La France s’apprête à officialiser les dispositifs de surveillance administrative et judiciaire dans les stations de bases (antenne relais) utilisés aujourd’hui en matière de téléphonie mobile 3G et 4G. Un texte, diffusé ci-dessous, a été notifié à Bruxelles en ce sens.
Chevaux de Troie, sondes, boites noires, etc. C’est peu de le dire : la loi du 24 juillet 2015 sur le renseignement a démultiplié les outils de surveillance dont disposent aujourd’hui les services. Seulement, ces mêmes outils ne peuvent évidemment pas être achetés dans le supermarché du coin. Leur commerce est en effet strictement réglementé dans le Code pénal.
Comment ? L'article 226-3 interdit par défaut la diffusion des appareils et logiciels qui, par conception, permettent d’ouvrir, supprimer, retarder, détourner, prendre connaissance, intercepter, utiliser, divulguer une correspondance privée. Mais cette interdiction connaît évidemment une exception, sans laquelle les services du renseignement seraient désarmés. Ceux-ci peuvent donc utiliser tous les dispositifs visés par cet article L.226-3 pour autant qu’ils soient répertoriés, contrôlés, analysés via une liste gérée par l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information. C’est l’objet d’un arrêté publié le 4 juillet 2012.
Des IMSI catcher, mais pas seulement
Depuis la loi sur le Renseignement, donc, les services se servent de ces oreilles et yeux électroniques pour recueillir directement les données techniques de connexion afin d’identifier un équipement terminal, un numéro d’abonnement ou géolocaliser un mobile (article L.851-6 du Code de la sécurité intérieure ). Autre possibilité : réaliser des interceptions de correspondance. L’outil phare pour réaliser ces mesures intrusives est évidemment l’IMSI catcher, cette fausse antenne relais qui fait écran entre des mobiles et une vraie antenne, histoire d'épier les échanges réalisés dans son spectre.
Pour tenir compte des évolutions techniques, la France veut cependant aller plus loin. Le 26 février, elle a alerté Bruxelles d’un projet de texte qui va venir étendre ces dispositions aux antennes relais des opérateurs mobiles. Spécialement, « les produits concernés sont certains appareils d’accès aux réseaux de radiocommunications mobiles de 3e et 4e génération mis en œuvre par les opérateurs de communications électroniques » indique Paris dans sa notification. « Il s’agit de stations de base (eNodeB – Evolved Node B), appelées aussi « antenne relais », dont les versions récentes ou à venir sont susceptibles d’intégrer des fonctionnalités de duplication des communications à des fins d’interception légale. »
L'ANSSI, davantage mobilisée
Ces nouveaux appareils implantés dans les antennes relais pourront être configurés et activés à distance pour dupliquer les correspondances des clients. Leur commercialisation sera donc soumise à autorisation et encadrement. Mais cet agrément signifie surtout qu’à l’avenir, les services pourront s’en servir pour épier les échanges sur une zone déterminée afin de glaner les données de connexion ou réaliser des interceptions.
« C'était dans les tuyaux depuis quelque temps dans la mesure où en 3G (dans sa version ultime) et surtout 4G et demain 5G, les stations de base sont devenues de vrais équipements réseaux avec des fonctions intelligentes » nous indique un proche du dossier. « Au départ, les stations n'avaient qu'une fonction radio avec une intelligence résiduelle dans le cœur de réseau. »
Fait notable, l’arrêté notifié ne se limite pas seulement aux antennes, mais concerne également les DSLAM, bref tout ce qui peut ou pourra servir à faire de l'interception. Surtout, il revoit l’économie du régime d’autorisation. Seront soumis à l’agrément de l’ANSSI non plus les appareils « conçus pour réaliser » des atteintes à la vie privée ou au secret des correspondances, mais désormais tous ceux « de nature à permettre » de telles atteintes. Une nuance de taille qui entraîne un vaste élargissement du rôle de ce service rattaché au Premier ministre.
Soulignons enfin que ces outils ne sont pas centralisés sur les pouvoirs du renseignement. Ils peuvent également servir aux interceptions judiciaires. C'est d'ailleurs l'un des objets du projet de loi sur la procédure pénale qui sera discutée demain à l'Assemblée nationale.