Comme l'avait prédit Einstein, des chercheurs annoncent avoir observé de manière directe des ondes gravitationnelles, sans « aucune place au doute », ainsi que la fusion de deux trous noirs. Une première ! Au-delà du buzz médiatique, que faut-il en retenir et quelles perspectives cela ouvre-t-il pour la science ?
Hier après-midi, des chercheurs du laboratoire Virgo à Pise en Italie, de LIGO aux États-Unis et du CNRS à Paris se sont succédés durant une conférence de presse pour annoncer « la première observation directe d'ondes gravitationnelles ». Cette détection est le fruit de la fusion de deux trous noirs qui a eu lieu à 1,3 milliard d’années-lumière. En quoi cette découverte est importante et quelles en sont les conséquences ? On fait le tour du sujet en dix questions/réponses.
Une onde gravitationnelle, c’est quoi exactement ?
Avant d’attaquer les choses sérieuses, il est important de définir ce qu’est exactement une onde gravitationnelle. Sylvie Leon, scientifique spécialisée dans la physique fondamentale au CNES explique qu’il s’agit d’une « oscillation de l’espace-temps » (voir notre actualité sur le voyage dans le temps et les trous de ver).
Pour imager un peu ce phénomène, elle ajoute qu'il s’agit « de petites vaguelettes qui se propagent dans la structure de l’espace-temps et qui changent sa géométrie ». Pour faire une analogie avec ce qui nous entoure, c’est un peu le même phénomène que lorsqu’on jette un caillou dans l’eau. La prédiction de l'existence d'ondes gravitationnelles est attribuée à Albert Einstein dans sa théorie de la relativité générale, publiée il y a tout juste 100 ans.
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— CNRS (@CNRS) February 11, 2016
Le CNRS explique que, selon les prédictions d’Einstein, « certains événements particulièrement énergétiques dans le cosmos, comme la fusion de trous noirs, doivent produire une bouffée d’ondes dites gravitationnelles ». Avant d’entrer en fusion, les deux objets célestes d’une masse très importante (pulsars, étoiles à neutrons, trous noirs, etc.) tournent l’un autour de l’autre de plus en plus vite (ils se rapprochent de la vitesse de la lumière), déformant de plus en plus l’espace-temps qui se trouve autour d’eux. Juste avant la fusion, ils dégagent une importante quantité d’énergie sous la forme d’ondes gravitationnelles.
Grâce à la fameuse équation E=mc² (l’énergie est égale à la masse multipliée par la vitesse de la lumière au carré), on a une idée très précise de la quantité d’énergie (et donc des ondes gravitationnelles) dégagée par la fusion de deux trous noirs. En effet, lors de la fusion, la masse du nouveau trou noir est inférieure à la somme des masses. Avec l'équation d'Einstein, on connait l'énergie correspondante.
Comment a-t-on pu détecter des ondes gravitationnelles avec certitude ?
Détecter une onde gravitationnelle revient donc à mesurer une déformation (infime) de l’espace-temps, mais aussi des objets célestes qui sont sur son passage, comme les planètes. Sur Terre, cela passe par exemple par la diminution ou l’augmentation de la longueur d’un objet. Durant la conférence, les chercheurs expliquent que lors du passage d’une onde gravitationnelle, la taille de la pièce change, et c’est justement cette modification qu’ils tentent de mesurer à l'aide de machines spéciales.
Problème, ce changement est très (très (très...)) petit, de l’ordre du milliardième de la taille d’un atome. Pour arriver à détecter cette infime variation, les scientifiques utilisent un interféromètre de Michelson. LIGO en dispose de deux : un à Hanford dans l’État de Washington et un second à Livingston en Louisiane. De son côté, Virgo (une réalisation franco-italienne) se trouve à Pise en Italie.
Dans tous les cas, le fonctionnement est le même : un faisceau laser est envoyé par un émetteur, puis il est divisé en deux par une lame séparatrice (un miroir). Chaque « moitié » du faisceau fait ensuite des allers-retours dans un des bras de l’interféromètre. Ils sont placés à 90° l’un de l’autre et mesurent plusieurs kilomètres de long. Les deux parties du faisceau se retrouvent ensuite et, si aucun décalage n’a été mesuré, ils « s’annulent » l’un l’autre :
S'ils ne s'annulent pas, c'est qu'ils ne sont plus synchronisés et qu’ils n’ont pas parcouru la même distance. De fait, les bras n’avaient plus la même longueur lors de l’expérience. Seule solution scientifique pour expliquer ce phénomène (sauf erreur de mesure et incertitudes expérimentales bien évidemment) : des ondes gravitationnelles sont passées par là. Elles ont déformé l’espace-temps et donc la longueur des bras de l’interféromètre.
Bien évidemment, ces machines sont construites avec la plus grande précision : les lasers passent dans des tubes « sous vide extrême », les miroirs sont montés sur « des atténuateurs sismiques », etc. Pour rappel, les variations recherchées dans ce genre de machines sont un milliard de fois plus petites que la taille d'un atome. Afin de donner une idée de la sensibilité des machines, le CNRS explique que « même une vague qui percuterait la côte à des dizaines de kilomètres pourrait provoquer des vibrations qui pollueraient les mesures ».
Quand a eu lieu la première détection directe des ondes gravitationnelles ?
Or, c’est justement ce qui s’est passé aux États-Unis dans les deux interféromètres LIGO situés à près de 3 000 kilomètres l’un de l’autre. Le 14 septembre 2015, à 11h51 (9h51 GMT) précisément, les deux machines ont enregistré des variations similaires, avec 7 millisecondes d’écart.
Lors de la traditionnelle session de questions/réponses, Tania Regimbau expliquait que les détecteurs fonctionnaient parfaitement bien, que la météo était calme autour des interféromètres, que le signal était propre et que, surtout, il a été détecté dans deux laboratoires différents, situés à 3 000 kilomètres l’un de l’autre. Bref, cela ne laisse « aucune place au doute » pour elle.

Où s’est produite la fusion des deux trous noirs ?
« L’analyse des données a permis aux scientifiques des collaborations LIGO et Virgo d’estimer que les deux trous noirs ont fusionné il y a 1,3 milliard d’années, et avaient des masses d’environ 29 et 36 fois celle du Soleil » explique le CNRS. « Les ondes gravitationnelles détectées ont été produites pendant la dernière fraction de seconde précédant la fusion de deux trous noirs en un trou noir unique, plus massif et en rotation sur lui-même ».
Selon les chercheurs, le résultat de cette fusion a donné naissance à un trou noir de 62 fois la masse du Soleil, soit une perte de l’équivalent de 3 Soleils (près de 6 x 10^30 kg tout de même), qui a donné lieu à des ondes gravitationnelles, qui se déplacent ensuite dans tout l'Univers à la vitesse de la lumière.
On ne connait par contre pas très précisément l’endroit de l’Univers d’où viennent les ondes gravitationnelles. « C’est très approximatif » confie un des chercheurs durant la conférence ; les deux trous noirs se situaient dans une « grosse tache » de l’ordre de 1 % du ciel. Un chiffre qui paraît faible, mais qui recouvre une vaste réalité.
Pour tenter d’essayer de se rendre compte de l’immensité de l’Univers, citons l’exemple du champ extrêmement profond de Hubble (voir cette actualité). Le télescope spatial avait photographié une toute petite partie de l’espace dans laquelle il ne semblait pas y avoir grand-chose, pour finalement y découvrir près de 5 000 galaxies, chacune avec plusieurs centaines de millions d’étoiles. Cela revient donc à chercher un fragment d’aiguille dans un océan de bottes de foin.
Le problème étant qu’avec deux points de mesure il n’est pas possible de faire une triangulation propre. « Si on avait eu Virgo, cette tache on aurait pu la réduire d’un facteur 100 » précise les scientifiques. Ce n’était pas pour cette fois et il faudra encore attendre fin 2016 pour que Virgo retrouve son fonctionnement normal. L'interféromètre franco-italien est en effet en maintenance pour améliorer ses performances, une mise à jour déjà effectuée sur LIGO et qui a porté ses fruits puisqu'elle a permis de détecter des ondes gravitationnelles. Par la suite, des détecteurs sont également prévus au Japon et en Inde, ce qui permettra d'augmenter encore la précision de la triangulation.
Cette découverte en cache-t-elle une autre sur les trous noirs ?
Moins médiatisée, mais également très importante, cette observation directe des ondes gravitationnelles induit une seconde découverte majeure : « Nous affirmons que nous avons vu la fusion de deux trous noirs » expliquait le CNRS durant la conférence de presse. Là encore, il s’agit d’une première. En effet, « la possibilité d’une telle collision de deux trous noirs avait été prédite, mais ce phénomène n’avait jamais été observé ».
Dans cette étude, il est également indiqué que « la conclusion des physiciens est que les ondes gravitationnelles détectées ont été produites pendant la dernière fraction de seconde précédant la fusion de deux trous noirs en un trou noir unique, plus massif et en rotation sur lui-même ».
Bien évidemment, des travaux sont en cours et d’autres publications permettront sûrement d’en apprendre davantage dans les mois qui viennent, que ce soit sur les trous noirs, les ondes gravitationnelles... mais probablement pas sur La grande question sur la vie, l’Univers et le reste, dommage.
Est-ce un cas isolé, ou bien d’autres détections sont-elles attendues ?
Pour le moment, les mesures du 14 septembre 2015 sont les seules qui permettent de confirmer la présence d’ondes gravitationnelles. Un « run » de mesure a été effectué entre septembre et janvier, mais sans donner d’autres résultats exploitables pour le moment. De nouveaux « runs » sont évidemment en préparation.
Le CNRS précise qu’il s’agissait de la première campagne d’observations d’Advanced LIGO, la version améliorée de LIGO. Les scientifiques ont du coup bon espoir de réaliser « quelques ou quelques dizaines de détections par an ». Ils souhaitent également que cela puisse « accélérer les programmes qui s’intéressent aux ondes gravitationnelles », et ainsi multiplier les chances de mesurer des ondes gravitationnelles.
Qui sont les chercheurs à l’origine de cette découverte ?
Alors que les rumeurs faisaient état d’une publication dans la revue Nature, cette découverte a finalement été acceptée et publiée par Physical Review Letters. Le CNRS explique que, « autour de LIGO s’est constituée la "collaboration scientifique LIGO" (LIGO Scientific Collaboration, LSC), un groupe de plus de 1 000 scientifiques travaillant dans des Universités aux États-Unis et dans 14 autres pays ».
Les laboratoires de LIGO et Virgo sont associés depuis maintenant plus de 10 ans, que ce soit pour le partage des mesures, des idées, des avancées ou des recherches. Il a donc été décidé de mettre en cosignataires le millier de scientifiques engagés dans cette aventure.
Dans le lot, on retrouve 75 scientifiques français répartis dans six équipes du CNRS et les Universités associées. Ils proviennent ainsi des laboratoires Astroparticule et cosmologie de Paris, Astrophysique relativiste, théories, expériences, métrologie, instrumentation, signaux de Nice, de l’accélérateur linéaire d’Orsay, d’Annecy-le-Vieux, de Kastler Brossel de Paris et enfin des matériaux avancés à Villeurbanne.
Thierry Mandon, le secrétaire d’État en charge de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, était présent à la conférence de presse du CNRS. Il a profité de l’occasion pour féliciter les chercheurs et rappeler la présence de la France dans les cosignataires : « C’est exceptionnel ce qui se passe aujourd’hui ». Il ajoute qu’on « est en plein dans la recherche fondamentale [...] On est au-delà de l’utilité, on est aux frontières de la connaissance ». Une manière de rappeler que oui, cette découverte n’a pas de conséquence directe dans la vie de tous les jours (dans l’immédiat tout au moins), mais qu'elle reste très importante et qu'il faut continuer d'œuvrer dans la recherche fondamentale.
Einstein ne l’avait-il déjà annoncé dans son principe de relativité générale ?
Certains évoquent parfois la découverte d’ondes gravitationnelles, mais Einstein en parlait déjà il y a 100 ans. On peut se donc demander ce qu’il y a de nouveau. La réponse pourrait être à la fois rien et tout. En effet, il n’y a « rien » de nouveau dans le sens où les ondes se comportent comme l’avait prédit Einstein. D’un autre côté, cela permet de confirmer cette partie de la théorie de la relativité générale par des mesures scientifiques, ce qui est tout sauf anodin.
« C’est à la fois un aboutissement et aussi le début d’une nouvelle forme d’astronomie, d’une nouvelle fenêtre sur l’Univers » explique Nicolas Arnaud, physicien. « Cette astronomie nous permettra de mieux comprendre la gravitation, la plus faible des forces fondamentales, mais qui gouverne les grandes structures de l’Univers » renchéri le CNRS. Bref, cette découverte est la première pierre des fondations de la gravitation et, même si Einstein l’avait prédit il y a un siècle, on en a désormais la confirmation.
Pour rappel, « une preuve indirecte de l’existence des ondes gravitationnelles avait été fournie par l’étude de l’objet PSR 1913+16, découvert en 1974 par Russel Hulse et Joseph Taylor – lauréats du prix Nobel de physique 1993 ». Cette fois-ci, l’observation est directe et cela change tout. Pour certains, cette découverte pourrait valoir le prix Nobel de physique. Reste maintenant à voir comment l’académie Nobel départagera le millier de cosignataires, mais c’est une autre histoire.
Quoi qu’il en soit, « on va enfin avoir un outil pour tester la gravitation, la relativité d’Einstein » se réjouit un des scientifiques, voire « préparer la prochaine théorie, si prochaine théorie il y aura ». Pour rappel, la théorie de la relativité générale est venue supplanter la théorie de la gravitation de Newton. Il se pourrait donc à son tour que la relativité générale soit supplantée par une autre théorie.

Quelles sont les conséquences de cette découverte ?
Cette détection directe ouvre visiblement de nombreuses portes. Les scientifiques cosignataires de cette étude expliquent tout d’abord que « les ondes gravitationnelles portent en elles des informations qui ne peuvent pas être obtenues autrement, concernant à la fois leurs origines extraordinaires (des phénomènes violents dans l’Univers) et la nature de la gravitation ».
Il y a quelques années, Benoît Mours (un des chercheurs présents lors de la conférence de presse d’hier) expliquait que la découverte des ondes gravitationnelles permettrait « de mieux comprendre la relativité générale, la gravitation et peut-être lever un voile sur le mystère de l’énergie noire ». Ce dernier point semble d’ailleurs toujours autant intéresser le CNRS qui explique dans son communiqué de presse d’hier que « l’Univers reste très mystérieux : 95 % de son contenu, la matière noire et l’énergie noire, nous sont invisibles alors qu’elles ont un effet gravitationnel ».
« Un des buts ultimes de la recherche des ondes gravitationnelles serait de faire une photo du Big Bang. Le Big Bang produit plein d’ondes gravitationnelles, et si on mesurait ces ondes gravitationnelles là, on aurait une photo un milliardième de seconde après le Big Bang, la photo la plus ancienne du Big Bang ». Durant la conférence de presse, Tania Regimbau tempère par contre les attentes de certains : ce n’est « pas demain » que l’on va détecter le Big Bang, mais « oui ça serait possible ». Il faudra pour cela développer d’autres interféromètres encore plus sensibles.
Quid des missions LISA Pathfinder et eLISA du CNES ?
LIGO et Virgo ne sont pas les seuls à s’intéresser aux ondes gravitationnelles, le CNES se penche également sur la question avec son programme LISA Pathfinder dont le premier satellite a été envoyé en orbite début décembre. Il ne s’agit pour le moment que de valider les instruments et la technique qui sera ensuite employée par le projet eLISA, bien plus vaste.
Le principe de fonctionnement reste le même avec un interféromètre, mais dans une tout autre dimension. En effet, alors que les bras de LIGO/Virgo ne font que quelques kilomètres de long, ceux que eLISA feront quelques... millions de kilomètres avec le placement de trois satellites. Il sera donc plus facile de mesurer des modifications de l’espace-temps, mais surtout de repérer des vaguelettes bien plus petites.
Pour le CNRS, « il n y’a pas de course », LIGO/Virgo et (e)LISA « regardent des choses différentes », ce qui n’empêche pas le CNRS de savourer sa « victoire » et d’être dans le groupe de tête. Dans tous les cas, eLISA est « relativement différent », car il observera « des ondes gravitationnelles dans l’espace, de plus grandes longueurs d’onde, plus basses fréquences ». Reste à voir si cela sera suffisant pour détecter celles du Big Bang. Il faudra attendre des années avant d’avoir les premiers résultats puisque la mission ne devrait débuter qu’en 2028.
Pour Paul McNamara de l'ESA, les possibilités qui seront offertes par eLISA iront dans le même sens que la découverte de LIGO-Virgo. « Cette mission [NDLR : eLISA] est importante pour l'astrophysique, car elle ouvre une nouvelle porte sur l'Univers, une porte sur les ondes gravitationnelles. Et ces ondes gravitationnelles permettent de remonter très tôt dans l'histoire de l'Univers, d'en savoir plus sur la formation des étoiles et des galaxies et de mesurer des trous noirs supermassifs. Et au fond nous mesurons la gravité de l'Univers, la force fondamentale de notre Univers ». Entre eLISA et le télescope spatial James Webb, les prochaines années promettent d’être riches en découvertes.