Le code source d’un logiciel développé par les services de l’État est-il un « document administratif » comme un autre, dès lors communicable par principe au citoyen qui en fait la demande ? Oui, vient de répondre le tribunal administratif de Paris. Explications.
Après quasiment deux ans de procédure, le ministère des Finances s’est résolu à ouvrir le 1er avril prochain le code source de son logiciel de calcul de l’impôt sur le revenu. Cette décision découle des débats autour du projet de loi Numérique, mais aussi – et surtout – du bras de fer engagé par un étudiant en économie qui réclamait de Bercy la communication de ce fichier informatique, considéré à ses yeux comme un document administratif au sens de la loi « CADA » de 1978.
En vertu de ce texte, les autorités administratives (ministères, collectivités...) sont tenues de répondre à la requête du citoyen qui réclame un document produit par leurs soins, quel qu’en soit la forme ou le support : délibérations, statistiques, rapports, études... En pratique, ce droit connaît néanmoins de nombreuses limites. Les services de l’État n’ont par exemple pas à dévoiler des informations qui relèveraient du secret défense, des fichiers préparatoires « non achevés », etc.
Bercy communique son code source juste avant que la justice l’y oblige
Invité par cet étudiant à dévoiler le code source de son logiciel de calcul de l’impôt sur le revenu, la Direction générale des finances publiques (DGFiP) a tout d’abord fait la sourde oreille. Face au refus implicite de l’administration fiscale, ce citoyen a alors saisi la Commission d’accès aux documents administratifs, qui lui a donné raison en janvier 2015. Bercy ne s’étant cependant pas décidé à communiquer son code source, ce jeune homme s’est finalement tourné vers le tribunal administratif de Paris, lequel a rendu sa décision suite à une audience en date du 18 février dernier – soit quelques jours après que le ministère lui ait communiqué de son propre chef le fichier désiré...
Le jugement rendu par la juridiction s’avère néanmoins important : il vient confirmer que ce code source était bel et bien un document administratif « communicable » au citoyen, par principe. Cette décision pourrait donc s’étendre à de nombreux autres codes sources développés par l’administration...
La juridiction a effectivement écarté tous les arguments présentés par le gouvernement pour justifier l’opposition de la DGFiP. Premièrement, Bercy soutenait que les directives de 2003 et 2013 sur la réutilisation des informations du secteur public s’opposaient à la communication de programmes informatiques. « Mauvaise lecture », a répondu en substance le tribunal administratif. À ses yeux, « il ne résulte pas de ces directives, qui portent sur la réutilisation des données et laissent inchangées les dispositions du droit national relatives à l’accès aux documents administratifs, que les programmes informatiques devraient être systématiquement exclus du droit d’accès aux documents administratifs organisé par la loi du 17 juillet 1978 ». Autrement dit, la législation européenne n’empêche pas un État membre d’enjoindre ses administrations à ouvrir leurs codes sources.
Deuxièmement, le ministère des Finances affirmait que son calculateur d’impôts ne pouvait entrer dans le champ de la loi CADA dans la mesure où il s’agissait d’un document « non achevé ». Et pour cause, le fameux logiciel est en « perpétuelle évolution » vu qu’il y a des changements tous les ans... Le tribunal a ici levé cette barrière en retenant que « si les programmes informatiques ont vocation à évoluer au gré des mises à jour, chaque version du code source d’un même programme informatique revêt le caractère de document administratif achevé et peut être communiqué dans cet état ». La juridiction a souligné à cet égard qu'une décision inverse aurait « priv[é] le justiciable d’un droit effectif à la communication des documents administratifs ».
Chaque dernière version d'un logiciel public est « communicable »
Résultat, « en l’absence de dispositions législatives ou réglementaires interdisant l’accès aux codes sources des programmes informatiques, le ministre des Finances et des comptes publics ne pouvait légalement refuser de communiquer le document demandé », conclut le tribunal administratif. Ce dernier a symboliquement annulé la décision de l’administration fiscale, tout en enjoignant Bercy à communiquer sous deux mois le code source de son logiciel de calcul de l’impôt sur le revenu des personnes physiques.
Le fameux fichier a été transmis au demandeur début février, et devrait être mis à la disposition de tous à partir du mois prochain grâce au travail de la mission Etalab (pour en savoir plus, voir notre article).
« Ce jugement, par lequel les juges renvoient Bercy à ses cours de droit, est très précieux car il servira de référence en cas d'affaires futures, réagit Frédéric Couchet, le délégué général de l’Association de promotion et de défense du logiciel libre (April). Espérons que cette règle de communication ne sera pas tuée dans l’œuf par l'amendement au projet de loi Numérique visant à créer une exception relative à la sécurité des systèmes d'information des administrations. » L’intéressé en profite pour remettre en cause la validité de certaines des analyses juridiques de Bercy, et plus précisément celle concernant l’utilisation des logiciels libres au sein de l’administration : « Nos doutes sur la qualité et la rigueur des arguments opposés ne s'en trouvent que renforcés. »