Contre l’avis du gouvernement, le Sénat a adopté jeudi 11 février un amendement obligeant les éditeurs de livres numériques à transmettre une copie de leurs ouvrages aux pouvoirs publics, dans le cadre du dépôt légal. Une réforme qui pourrait combler les lacunes du dispositif existant, mais qui devra tout d'abord être validée par les députés.
Depuis 1537, la Bibliothèque nationale de France (BNF) a pour mission de collecter divers documents mis à la disposition du public : livres, photographies, enregistrements sonores, etc. Au fur et à mesure que les progrès techniques conduisaient à l’apparition de nouveaux médias, la liste des éléments conservés au titre de ce qu'on appelle désormais le dépôt légal s’allongeait. Tant et si bien qu’aujourd’hui, cette mission s’étend aux DVD, aux logiciels et bases de données, et même au Web français, comme nous avions eu l’occasion de le découvrir au travers d’un reportage réalisé en 2012. Le principe est simple : à chaque fois qu’un éditeur publie un contenu intellectuel, il est obligé d’en transmettre une copie à la BNF.
À l’occasion des débats relatifs au projet de loi Création, les sénateurs écologistes ont toutefois voulu alerter leurs collègues parlementaires sur un « angle mort » du dépôt légal :
« À l'heure actuelle, les livres numériques sont pris en compte de manière incomplète par le dispositif de dépôt légal obligatoire. Une partie des écrits diffusés par voie électronique est en effet captée par le biais du dépôt légal du Web effectué par la BNF, mais ces collectes ne sont pas en mesure d'assurer un archivage complet de la production des livres numériques du fait des limites techniques rencontrées. Par ailleurs, la BNF a mis en place un dépôt facultatif des fichiers correspondant aux livres numériques, que les éditeurs peuvent verser en même temps que les exemplaires papier. »
Comme l’explique la BNF, les livres numériques font effectivement figure de « cas particulier ». L’éditeur n’a « aucune démarche active à effectuer » auprès de l’institution publique, puisque les robots moissonneurs de cette dernière récupèrent en principe les ebooks mis en ligne. Sauf que l’on devine facilement que les choses doivent sérieusement se corser dès lors que certains ouvrages sont payants et/ou protégés par des DRM – ce qui est le cas d'un très grand nombre d'ebooks...
Les éditeurs bientôt tenus de transmettre une copie de leurs ebooks à la BNF ?
Au travers de leur amendement, les élus EELV du Sénat demandaient l’instauration d’une « véritable obligation de dépôt légal des livres numériques, afin de garantir une collecte exhaustive et une préservation à long terme de la production éditoriale sous forme numérique ». Selon eux, une telle mesure serait « relativement légère pour les éditeurs, dans la mesure où contrairement aux exemplaires papier, la transmission des fichiers numériques n'implique aucun coût ».

Sur le banc du gouvernement, Fleur Pellerin (qui vivait ses dernières heures en tant que ministre de la Culture) a toutefois donné un avis défavorable à cet amendement. « Le dispositif actuel du dépôt légal du Web convient : des organismes collectent eux-mêmes tous les contenus numériques relevant du patrimoine national – et pas seulement les livres, a-t-elle fait valoir. Cela correspond du reste à ce que pratique la BNF en matière de livres numériques, prenant l'initiative de la collecte. Ce système est souple, et moins coûteux. »
L’argument n’a manifestement pas fait mouche, puisque l’amendement des écologistes a été adopté, sans plus de débats. Celui-ci vient compléter le Code du patrimoine en précisant que « les livres édités sous une forme numérique » doivent faire « l’objet d’une obligation de dépôt légal » par le biais de « la transmission d’un fichier ». Mais pour avoir force de loi, ces dispositions devront tout d’abord être validées par l’Assemblée nationale – où le PS est majoritaire, à la différence du Sénat...