The X-Files est de retour, avec une dixième saison diffusée sur M6. L'occasion de faire le point sur les pratiques de la télévision en 2016, mais aussi de l'offre légale lorsqu'il s'agit de regarder de vieilles séries.
The X-Files (Aux frontières du réel dans la version française) est une série qui a marqué les années 90 et le début des années 2000 en France. Créée par Chris Carter, elle est restée dans nos mémoires notamment à travers son générique aussi enivrant qu'intrigant signé Mark Snow.
The X-Files et M6, la grande époque
Mais il a surtout participé à la croissance d'une petite chaîne de télévision qui montait alors, M6. Elle s'était fait une spécialité de découvrir et de diffuser les séries américaines du moment à travers sa fameuse trilogie du samedi soir, à une époque où ce format était en pleine ascension.
Pendant près de 10 ans, et 201 épisodes, nous avons ainsi pu découvrir les aventures des agents Mulder et Scully. À l'époque, la diffusion se faisait à peu près avec un an de décalage. Le piratage des contenus et leur transmission par internet n'en étaient aussi qu'à ses débuts, la patience et la dépendance aux desideratas des chaînes était donc encore majoritairement de mise.
Mais les temps ont changé. Les séries sont désormais un format presque plus populaire que ces bons vieux films. Il en sort des dizaines chaque année, et leur diffusion ne se fait plus qu'à travers les quelques chaînes hertziennes. Cela passe aussi par la TNT, les chaînes par abonnement ou encore les offres de SVOD.
2016 : un téléspectateur plus indépendant, une offre légale toujours défaillante
Le rendez-vous du samedi soir n'est d'ailleurs plus aussi essentiel, car même si les magnétoscopes étaient utiles à l'époque, on peut désormais regarder les programmes en replay pendant au moins une semaine. Et pour ceux qui veulent garder un exemplaire à regarder en boucle, l'offre VHS a été remplacée par les DVD et autres Blu-ray.
Le fan de séries est donc plus indépendant, et doit être choyé par ceux qui misent gros pour acheter les droits de diffusion en France. On pourrait croire que cela les oblige à un minimum de jugeote et de respect de leur public, mais il n'en est rien. Et le retour sur les écrans de The X-Files en France pour une dixième saison en est l'exemple parfait.
Nous avons déjà eu l'occasion d'analyser la raison pour laquelle l'offre légale était défaillante, notamment en France et pour les séries (voir notre précédent article, désormais en accès libre). Mais le cas qui nous occupe aujourd'hui est spécialement intéressant à analyser tant il cumule les défauts qui séparent la théorie de l'enfer auquel chacun de nous est confronté dans la pratique, dès lors qu'il s'agit de rester dans « le droit chemin ».
Saison 10 de The X-Files : un décalage d'un mois, à l'heure de l'US+24
Tout commence donc avec le retour de la série sur la Fox pour six épisodes. Annoncé en mars dernier, il était prometteur puisque Chris Carter est aux commandes du projet, Glen Morgan et James Wong sont de retour en tant que scénaristes, et l'on nous promettait surtout de revoir ensemble David Duchovny et Gillian Anderson.
Le premier épisode a été diffusé en avant-première au MIPCOM de Cannes en octobre dernier, afin de faire monter la sauce, notamment du côté de la presse. Mais il fallait attendre ce 24 janvier pour le début de la diffusion outre-Atlantique, à raison d'un épisode par semaine (excepté les deux premiers). Le dernier épisode a donc été diffusé ce lundi 22 février.
En France, c'est M6 qui a acquis les droits. Logique étant donné l'historique de la chaîne, mais pas forcément à l'avantage des fans dans la pratique. On peut néanmoins commencer par saluer l'effort de la chaîne par rapport à ses (mauvaises) habitudes : la diffusion en version française a en effet été prévue pour être assez proche de la version américaine : du 25 février au 10 mars, à raison de deux épisodes par semaine. Un mois de décalage et une diffusion sur trois semaines seulement.
Mais voilà, à l'heure de l'US+24 pratiqué par Canal+ ou OCS (entre autres), on peut tout de même être un peu déçus. Comme TF1 ou les chaînes du service public, M6 n'exploite en effet aucun de ses canaux de diffusion linéaire pour proposer rapidement une VOST de ses programmes. Série Club, accessible via Canal Sat et qui fait office de premier canal de diffusion pour la série Les agents du S.H.I.E.L.D. en France aurait pu être une bonne alternative, mais cela n'a pas été le cas.
Une bonne audience pour M6, qui reste derrière la série française de TF1
Résultat, nombreux sont ceux qui se sont empressés de pirater la série qui n'était accessible nulle part le temps que la version française puisse être diffusée sur M6. Cela n'a pas empêché la chaîne de pouvoir annoncer qu'« il s’agit du meilleur lancement pour une série sur M6 depuis deux ans ».
Il faut dire que la chaîne a perdu de sa superbe avec la montée en puissance (et en concurrence) des séries, et n'est plus habituée aux choix judicieux de l'époque de sa fameuse trilogie. Ainsi, ce sont « 4,4 millions de téléspectateurs pour une part d’audience de 17,7% auprès de l’ensemble du public » qui ont regardé M6. De quoi placer la chaîne en bonne position pour ce qui est de ses cibles publicitaires puisqu'elle était « 1ère chaîne auprès des moins de 50 ans, avec 28 % de part d’audience et 1ère chaîne auprès des femmes responsables des achats de moins de 50 ans, avec 29 % de part d’audience ».
Nos confrères du Parisien remettent néanmoins un peu de contexte dans cette annonce puisqu'ils précisent que de son côté, TF1 est restée en tête avec la série française Section de recherche (7 millions de téléspectateurs et 27,2 % de part d'audience) de quoi laisser des miettes à France 2 et Envoyé Spécial (2,2 millions d’amateurs et 9,2 %) ou même France 3 qui diffusait Iron Man 2 (1,5 million et 6,3 %).
Découpes et cadrage modifié : des choix contestés
Cette diffusion en première partie de soirée n'a d'ailleurs pas été sans conséquence. En effet, afin de garder une signalétique d'interdiction au moins de 10 ans et suite aux recommandations de son comité interne, M6 a décidé de procéder à des coupes et à des recadrages dans le second épisode, qui n'ont pas échappé à l'œil attentif de ceux qui avaient déjà vu les épisodes par d'autres biais :
Founder's Mutation (S10E02). La version censurée d'@M6 vs la version non censurée : #XFiles #recadrage #zoom pic.twitter.com/oZ34sxJMqI
— I Love Marseille (@ILoveMarseille1) February 25, 2016
Un choix qui n'émane pas du CSA puisque celui-ci ne peut intervenir qu'après la diffusion. Dans ses règles, le Conseil précise qu'il ne permet pas « de diffusion avant 22 h, à titre exceptionnel (16 maximum) à 20 h 30 mais jamais les mardis, vendredis, samedis, veille de jours fériés ou congés scolaires (pour les films interdits aux -12 ans, pas plus de 4 par an, par chaîne) ».
Si M6 avait décidé de diffuser son programme dans sa version originale, c'est donc hors des vacances scolaires que cela aurait dû être fait. La chaîne a néanmoins tenu à préciser que cette version était disponible, mais uniquement via son service de replay : 6Play.
Un replay incomplet, nécessitant une inscription
Et c'est là que peut intervenir une autre série de reproches. Comme nous avons déjà eu l'occasion de le dire, et bien que 6Play ait été amélioré depuis notre dernière analyse, celui-ci nécessite une inscription afin d'accéder aux programmes (hors des intégrations aux box des opérateurs et du groupe Canal).
Mais l'on peut aussi relever d'autres problèmes. Déjà, si vous utilisez un Cube S de Canal par exemple, vous ne pourrez pas trouver la série à travers le moteur de recherche ou le tri par séries. Il faudra obligatoirement vous rendre dans la zone dédiée à la chaîne M6. Là vous pourrez trouver deux groupes d'épisodes : ceux de la saison 10 et ceux de « la nuit X-Files ».
Drame de l'intégration de M6 au Cube S de @canalplusgroupe (apparaît qd on passe au tri des programmes par chaîne) pic.twitter.com/snXiQQF80J
— David Legrand (@davlgd) February 27, 2016
M6 a en effet diffusé dix épisodes « d'anthologie » dans leur version remastérisée. Ceux-ci ne sont pas les dix préférés de Chris Carter selon son entretien à Entertainement Weekly, mais on y retrouve des passages essentiels.
Il reste de toute façon compliqué de résumer plus de 200 épisodes avec une sélection de seulement dix, mais l'on a du mal à comprendre pourquoi la première partie de l'épisode de Duane Barry a été sélectionné, mais pas la seconde. De quoi rassembler jusqu'à 2,6 millions de téléspectateurs pour l'épisode pilote à 22h30, et 1,1 million jusqu’à 3h du matin.
Quoi qu'il en soit, si vous avez décidé de ne pas vous coucher à 6h30 ce vendredi, vous en serez pour vos frais. En effet, sur l'offre de replay de M6, seuls les cinq premiers sont proposés. Ils sont tous issus de la première saison (1, 2, 3, 8 et 13). Impossible de savoir pour le moment si les autres seront bien proposés par la suite.
VOD : internautes, on continue de se moquer de vous
Mais le retour de The X-Files n'est pas un exemple dont les problèmes ne tiendraient qu'à la seule faute de M6. Comme nous l'avons dit plus haut, si la chaîne multiplie les erreurs pour un public de fans, elle a néanmoins tenté, pour une fois, de faire des efforts.
Et l'offre légale est aussi défaillante sur bien d'autres aspects, comme l'accès en version numérique à des œuvres du passé, et ce même si elles existent déjà depuis longtemps sur des supports comme le DVD et les Blu-ray. À chaque retour d'une grande licence, c'est la même histoire. Les droits se dispersent et l'acheteur motivé se retrouve face à un mur avec seulement deux choix : le support physique ou le piratage.
Ce problème est donc récurrent et nous y avions dernièrement fait face à l'occasion de la sortie du dernier James Bond avec Daniel Craig : Spectre. Si des chaînes passaient d'anciens films, il était par exemple impossible d'acheter en version numérique l'intégrale de ceux avec l'acteur. Et pour ceux qui étaient proposés, c'était à tarif prohibitif, alors qu'une intégrale en Blu-ray pouvait se trouver chez des revendeurs pour une vingtaine d'euros seulement.
Et les séries sont de loin les œuvres les plus touchées par ce phénomène désastreux que nous avions déjà détaillé dans notre précédent article. Entre les versions VOST vendues à prix d'or par des services comme MyTF1, l'absence de pack « intégrale » ou alors à des tarifs accessibles, il n'est pas compliqué de comprendre pourquoi la VOD ne décolle pas.
The X-Files en VOD : Apple et Google devant les offres françaises
The-X-Files n'échappe donc pas à la règle. Selon le site du CNC et nos constatations, les deux films dérivés de la série sont, eux, facilement disponibles en location ou à l'achat. Selon les plateformes, ce sera en basse définition ou en « HD » (les services de VOD ne proposant presque jamais une vraie bonne qualité). Côté tarif, il faudra en général compter 2/3 euros pour de la location et un peu moins de 10 euros pour de l'achat. Là encore, on trouvera des coffrets DVD moins chers, pour 15 euros environ.
Pour l'intégrale des neufs premières saisons de la série, c'est un peu la même chose, à un détail près : de nombreuses plateformes ne la proposent pas ou de manière incomplète. Elle est ainsi absente de CanalPlay et Netflix. Fnac Play se limite ainsi aux saisons 1 et 2 (19,99/24,99 euros chacune en SD/HD), soit près d'un euro l'épisode. Comme souvent, il faut alors se tourner vers le Play Store de Google ou l'iTunes Store d'Apple.
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Le premier propose chaque saison à 11,99 euros (indiqué comme un tarif promotionnel). Le second fait de même, mais à 14,99 euros ou avec un pack intégral cette fois : 99,99 euros. Bien entendu, offre numérique oblige, ne pensez pas avoir droit à la VOST et à la VF pour ce prix, ce sera l'un, ou l'autre. Pour les deux, il faudra payer deux fois.
Une tarification d'autant plus désolante qu'elle est une fois de plus dépassée par l'offre physique. Comme nous l'avions évoqué à l'occasion de l'annonce d'un pack à près de 140 euros contenant les neuf saisons en Blu-ray, il était d'ores et déjà possible de les obtenir en DVD avec les deux films pour... moins de 80 euros.
Fnac Play propose la saison 10 multilingue, mais dépend de la diffusion par M6
Notez au passage que Fnac Play se paie tout de même le luxe d'être l'une des rares plateformes qui propose la saison 10 pour le moment (même YouTube ne le fait pas), à un tarif de 13,99/16,99 euros pour les versions SD et HD multilingues (ce qui est assez rare pour être souligné). Comme un brin d'espoir dans une offre légale presque totalement désastreuse.
Ne vous réjouissez néanmoins pas trop vite, puisqu'il faudra tout de même attendre la diffusion sur M6 pour accéder à chaque nouvel épisode de cette version payante et sans publicité.
Quand comprendront-ils ?
Au final, on ne peut donc qu'être déçus par les choix qui sont faits par presque l'ensemble des acteurs de la chaîne. Et à une heure où éditeurs et publicitaires commencent seulement à se dire qu'il faudrait adopter une approche « user-first » pour inciter les internautes à ne pas bloquer les publicités, les acteurs du monde de la télévision et du cinéma feraient bien de commencer à faire de même.
Car en l'absence de réelle prise de conscience et de correction de tous les défauts que l'on continue de constater chaque jour, plus de six ans après la création de la HADOPI, il ne faudra pas s'étonner de voir les internautes continuer à pirater du contenu. Ou, dans le meilleur des cas, commencer à se tourner vers des services en ligne américains, qui répondent mieux désormais à la demande des internautes, de manière efficace.