Dominique Baudis, Défenseur des droits, a remis ce matin au président de la République son rapport (PDF) consacré aux droits de l’enfant, en compagnie de Marie Derain, Défenseure des enfants. Dans ce document, intitulé « Enfants et écrans : grandir dans le monde numérique », l'institution s'alarme des lacunes du contrôle et de la régulation des contenus, notamment à l'heure où les canaux de diffusion se multiplient (télévision, Internet, téléphone portable...), et formule dix propositions.
D’après le Défenseur des droits, outre le fait qu’Internet se soit considérablement répandu au sein des foyers français au cours des dix dernières années, le temps passé par les enfants devant les différents types d’écrans « a tendance à se cumuler », en ce que « les jeunes adoptent une attitude d’usage simultané des médias ». Les auteurs du rapport relèvent en effet que les mineurs peuvent aussi bien regarder la télévision, se connecter sur Internet en parallèle et/ou utiliser leur téléphone portable. « La convergence des écrans (télévision, ordinateur, portable, tablette) multiplie également les possibilités d’exposition avec des usages qui se recoupent (films et vidéos regardés sur Internet et non plus à la télévision, jeux sur les réseaux sociaux, etc.) ».
Les comportements des enfants évoluent eux aussi rapidement. « À titre d’exemple, les réseaux sociaux, activité de référence des jeunes sur Internet, étaient encore relativement marginaux au milieu des années 2000 alors que les blogs y étaient particulièrement populaires, notamment parmi les adolescents », note le rapport. 92 % des 15-17 ans, 80 % des 13-15 ans et 64 % des 11-13 ans déclarent ainsi posséder un profil Facebook. Et avec ces nouvelles évolutions, apparaissent de nouvelles problématiques : cas de harcèlement en ligne, problèmes liés au paramétrage des comptes, usurpation d’identité numérique, etc.
Les limites de la convergence numérique
Suite à ces différents constats, le Défenseur des droits relève que pour chaque vecteur de diffusion (télévision, jeux vidéo, cinéma...), correspond un dispositif particulier de contrôle et de régulation. Or, il remarque dans le même temps que « la convergence numérique met en évidence les dissonances entre les réglementations, les protections et rend rapidement obsolètes les différences d’approches, de règles, d’institutions intervenant en la matière ». Autrement dit, un même contenu (par exemple un film) peut potentiellement être régulé de plusieurs manières, par un organisme différent, en fonction de l’écran sur lequel il est diffusé (cinéma, VOD, télévision...). Le tout nuisant à l’efficacité de la protection des mineurs.
À cela s’ajoute l’apparition de nouveaux canaux de diffusion, qui ne sont quant à eux que « peu ou pas » régulés. Internet est ici clairement pointé du doigt. Pourquoi ? D’après le Défenseur des droits, un mineur peut ne pas être protégé du tout en fonction du site à partir duquel il regarde un contenu (plateforme de vidéos, téléchargement en P2P...). « La navigation internet sur les tablettes, les smartphones et via le wifi échappe à tout contrôle », déplore le rapport de l’institution.
« Les dispositifs existants ne permettent plus d’assurer une protection suffisante des enfants, écrit ainsi le Défenseur des droits. Le système doit être repensé pour plus de cohérence globale. Il existe une pluralité de dispositifs de régulation et de contrôle qui ont été créés en fonction du moyen de diffusion de contenus (TV, cinéma, Internet, jeux vidéo). Les parents n’arrivent pas aisément à s’y retrouver, et il n’est pas toujours facile de savoir à qui s’adresser pour obtenir les informations pertinentes ».
En conclusion, le Défenseur des droits regrette qu’il « n’existe actuellement aucun organisme de contrôle et de régulation unifié ». D’après lui, « les actions ont été fractionnées par publics, par missions, (médias écrit, audiovisuel, jeux, pub...) favorisant les interventions désordonnées peu évaluées par une instance extérieure. Des hésitations communautaires se sont ajoutées à ce flou quant à la conduite à tenir entre protection des publics sensibles et développement de ces industries. La diversité des législations et des modes de régulation internationaux oblige à une action commune qui s’ébauche lentement ».
Le Défenseur des droits formule dix recommandations
À partir de là, dix propositions sont formulées par le rapport du Défenseur des droits. Tout d’abord, l’institution préconise l’instauration d’une « co-régulation des politiques du numérique en direction des enfants et des adolescents ». Comment ? En créant à une plateforme de réflexion, de propositions et d’interventions rassemblant et coordonnant l’ensemble des acteurs publics et privés du numérique. Se dessine ici la création d’un pôle qui pourrait par exemple rassembler des organismes comme le CSA, ainsi que des entreprises comme Google, Zynga ou Twitter.
Notons par ailleurs que le Défenseur des droits mise sur l’autorégulation des acteurs privés du numérique pour renforcer la protection des enfants. « Plusieurs initiatives d’autorégulation initiées par différents acteurs du numérique (jeux vidéo, réseaux sociaux, industriels) ont déjà vu le jour et prospéré au plan international, indique le rapport. Elles ont montré leur pertinence ». L'institution conseille ainsi de les inciter.
Un droit à l'oubli « effectif » pour les mineurs
Ensuite, l’institution recommande fortement d’intégrer « le droit au déréférencement au règlement européen actuellement en préparation ». La Commission européenne veut en effet définir un nouveau cadre juridique pour la protection des données personnelles dans l’UE, visant notamment à encadrer la sécurisation informatique des données personnelles contre le piratage ou la perte de données, comme nous le révélions l’année dernière.
Le Défenseur des droits voudrait ainsi que les mineurs disposent d’une protection juridique renforcée de leur vie privée : « Ce droit [au déréférencement], qui constitue le corollaire indispensable d’une mise en œuvre effective du droit à l’oubli numérique, permettrait à la personne concernée de demander et d’obtenir la suppression du référencement des informations en question, dans les moteurs de recherche par exemple. Ainsi les données devenues indésirables disparaîtraient non seulement du site où elles ont été initialement introduites, mais aussi de tous les sites qui les ont reprises et diffusées », assurent les auteurs du rapport.
Sensibilisation
Le rapport de l’institution préconise également d’assurer « une formation effective aux TICE des principaux acteurs intervenant auprès des enfants (professeurs, éducateurs, animateurs...) abordant aussi bien la sensibilisation aux risques, les informations sur les systèmes de protection, que l’accès à la culture et à la connaissance ». Le Défenseur des droits déplore en effet qu’un nombre trop élevé « d’initiatives coûteuses » soit dispensé.
L’institution recommande enfin de modifier la législation relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne, dans le but d’y intégrer l’obligation d’indiquer dans toutes les publicités que ces jeux sont interdits aux moins de 18 ans.