Vodkaster : contourner les problèmes de la vidéo à la demande grâce au DVD

Gorgée d'interopérabilité
Internet 10 min
Vodkaster : contourner les problèmes de la vidéo à la demande grâce au DVD

Depuis près de deux ans, Vodkaster propose aux internautes de lui envoyer leurs DVD afin de les regarder en ligne. Une manière de contourner la VOD et les ayants droit, tout en misant sur un modèle économique basé sur le marché de l'occasion. Nous en avons discuté avec son patron, Cyril Barthet.

Vos DVD disponibles en ligne, avec leurs menus et bonus et gratuitement, c'est la promesse du service qu'a lancé Vodkaster en mai 2014. La société qui vient d'annoncer son initiative #FreeTheMovies, vous permet en effet depuis près de deux ans de lui envoyer vos DVD afin de les visionner en ligne, de les revendre puis  d'en acheter de nouveaux.

Un modèle déjà expérimenté en 2013 par Cheesevideo, un système qui reposait sur des bases juridiques instables et a disparu depuis, malgré l'activisme de ses fondateurs pour entrer dans les clous. 

Une idée simple, qui marche

Vodkaster a pour sa part reçu 200 000 DVD, à raison de 500 à 1 000 par jour. Le service se targue de proposer 11 000 films, qui mène les ventes devant les séries et documentaires. Des chiffres importants, qui ne se transforment pas encore en rentabilité pour l'entreprise, qui a pourtant de l'ambition : convertir les pirates à la vidéo à la demande légale.

« Qu'il y ait 14 millions de pirates en France, c'est un signe extrêmement fort que les modèles actuels de l'offre légale ne sont pas idéaux. À chaque étude, les critiques qui reviennent sont : c'est trop cher et on ne trouve pas ce qu'on cherche » nous explique Cyril Barthet, le patron de Vodkaster depuis sa création en 2009 en tant que réseau social.

Comme nous l'avons expliqué sur les séries ou constaté plus récemment avec le cas du retour de X-Files, le problème principal de la vidéo à la demande est l'acquisition du catalogue auprès des ayants droit, qui dictent ensuite leurs conditions aux services.

La VOD, un système bridé par les ayants droit

Quand certains acteurs, comme VOD Factory, composent avec le système, Vodkaster a simplement décidé de le contourner. « Le problème de l'offre et celui du prix sont imposés par les studios » affirme Cyril Barthet, ainsi que l'absence de bonus présents sur les éditions physiques. « La difficulté reste de convaincre les ayants droits, surtout les majors américaines, qu'il faut être innovants sur le terrain de la tarification, du marketing... C'est très compliqué » nous déclarait récemment Julien Vin-Ramarony, le patron de VOD Factory, qui édite FnacPlay.

De plus, « Canal peut faire retirer un film qu'il diffuse de toutes les exploitations VOD pendant une année entière. Toutes les chaines le peuvent. Cela rend l'offre parfaitement illisible pour le consommateur : un jour il est dessus, le lendemain il n'y est plus... Alors même que les DVD sont toujours dans les bacs à la Fnac  ! » ajoute Cyril Barthet de Vodkaster.

Un autre problème est que la location, dominante en numérique, ne rapporte pas autant que le DVD, souvent acheté pour un seul visionnage. En 2004, « les interlocuteurs du cinéma pour négocier étaient les fournisseurs d'accès Internet. Ce n'était vraiment pas les bonnes personnes, parce que leur optique était juste d'augmenter leur revenu moyen par client en vendant de l'abonnement. Du coup, on a laissé un secteur s'organiser autour de la location alors que le monde de la vidéo vivait grassement sur le mode de la propriété » affirme le patron de Vodkaster, qui contribuait à ces discussions, en tant que lobbyiste pour des producteurs de films.

« Ça a été une première erreur et, aujourd'hui, tous les studios rament pour essayer de revenir sur de l'achat définitif... C'est une déroute absolue » estime-t-il.

Vodkaster

Contourner les difficultés grâce à l'interopérabilité

Pour contourner ce système et disposer d'un large catalogue à bas coût, Vodkaster a donc opté pour le DVD. S'ils achètent les nouveautés, les titres plus anciens (voire introuvables) proviennent des collections personnelles des internautes, qui envoient leurs DVD ou les font récupérer chez eux (en région parisienne).

Une fois arrivés à l'entrepôt, le DVD est vérifié, « une image parfaite, protections comprises » est extraite et placée sur l'espace en ligne de l'utilisateur et le DVD lui-même est entreposé. Son propriétaire peut demander à le récupérer à tout moment, ce qui provoque la destruction de la copie numérique. Le service conserve une copie par utilisateur, et non une copie unique pour tous les utilisateurs disposant d'un même DVD. Une contrainte logistique importante pour le service.

Une fois leurs DVD en ligne, les utilisateurs peuvent les regarder (via VLC) ou les revendre, auquel cas Vodkaster touche une commission. Chaque vente alimente une cagnotte sur le site, qu'il est facile d'utiliser pour acheter un nouveau DVD. C'est sur ce modèle de revente que l'entreprise a construit son nouveau modèle.

Juridiquement, ce service en ligne ne s’immisce pas sur le terrain de la copie privée. Une vieille jurisprudence française interdit en effet le découplage entre le bénéficiaire de la copie et celui qui réalise techniquement cette duplication. Si cette position semble remise en cause par la Cour de Justice de l’Union européenne, la société préfère s’axer sur l’interopérabilité puisque de nombreux terminaux sont aujourd’hui dépossédés de lecteur. Le positionnement est en partie similaire à celui défendu par le service Cheesevideo il y a plus d'un an.

Deux millions d'euros investis pour mélanger achat et location

Dans les faits, la majeure partie du million de visiteurs uniques mensuels du site viennent pour la partie communautaire, non pour le service de DVD en ligne, pourtant au cœur du site. Trois fonds d'investissement (3T, Elaia et Partek) ont investi deux millions d'euros pour le virage stratégique vers la VOD. « Ils nous soutiennent sur la durée, affirme Cyril Barthet. Le service en est au début. C'est devenu l'objectif principal. On a plutôt mis de côté les volets opérations spéciales et publicité [qui faisaient vivre le réseau social] pour nous concentrer sur l'e-commerce. »

Sur cette partie, deux populations se côtoient. Selon Vodkaster, 20 % des clients de la plateforme envoient effectivement leurs DVD. « Ils vont les revoir, les revendre et entrer dans une logique de réachat très forte » affirme Cyril Barthet. Puis, 80 % arrivent sur Vodkaster comme sur un service de VOD classique, sans envoyer de disque. « Le client s'aperçoit que c'est un DVD, il s'aperçoit qu'il reçoit très vite des offres de rachat d'autres clients, donc qu'il a une cagnotte et qu'avec cet argent il peut s'en racheter un. Et là on entre dans le cercle vertueux » vante l'entreprise.

L'internaute a surtout le choix entre achat et location jusqu'au bout, grâce à la revente. « Si vous achetez une nouveauté (neuve) en DVD à 14 euros, vous pouvez le revendre l'heure après, le lendemain, à 12 euros ou 13 euros » ce qui correspond, au final, à une forme de location.

Un partenariat pour récupérer plus d'exemplaires

Les DVD partiraient rapidement, une fois mis en vente. Il faut dire que, contrairement à de la vidéo à la demande classique, le nombre d'exemplaires est bien limité. De quoi encourager l'achat impulsif. Alors que la majorité des locations et achats en VOD sont destinés à être vus tout de suite, les clients de Vodkaster achèteraient des contenus pour pouvoir les consulter une semaine plus tard. Dans les faits, la majorité des œuvres sont d'occasion, à part les nouveautés.

La solution est donc d'engranger toujours plus de DVD, alors que les collections « dorment » chez les particuliers. La société compte d'ailleurs s'associer à un « acteur de la grande distribution culturelle », pour pouvoir déposer directement les DVD en magasin et les envoyer chez Vodkaster. Une manière de donner une seconde vie aux DVD qu'ils vendent.

Combattre l'inertie des studios pour de nouvelles fonctions

Au lancement, les ayants droit auraient été pris par surprise par le modèle de Vodkaster. « Ils étaient surpris qu'on puisse lancer une telle offre. Ensuite, on a beaucoup travaillé avec eux pour créer un modèle qui permette de générer du revenu chez eux, notamment sur les nouveautés, tout en améliorant notre service » explique Cyril Barthet.

Si Vodkaster a construit son modèle pour contourner les ayants droit, ils sont donc rapidement entrés en négociations avec eux. Si la solution trouvée par Vodkaster offre de la liberté au service, elle le limite fortement sur certains points, comme le fait de proposer une copie par oeuvre (au lieu d'une par utilisateur), la HD ou un mode hors-ligne. Autre solution : demander directement leur catalogue aux studios avec toutes les obligations que cela implique... L'entreprise doit donc discuter avec les ayants droit.

« La HD, le téléchargement, on y travaille avec eux et on essaie d'être constructifs. Ce qui est compliqué, c'est que les décisions des studios ne sont pas prises en France, mais aux États-Unis. Pour un Américain, on ne regarde pas la France pour sa capacité d'innovation. Ils n'imaginent pas qu'un game changer puisse émerger en dehors des États-Unis » se désole encore Cyril Barthet. « Je remarque l'inertie considérable des studios pour engager de nouveaux modèles, alors même qu'ils perdent entre 15 % et 20 % de chiffre d'affaires chaque année. Ça fait un an qu'on travaille sur ces accords contractuels, on n'en voit toujours pas le bout. C'est stupéfiant » poursuit-il.

Blu-ray, UltraViolet : des nouveautés soumises à conditions

Aujourd'hui, les négociations avec les studios sont au centre des préoccupations du service, qui compte développer de nouvelles fonctions. Étendre le service aux Blu-ray est une de ces questions. « On aimerait faire avec les Blu-ray ce qu'on fait aujourd'hui avec les DVD, mais c'est une question d'accords contractuels avec les studios » nous affirme le patron de Vodkaster.

De même, le support d'UltraViolet dépend des discussions avec les studios. Pour rappel, ce système permet d'utiliser une copie numérique (partageable) en achetant un DVD ou Blu-ray. Une copie lisible sur tous les services compatibles UltraViolet qui hébergent le contenu. « On a une relation d'amour-haine avec UltraViolet. Quand UV s'est lancé en France, on a été l'un des premiers à acheter une licence. On a ensuite découvert l'usine à gaz technique que c'était côté plateforme » se souvient Vodkaster. Le système serait devenu « abordable techniquement » ces derniers mois, et serait intégré dès que possible, si les négociations sur le catalogue avancent bien.

La disponibilité de Vodkaster devrait s'améliorer dans les prochaines semaines. Le service sortira bientôt ses applications Android TV et Apple TV, en cours de tests. Par contre, le support du Chromecast n'est pas à l'ordre du jour, tout simplement car le protocole ne permet pas la lecture de DVD, notamment la navigation dans les menus.

En voulant contourner les diktats des ayants droit, Vodkaster est finalement retourné à la table des négociations. Cela avec une liberté sur son cœur de métier et le soutien d'investisseurs qui n'auraient peut-être pas financé un service de VOD classique, qui rapporte trop peu avec trop de contraintes. Reste maintenant à convaincre les studios du bien-fondé de cette démarche.

Vodkaster est convaincu d'avoir sa carte à jouer dans ce secteur de plus en plus concurrentiel, entre VOD classique et par abonnement (SVOD), à la Canaplay et Netflix. « La concurrence s'intensifie, il y aura sûrement de la consolidation. Sur le cinéma, la SVOD est très peu performante. On enferme les gens dans des petits catalogues de quelques centaines de films. Une fois abonnés, les gens se disent qu'ils ne dépenseront de l'argent ailleurs pour voir autre chose. Pour moi, c'est un moins disant culturel. il y a donc un carte à jouer pour les services comme nous, où les titres sont effectivement disponibles et pas trop chers » conclut Cyril Barthet.

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