurs propres réseaux. C'était le sujet de notre enquête cet été sur la lutte d'Orange face aux réseaux publics en fibre.
L'AVICCA, une association de collectivités sur le numérique, et la FIRIP ont appelé le gouvernement à inciter (voire obliger) les FAI à venir se connecter aux réseaux publics, en en faisant une des conditions du rachat de Bouygues Telecom par Orange. L'enjeu de ces opérations pilotes est d'amener les opérateurs nationaux à basculer leurs clients du cuivre vers la fibre. Les réseaux existent déjà, il « suffit » désormais d'y connecter les clients.
Leur collaboration est une condition de succès pour les « zones fibrées », vu qu'ils détiennent les clés du marché. Même si des opérateurs locaux existent, ils n'ont ni la force de frappe commerciale, ni le niveau d'offres proposées par les FAI nationaux, notamment sur la télévision.
« Je crois que tous les opérateurs de RIP membres de la FIRIP regrettent la situation d'attentisme des FAI nationaux. Cette consolidation ne doit pas se faire au détriment des RIP. C'est le moment pour eux de faire preuve d'ouverture » estime Agnès Huet, pour qui « les opérateurs nationaux ne sont pas toujours d'accord pour venir là où ils ne sont pas délégataires de service public », c'est-à-dire constructeurs et gestionnaire des réseaux publics.
Les réseaux pourraient se remplir de clients via les petits opérateurs locaux (dits « de proximité »), mais la finalité reste bien l'arrivée des acteurs nationaux. « C'est inévitable, les FAI devront venir sur les RIP. Autant qu'ils viennent tout de suite sur les opérations pilotes plutôt que d'adopter une politique défensive » juge la FIRIP, dont l'un des membres, Altitude Infrastructure (voir notre entretien), a pour objectif clair d'attirer ces opérateurs nationaux en devenant un interlocuteur unique gérant de nombreux réseaux.