Copie privée : la brèche du cloud persiste à l’Assemblée nationale, non sans correction

Pascal sur un nuage
Droit 5 min
Copie privée : la brèche du cloud persiste à l’Assemblée nationale, non sans correction
Crédits : chert61/iStock

L’assujettissement du cloud à la redevance copie privée est en passe d’être redéfini en seconde lecture à l’Assemblée nationale. Analyse et tour d’horizon des amendements déposés en Commission des affaires culturelles.

L’épisode de l’extension de la redevance copie privée au cloud pourrait trouver une issue à l’Assemblée nationale via un amendement porté par le député Marcel Rogemont (PS). Le texte, en réalité concocté, affiné, tamisé au ministère de la Culture, marque une première historique dans cette institution née en 1985, qui a rapporté 230 millions d’euros aux ayants droit l’an passé, et même 1,687 milliard d'euros depuis 2008.

Introduit initialement par le sénateur David Assouline (PS), l’article 7 BIS AA du projet de loi Création tentait pour sa première version un coup à deux bandes. Première bande : il préparait la possibilité pour des services de magnétoscopes en ligne tel Molotov.tv d’asseoir les capacités d’enregistrement des flux TV sur la redevance copie privée. Deuxième bande : il anticipait une extension de la même ponction à d’autres services en ligne, via le concept juridique de la garde, en pleine harmonie avec les plans de la SACEM.

Seulement, on s’en doute, l’initiative a provoqué un certain remous notamment parmi les acteurs de l’industrie, craignant la contagion à des pans entiers d’Internet. Après une série de rencontres, le texte en sortie du Sénat s’en est trouvé profondément modifié, ne satisfaisant dans le secteur que Canal+ et Orange. Et pour cause, il a fait sauter la bande « SACEM » tout en ne réservant la redevance sur les flux audiovisuels qu’aux distributeurs autorisés qui fournissent un matériel. Soit très exactement ce que ne fait pas la box virtuelle Molotov.tv, créée par le fondateur d’Allociné et Pierre Lescure.

Après un round d’échanges au ministère de la Culture, une nouvelle version de cet article a donc été ébauchée. Fruit de cet arbitrage, l’amendement Rogemont abandonne définitivement le bout de phrase taillé pour la SACEM tout en revenant sur l’autre logique initiale : l’extension aux services en ligne, même non autorisés, ni appui d’un quelconque matériel.

Quels redevables, quels montants ?

Techniquement, l’amendement laisse intangible l’article L.122-5 du Code de la propriété intellectuelle, lequel définit la liste des exceptions au droit d’auteur. Il concentre ses griffes sur l’article L. 311-4 du CPI qui définit les redevables de la redevance pour copie privée.

À ce jour, la RCP est due par l’importateur, le fabricant ou celui qui réalise une acquisition intracommunautaire lors de la première mise en circulation en France des supports. Le barème dépend alors d’une série d’éléments objectifs : le produit concerné et sa durée d’enregistrement ou sa capacité. En principe, il est alors fonction des usages appréciés à partir d’enquêtes, mais les ayants droit peuvent toujours s’appuyer sur ces trois fameux « éléments objectifs » précités pour s’en passer de manière exceptionnelle, un an durant. Enfin, le montant de la redevance dépend du degré d’utilisation des mesures techniques de protection, puisqu’il s’agit très souvent de mesures anti-copies.

Que dit l’amendement Rogemont ? Le texte définit une nouvelle catégorie de redevable : l’éditeur ou le distributeur d’un service de radio ou de télévision qui fournit à une personne physique des capacités d’enregistrement à distance des flux diffusés par ses soins. Un impératif néanmoins : cette reproduction doit être demandée avant la diffusion du programme en cours ou pour la partie restante. Tous les autres systèmes de magnétoscopes en ligne sont donc exclus de ce champ. Bien entendu, rien n’interdira à ces acteurs de se retourner vers leurs clients pour déporter cette charge financière.

Quel sera le montant versé ? Le barème ne relève pas du domaine de la loi, mais de l’activité de la Commission copie privée. Le texte en gestation définit cependant deux nouveaux critères objectifs, à savoir le nombre d’utilisateurs et les capacités de stockage mises à disposition, et en foncion des usages de ces capacités.

Un amendement de compromis ou presque

L’amendement devrait satisfaire une partie des industriels : la contagion au cloud est contenue à une partie du stockage en ligne, avec l’espoir que ce nouveau champ allégera un jour lointain la pression sur les supports traditionnels. Même soulagement pour Molotov.tv, qui peut à nouveau parier sur ses fonctionnalités d’enregistrement proposées à ses clients, que le site n’aurait pu que difficilement négocier sur le terrain du droit exclusif. Côté ayants droit, ce premier pas réalise surtout un vieux rêve : ouvrir la brèche du cloud pour se désincarcérer en douceur des supports, darwinement délaissés à l’ère du flux.

Seulement, tous ne sont pas sur cette longueur d’onde. Cette extension, concoctée sans avoir auditionnée les représentants des consommateurs, intervient alors que les préconisations du rapport Maugüé pour épurer la redevance copie privée sont loin d’être mises en musique.

De même, plusieurs députés voient d’un très mauvais œil ce nouveau périmètre. Dominique NaruchyLionel Tardy et Isabelle Attard proposent tous les trois de stopper l’hémorragie dans le nuage.

Les arguments sont nombreux : « Ce type d’usage n’est pas répandu de manière à ce qu’il implique une compensation au titre de la copie privée » déplore la première. « Aucune étude d’usage n’a été réalisée à ce sujet » regrette l’élu de Haute-de-Savoie qui refuse « toute extension du mécanisme tant qu’il n’aura pas été réformé pour être équitable et ne se traduise pas une augmentation constante des barèmes ». Isabelle Attard enfin, juge « plus simple de mettre en place une licence globale qui financerait l’ensemble des créateurs [plutôt] que de chercher à taxer des locations d’espace de stockage qui se font le plus souvent avec des sociétés étrangères ».

Le texte sera examiné dès demain en commission avant un examen en séance le 21 mars.

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