Alors que les débats sur le projet de loi Numérique doivent reprendre au Sénat à partir du 6 avril, l’Association de promotion du logiciel libre (April) vient de demander au gouvernement qu’il publie la note juridique justifiant son opposition à toute priorisation des logiciels libres au sein de l’administration.
Aura-t-on au Sénat des débats aussi mouvementés qu’à l’Assemblée nationale sur l’article 9 ter du texte porté par la secrétaire d’État au Numérique ? Cet article, introduit en commission par les députés, demande aux administrations, collectivités territoriales et entreprises publiques d’encourager « l'utilisation des logiciels libres et des formats ouverts lors du développement, de l'achat ou de l'utilisation d'un système informatique ». Une incitation jugée trop molle par certains parlementaires, qui, reprenant les revendications exprimées par les participants à la consultation sur l’avant-projet de loi Numérique, auraient préféré que les acteurs publics se servent « en priorité » de logiciels libres et de formats ouverts...
Un débat qui tourne au dialogue de sourds
Sur le banc du gouvernement, Axelle Lemaire s’était opposée à une telle différenciation, au motif que celle-ci serait juridiquement invalide. « En droit, soyons honnêtes, il subsiste des incertitudes. (...) Cette priorisation serait de portée très générale et – me dit-on – trop imprécise ». Même son de cloche du côté du rapporteur Luc Belot (PS), pour qui ces dispositions auraient de fortes chances d’être déclarées inconstitutionnelles.

« Il n'y a pas de problème, avait néanmoins rétorqué l’écologiste Isabelle Attard. Je pense que ça fait partie des mythes, des légendes qui circulent de façon à discréditer les logiciels libres. Ce serait comme d'interdire de passer des marchés publics d'achat de voitures parce que ça pénaliserait des loueurs de voitures... » La députée fut rejointe en ce 20 janvier par le communiste André Chassaigne, qui avait accusé la secrétaire d’État au Numérique « d'emberlificoter » les choses par manque de courage politique. Ambiance !
Le gouvernement prié de dévoiler son argumentaire juridique
Pour éviter que les débats ne tournent à nouveau au dialogue de sourds au Sénat, l’April a publié aujourd’hui un communiqué pour demander solennellement au gouvernement de dévoiler une note juridique de la Direction des affaires juridiques (DAJ) du ministère des Finances et des comptes publics. Ce document, dont l’existence a été brièvement évoquée durant les débats, démontrerait l’incompatibilité juridique des amendements « priorité aux logiciels libres ».
Sauf que cette quête s’est jusqu’ici montrée infructueuse : « L'April a écrit au gouvernement pour demander la communication de l'analyse juridique. Aucune réponse n'est parvenue. Nous avons alors fait une demande de communication directement auprès de la DAJ. Réponse de non-recevoir : la DAJ se retranche en effet derrière l'article L. 311-5 du Code des relations entre le public et l'administration et plus particulièrement derrière la notion très floue du secret des délibérations du gouvernement. » Autrement dit, impossible d'obtenir rapidement une copie de ce document en agitant la fameuse loi « CADA »...
Alors que les débats au Sénat approchent à vitesse grand V, l’association espère dorénavant faire plier Bercy en pointant publiquement du doigt les contradictions de l’exécutif. « Refuser de publier une simple note d'analyse juridique, pourtant invoquée lors de l'intense débat en hémicycle, manque totalement de cohérence avec la démarche d'élaboration ouverte de cette loi », déplore ainsi l’April. Un nouveau refus de Bercy semblerait pourtant bien incongru, d’autant que la France s’apprête à prendre dans quelques mois la présidence du Partenariat pour un gouvernement ouvert.