En première lecture, les députés ont adopté à l'instant une disposition faisant du renseignement pénitentiaire, un service du renseignement, tout en rejetant l'amendement de suppression signé du député Sergio Coronado. Contrairement à Christiane Taubira, Jean-Jacques Urvoas a jugé cette intégration comme « une décision de bon sens ». « J’ai rencontré l’ensemble des organisations syndicales qui se félicitent de cette disposition. C’est un chantier ouvert et qui ne concerne que le pénitentiaire » a-t-il ajouté pour rassurer les magistrats.
La justice et l’administration pénitentiaire pourraient bientôt entrer dans le cercle des services du renseignement. La mesure, qui fut combattue par Christiane Taubira, est désormais sur la rampe de l’actuel projet de loi contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement.
Ce 17 février, Christiane Taubira aura dû se contenter d'être spectatrice de l'adoption des amendements Ciotti (LR), Pietrasanta (PS) et Goujon (LR) en commission des lois. Tous n’ont qu’une destinée : alors que la prison est jugée « lieu de radicalisation », ils font entrer le ministère de la Justice et donc l’administration pénitentiaire dans le second cercle des services du renseignement. Soit très exactement ce que l’ancienne garde des Sceaux refusait bec et ongles.
L’opposition de la ministre Taubira, les positions du rapporteur Urvoas
En avril 2015, en plein débat sur le projet de loi Renseignement, l’ex-ministre de la Justice s’était en effet opposée à une telle inclusion en des termes non équivoques : « On peut certes décider de faire évoluer le métier des surveillants pour les transformer en professionnels du renseignement, mais ne le faisons pas par inadvertance. »
La garde des Sceaux avait alors marqué sa préférence pour « un renforcement de la collaboration institutionnelle et organique de ce service avec le ministère de l’Intérieur ». Dans le cas contraire, elle craignait un risque de dérive, à savoir « la déstabilisation et la désorganisation des établissements, dont les personnels veillent à la sûreté et ont en charge au quotidien, jour et nuit, la surveillance des détenus », ajoutant que « l’usage de certaines techniques de renseignement, notamment la sonorisation de parloirs ou de cellules, requiert un savoir-faire spécifique, et il me paraît préférable d’en confier la responsabilité aux professionnels du renseignement ».
Et pour ceux qui n'avaient pas bien compris, elle insistait de plus belle : « Il est souhaitable que le ministère de la Justice, pour exercer ce contrôle, n’ait pas à ordonner directement la mise en œuvre de techniques de recueil de renseignements » (les échanges retranscrits).
À chacun son job
L’avis n’était pas partagé par le rapporteur du texte, un certain... Jean-Jacques Urvoas, ou plusieurs députés de la droite dite « dure ». À gauche, quelques voix rejoignaient pourtant l’ex-ministre : « Pourquoi est-il nécessaire que l’administration pénitentiaire ne puisse pas avoir accès à ces techniques ? Parce que, si l’administration pénitentiaire doit, certes, garder les détenus, elle doit aussi préparer leur réinsertion, leur sortie, de sorte que le taux de récidive soit le plus bas possible. » estimait Denys Robiliard (PS). « Les personnels de l’administration pénitentiaire ne sont pas là pour faire du renseignement » implorait sa collègue Aurélie Filippetti, partageant les positions de Sergio Coronado (EELV). La suite est connue : l’idée fut rejetée également au Sénat, tout autant délaissée en Commission mixte paritaire.
Si ces trois amendements identiques sont confirmés à l’issu des nouveaux débats parlementaires, le décret du 11 décembre 2015 décrivant la liste impressionnante des services du renseignement du second cercle devra être enrichi pour y ajouter l’administration pénitentiaire. Une modification qui aura – sauf surprise – le soutien de Jean-Jacques Urvoas, devenu ministre de la Justice. Alors que les services du premier cercle (DGSI, DGSE, DPSD, DRM, DRNE et TRACFIN) peuvent user de l’ensemble des techniques du renseignement, ce nouveau texte gouvernemental égrainera la liste limitative des techniques utilisables dans les prisons.