Alors que la pétition contre la loi Travail a dépassé les 1,1 million de soutiens sur Change.org, Jean-Vincent Placé, secrétaire d’État chargé de la Réforme de l’État, a tenu à relativiser la légitimité démocratique de ce dispositif, qu'il juge néanmoins « extrêmement significatif ».
Ce matin, sur l’antenne de France Info, le membre du gouvernement a considéré en effet que « ce ne sont pas les réseaux sociaux qui font la loi de la République. C’est le gouvernement qui présente des textes, c’est le Parlement qui va les voter, ce sont aussi les partenaires syndicaux qui vont les discuter et les renégocier ». La messe est dite : même s'il considère cette pétition comme « extrêmement significative » et se devant d'être respectée, son intérêt est rabaissé à un niveau beaucoup plus faible que le beau processus d’élaboration de la loi.
D’une certaine manière, ces propos sont la version 2.0 de ceux de Nicolas Sarkozy qui, le 3 mai 2010, estimait qu’« avec nous, la rue n'a jamais fait la loi dans la République française ». Il reste que l’exercice du pouvoir ne peut aujourd’hui se faire sans prise de température ambiante, même sur le vil Internet. En somme, non nuancée, la petite phrase de Placé est constitutionnellement juste, mais stratégiquement fragile. Elle succombe d’ailleurs à l’épreuve des faits.
L’épreuve des faits
Quelques exemples suffisent pour mesurer combien l’actuel gouvernement multiplie les efforts pour tenter d’éteindre les web-incendies. Ce fut le cas avec la loi Renseignement et son fameux vrai/faux, vrai/faux adapté au prélèvement à la source, puis décliné avec la loi Travail. Remarquons encore ce compte Twitter @LoiTravail calibré aux petits oignons pour apporter la bonne parole sur Twitter, certes sous les quolibets des internautes. Ce n’est pas la rue ou les réseaux qui gouvernent, heureusement pour Placé, mais négliger d'un peu trop l’impact de ces initiatives serait un mensonge ou pire, un aveuglement.
Pour bien jauger encore cette importance, on peut d’ailleurs lire dans Le Plus du Nouvel Obs les déclarations d’un ex du Service d'information du Gouvernement (SIG) qui raconte son métier de pompier du numérique. Selon lui, « entre pétitions et hashtags contestataires, Internet est devenu un outil de choix dans l’art de la contestation. D'où la nécessité pour les institutions d'être extrêmement professionnelles et formées correctement, mais aussi de considérer la communication digitale (sic) comme un des axes majeurs d'une communication gouvernementale aujourd'hui. »
« Un décalage flagrant » selon le directeur France de Change.org
Contacté, Benjamin des Gachons, directeur France de Change.org craint, dans ce genre de petite phrase, le témoignage « d’un décalage flagrant entre les responsabilités des politiques et les nouvelles formes d’engagements des citoyens. Ce million de soutiens repose avant tout sur une mobilisation horizontale, spontanée, qui a fait tache d’huile plus vite que les syndicats. C’est la réalité des outils de mobilisation avec forte capacité de réactivité » (voir notre émission 14h42).
Le responsable de cette plateforme l’admet sans mal : « les réseaux sociaux ne font pas les lois, mais là on est sur une mobilisation massive de citoyens, des modèles d’engagements qui font sens. On a des milliers d’exemples sur Change.org sur la manière dont les pétitions en ligne deviennent des courroies de transmission entre citoyens et élus ». Un exemple ? La loi votée l’an dernier, qui oblige les supermarchés à distribuer leurs invendus. « On parle d’une loi de la République, votée par des élus, mais à la base c’est une proposition d’un citoyen, Arash Deambarsh, qui après avoir testé le dispositif dans sa ville s’est demandé pourquoi ne pas proposer au législateur de l’étendre à toute la France. »
Pour lui pas de doute, ces courroies citoyennes sont devenues pour ainsi dire inévitables. « On nous dit que ce ne sont pas les réseaux sociaux qui font les lois de la République, mais on a parfois l’impression que ce rôle est dévolu aux sondages. Là, on est en face de voir émerger des formes de mobilisations très diverses, spontanées, qui viennent compléter le travail des organisations représentatives, des syndicats, des partis, et qui deviennent incontournables dans la manière de prendre en compte l’avis des citoyens. »
Autre exemple de la légitimité de ces mouvements : « quand une ministre vient créer son profil sur Change.org pour répondre aux 500 000 soutiens d’alors, c’est une forme d’accusé de réception de la mobilisation. Elle lui donne un caractère officiel et témoigne d’un certain éveil de nos politiques, d’une prise de conscience de ce besoin d’interagir avec le citoyen mobilisé. »
Le phénomène des pétitions n’est d’ailleurs pas né avec Internet. « Les pétitions ont toujours ponctué la vie démocratique, tels les cahiers de doléance. Ces mécanismes n’ont pas été remis en cause par les institutions, mais ont apporté au contraire un second souffle pour aboutir à des décisions fortes comme l’abolition de l’esclavage. »