À son tour, Les Echos va commencer à faire la chasse à ses lecteurs lorsqu'ils bloquent les publicités. Cela passera par un test sur 5% d'entre eux, visant à leur proposer un nouvel abonnement « lecture zen » au bout d'une seconde visite. Une démarche qui n'implique pas de changement des pratiques publicitaires du site.
Alors que l'on attend encore que les membres du GESTE mettent en place l'opération pendant laquelle ils bloqueront l'accès à leurs sites aux internautes qui bloquent la publicité, nos confrères des Echos (groupe LVMH) ont décidé de faire cavalier seul et d'organiser leur propre riposte.
Dans un article publié hier soir, on apprend ainsi qu' « Un test est mené depuis lundi sur une partie des utilisateurs du site, invités à renoncer à leur logiciel bloqueur de pub. [...] Soit ils le désactivent et acceptent ainsi de participer à la monétisation des contenus du site via la publicité, soit ils refusent et devront, s’ils veulent continuer d’en bénéficier, se résoudre à terme à payer via le bon vieux système de l’abonnement. Un autre moyen de participer à la monétisation de ces mêmes contenus ». Une première en France selon le site.
La problématique du blocage de la publicité inquiète
Bien entendu, une telle pratique n'a rien de totalement innovant sur le fond. Comme nous avons déjà eu l'occasion de le dire, la problématique des bloqueurs de publicité existe depuis plus d'une dizaine d'année, même si elle a principalement touché les sites dont les lecteurs sont des férus de technologie dans un premier temps.
Avec la montée en puissance de la publicité, la multiplication des pratiques détestables, et autres dizaines de trackers que l'on rencontre sur chaque site, cette tendance s'est accélérée, et touche désormais aussi des éditeurs dont le public est plus large. Le mobile, un temps épargné, commence d'ailleurs à être lui aussi concerné, le tout avec la bénédiction d'Apple, d'ASUS, de Samsung ou même de Google.
De quoi inquiéter, car cela impacte de manière assez directe les revenus des sites, et le modèle économique qui leur permet de payer leurs équipes. Dans une époque où la presse ne va déjà pas très bien, et où les journaux se font racheter à tour de bras lorsqu'ils ne ferment pas leurs portes, cela n'arrange donc rien.
Des réponses déjà multiples, les éditeurs français sont encore timides
Chacun a donc tenté d'y répondre à sa manière, et nombre de sites ont déjà commencé à alerter leurs lecteurs lorsqu'ils bloquent la publicité. Parfois, un blocage de la visite est activé, cela a notamment été le cas lors du fameux #AdGate lorsque Free avait commencé à s'attaquer aux publicités de Google à travers sa Freebox début 2013. Certains proposent un modèle alternatif par abonnement, d'autres non.
Mais c'est bien hors de nos frontières que la volonté de bloquer les bloqueurs gagne réellement du terrain chez les grands éditeurs, comme nous avons pu le voir encore récemment chez Bild (Groupe Axel Springer) ou encore WIRED (Groupe Condé Nast). Sur ce point, le cas des Echos va donc faire office de test grandeur nature pour un média français à large audience, même si le site y va plutôt doucement.
En effet, le test est partiel, et le message ne s'affiche pas dès la première visite : « un message les invite à désactiver leur logiciel bloqueur de pub dès qu’ils ouvrent un deuxième article sur le site – et non avant même le premier article, comme le fait en Allemagne le « Bild ». S’ils refusent, ils peuvent s’abonner gratuitement pour trois semaines à l’offre de « lecture zen » qui supprime toute publicité dans les pages d’articles (mais pas sur la page d’accueil du site). A l’issue, ils se verront proposer l’accès à ce mode de lecture moyennant un abonnement classique » précise l'annonce.
Le site, qui revendique 30 600 abonnés Web (20 euros par mois, après un premier mois à 1 euro) et 49 900 issus d'une offre couplée Print + Web (25 euros par mois) a en effet décidé de proposer une offre presque sans publicité avec une interface moins encombrée, ce que permettent déjà certains navigateurs avec leurs modes Lecture.
Mais ici, elle est uniquement proposée à ses abonnés et aux adeptes de sa nouvelle offre, dont le tarif n'a pas été précisé. Les autres lecteurs n'auront donc pas le choix : accepter la publicité malgré ses dérives, ou aller voir ailleurs.
De la difficulté de se remettre en question
Et c'est bien là le problème, puisque comme nombre d'éditeurs, le site semble oublier l'origine de la problématique des bloqueurs de publicité : ses pratiques et celles de ses prestataires.
Ainsi, lors d'une première visite en navigation privée sur la page d'accueil des Echos, on peut relever pas moins de 46 trackers, 155 cookies tiers avec Chrome et Ghostery (malgré l'absence de consentement, la CNIL appréciera). Le tout, avec un brin d'auto-refresh au bout de 900 secondes :
Dès lors, ne faudrait-il pas aussi montrer un peu plus de considération pour l'ensemble des lecteurs du site avant de tenter de leur forcer la main ? Si la bonne volonté n'est pas la valeur la plus récompensée, par un lectorat souvent volatile et peu conscient de ces problématiques, il semble néanmoins vital que les éditeurs, acteurs du monde de la publicité, et institutions publiques, commencent à prendre en considération celui qui est au cœur de l'équation : l'internaute.
Comme le dit Les Echos, les effets de la décision qui vient d'être annoncée sont difficiles à prédire. Ainsi, « Le test est pour le moment limité à « 5 % des 9 millions de « cookies » mensuels du site (à chacun correspond 2 à 3 utilisateurs) » afin de pouvoir adapter le dispositif en fonction des retours.
Internautes et éditeurs ne doivent pas s'opposer, mais s'entendre
Espérons que dans cette bataille pour mieux monétiser leurs contenus, les éditeurs n'oublieront pas que derrières les « VU » et autres cookies il y a surtout des lecteurs qui n'en peuvent plus des pratiques actuelles en terme de publicité, de tracking et d'occupation de l'espace de leur écran... et que non, pour afficher une publicité sous la forme d'une image ou même d'une vidéo, il n'est nullement nécessaire que les divers intermédiaires s'accordent le droit de charger une cinquantaine de scripts à l'insu du lecteur et souvent, de l'éditeur (qui n'en est pas moins responsable).
Plus que de chercher à innover seulement sur la façon de mettre des coups de bâtons, il devient nécessaire de renouer le dialogue afin d'aboutir à un nouveau « contrat » et à une situation plus saine, que ce soit pour un modèle publicitaire ou par abonnement.
Mais étant donné les positions de chacun et le rythme de réaction habituelle des éditeurs, cela prendra encore sans doute quelques années. Les Echos ont au moins le mérite d'essayer d'avancer dans l'intervalle. Espérons néanmoins que ce test sera l'occasion de voir leur position évoluer, et d'être plus en phase avec celle promue depuis quelques mois par l'ancien directeur en charge du numérique du site, Frédéric Filloux.