Au tour de Voici.fr de stopper les utilisateurs de bloqueurs de publicités qui voudraient accéder à ses contenus. Mais le site leur propose une alternative : afficher un peu de publicité sur son site grâce à une extension... qui utilise le code source d'Adblock Plus !
Le nombre de sites français qui commencent à bloquer l'accès aux internautes qui utilisent un bloqueur de publicité s'allonge. Nous avons récemment évoqué le cas des Échos, c'est désormais au tour de Voici (Groupe Prisma Media) de faire de même. Si la stratégie des deux sites à quelques similarités, elle reste assez différente, notamment au niveau de la solution proposée.
Blocage des bloqueurs : une pratique aux mille visages
Comme nous l'avions indiqué, pour Les Échos, il s'agit pour le moment d'un test sur une partie de l'audience seulement. Les visiteurs concernés ont la possibilité d'opter pour une offre payante permettant de profiter d'un mode « lecture zen » ou de continuer à surfer sur le site et ses dizaines de trackers/cookies. Bloquer ne sera plus possible, à moins de trouver une solution de contournement (ce qui n'est souvent pas très compliqué).
Voici a opté pour une approche différente qui n'intègre pas un modèle payant, sans doute du fait de ses contenus et de son audience assez différente. Si vous utilisez un bloqueur de publicité, vous verrez désormais un message qui se veut pédagogique :
« Vous utilisez actuellement un logiciel qui bloque les publicités. Sans ces ressources, Voici.fr n'existerait pas, et son lot de scoops non plus. Pour continuer à nous rendre visite, remplacez votre extension par MyAdFilter, une solution qui n'autorise qu'une seule publicité. L'équipe Voici vous remercie ! »
Ainsi, l'internaute ne se voit pas proposer de désactiver son bloqueur comme ailleurs. Le site est sans doute conscient que c'est en partie sa pratique publicitaire qui est à l'origine d'un tel blocage. Il faut dire que Voici.fr est l'un de nos records du genre, puisque rien que sur la page d'accueil lors de nos tests, nous avons pu relever pas moins de 132 trackers et 739 cookies tiers :
N'utilisez pas un bloqueur de publicité, mais celui que l'on vous recommande
Le but est donc d'offrir une alternative qui ne mène pas à retrouver toutes ces publicités, mais plutôt d'installer une extension (disponible uniquement sous Chrome) qui va limiter leur nombre. Son principe est simple : si vous vous rendez sur un site, un seul espace publicitaire sera affiché.
Mais cette promesse ne concerne que les partenaires (qui affichent une icône verte plutôt que rouge). Pour les autres, tout sera bloqué. La description de l'outil sur le Chrome Web Store de Google confirme d'ailleurs cette stratégie :
« MyAdFilter est le nouveau filtre entièrement gratuit, simple et terriblement efficace, qui fait disparaitre les publicités. Remplacez votre bloqueur de publicité par MyAdFilter et soutenez un Internet de qualité, gratuit et riche en contenus.
Avec MyAdFilter, les créateurs de contenus gratuits vous proposent une navigation avec une seule publicité par page. En dehors de ces sites, comme votre bloqueur actuel, MyAdfilter supprime toutes les publicités. Surfez gratuitement sur vos sites préférés, de manière protégée et sans publicité intempestive. »
Et pour cause, MyAdFilter simplement basé sur... Adblock Plus (édité par Eyeo). Le code étant sous licence GPL v3, il a simplement pu être adapté aux besoins de l'équipe qui reprend le look et le fonctionnement, mais avec son propre logo et sa propre liste blanche, non désactivable.
Adblock Plus, mais sans la possibilité de désactiver la liste blanche
Pour rappel, l'une des caractéristiques principales d'Eyeo et d'Adblock Plus est en effet de laisser passer certaines publicités à ceux qui ne désactivent pas cette fonctionnalité, parfois contre rémunération. Une pratique assez critiquée, notamment pour les utilisateurs dont une partie commence à migrer vers d'autres solutions plus « intransigeantes ».
Dans une chronique publiée ce matin chez Les Échos, David Lacombled, président de l'IAB France, évoquait ainsi cette méthode : « Les adblockers, qui affirment agir au nom de l'éthique, n'hésitent pas à enfreindre la plus élémentaire des règles éthiques en se livrant à du racket organisé, via leurs listes blanches, en faisant payer les éditeurs ou les annonceurs pour qu'ils soient débloqués ! ».
Que dire alors, lorsque c'est un média qui incite ses visiteurs à installer un tel outil pour la simple raison qu'il y est associé ? D'ailleurs, si le site de MyAdFilter est assez pauvre en mentions légales, on peut y trouver un avertissement afin de tenter de le dégager de toute responsabilité :
« En téléchargeant MyAdFilter, vous acceptez qu'en visitant un site Internet n'acceptant pas MyAdFilter (icône rouge), vous pouvez être en violation de toute obligation ou droit de quelque nature que ce soit en relation avec ces sites Internet. En aucun cas DYP Solutions ne pourra être tenu pour responsable envers vous ou tout autre tiers pour toute perte ou dommage (y compris, sans y être limité, les dommages pour perte de chances et perte de bénéfices) découlant directement ou indirectement de votre utilisation de ce logiciel. »
De son côté, la société DYP-Solutions présente sa solution comme « un juste milieu entre pression publicitaire subie et blocage total de la publicité ». Un discours qui n'est pas sans faire penser à ce que propose l'allemand Eyeo. Mais l'équipe fondatrice est elle-même issue de chez Prisma Média, ce qui change sans doute la donne pour le groupe.
On notera d'ailleurs au passage que le PDG de DYP-Solutions, Yoann Denee, est le seul des 383 utilisateurs sur le Chrome Web Store à avoir laissé un avis et il vous « recommande cette extension sans modération ».
Les éditeurs se cherchent, quitte à jouer du « chacun pour soi »
Quoi qu'il en soit, si l'on peut trouver la démarche intéressante, elle nous paraît assez maladroite dans sa mise en œuvre. Comme pour Les Échos, on se retrouve avec un site qui est loin de remettre en question ses pratiques publicitaires. Mais cette fois, il « récompense » même les utilisateurs de bloqueurs de publicité en leur proposant une alternative.
Dès lors, pourquoi ne pas mettre en place une expérience publicitaire plus légère (avec 132 trackers et 739 cookies tiers, il y a de la marge) à l'ensemble des lecteurs ? Le choix technique est d'ailleurs assez étrange, puisque l'on se retrouve avec un site qui reproche aux internautes d'utiliser un bloqueur de publicité, mais leur en propose un autre à la place. Un qui lui est plus favorable.
Mais que se passerait-il si chaque groupe faisait de même, si chacun proposant sa propre version d'Adblock Plus laissant passer certaines publicités, dans l'espoir qu'elle sera à même de convaincre les internautes en masse et de s'imposer, sans rien changer par ailleurs ?
Adblock Plus et AdBlock comptent, rien que sur Chrome, plus de 10 millions d'utilisateurs. Une alternative comme Ublock Origin en compte désormais plus de 3 millions. Autant dire que MyAdFilter, qui n'est compatible qu'avec le navigateur de Google, a du chemin à faire pour arriver à se poser en alternative, même avec le soutien de Prisma Média. Il sera d'ailleurs intéressant de voir la réaction des concurrents, qui apprécieront peut-être assez mal ce choix stratégique du groupe.
Une solution pérenne ne viendra pas sans remise en question
Comme le dit assez bien David Lacombled dans sa chronique : « La publicité rend un service quand elle arrive au bon moment et au bon endroit. Dans cette perspective, la lutte contre les adblockers doit surtout constituer un combat pour une meilleure publicité en ligne. Avec pour objectif constant de veiller au respect de l'internaute et au confort de sa navigation. [...] Nous serons tous perdants si nous tuons le financement des médias par les adblockers sans tenir compte des attentes des internautes, en continuant à polluer par des formats inappropriés leur expérience online. »
Reste maintenant à convaincre les membres de l'IAB, qui semblent pour le moment agir de manière relativement dispersée sur la question. Ce mercredi, l'association rendra son étude concernant la publicité qui sera l'occasion d'un débat. Il promet d'être animé.