Plusieurs initiatives menées à l’Assemblée nationale et au Sénat visent à renommer la « rémunération pour copie privée » en « compensation équitable ». Une demande qui dépasse allègrement la symbolique lexicale pour être en conformité avec le droit européen. Problème, les ayants droit ne veulent pas d'un tel changement.
En préparation du projet de loi Création, la sénatrice Marie-Annick Duchêne propose de purger en ce sens le Code de la propriété intellectuelle. En lieu et place, elle préfère l’expression de « compensation équitable », dans cet amendement et celui-ci.
Cette initiative rejoint le front ouvert par Lionel Tardy (LR). À l’Assemblée nationale, lors du débat autour du projet de loi sur la République numérique, le député avait également déposé un amendement pour rebaptiser cette « RCP » en « compensation pour Copie privée ». En vain. Sa demande a été réitérée au premier article de sa proposition de loi concernant cette ponction, déposée le 2 février dernier.
En séance, Patrick Bloche, président de la commission des affaires culturelles, a déjà torpillé une telle modification. Pourquoi ? Car « il a été affirmé à plusieurs reprises, et notamment par le Conseil d’État, que cette rémunération ne peut être considérée comme une compensation. Elle ne constitue pas la réparation d’un préjudice subi » a insisté le député socialiste, rejoignant les propos d’Axelle Lemaire.
Le Conseil d’État évoque bien la « rémunération pour copie privée »
Il est vrai que le Conseil d’État a consacré lui aussi cette formule. Par exemple lorsqu’il a reproché aux ayants droit d’avoir prélevé illégalement ces sommes sur les achats faits par des professionnels ou d’avoir maximisé leurs flux en tenant compte des copies illicites.
Mais si le CE a évoqué cette notion de « rémunération », c’est avant tout parce qu’il n’avait pas à remettre en cause le Code de la propriété intellectuelle qui évoque lui aussi cette expression. Or, les juges administratifs ne sont pas en compétence pour réécrire la loi, et d’ailleurs l’objet de ces litiges n’était pas vraiment celui-là.
Que dit le droit européen ?
En disant cela, Patrick Bloche va dans le sens des ayants droit mais prend ses distances avec le rapport de son collègue Marcel Rogemont (PS). Cet été, le document présenté en Commission des affaires culturelles indique que « la RCP n’a pas pour vocation de contribuer à un partage de la valeur entre ayants droit, fabricants et importateurs de supports et consommateurs, mais de compenser un préjudice subi par les ayants droit du fait de la reconnaissance de l’exception pour copie privée ».
Pour comprendre exactement quelle est la nature de cette ponction, il est en réalité inutile de rester vissé aux textes français, tous passés entre les mains de la commission des affaires culturelles et du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique. Il faut au contraire que les élus conservateurs fassent l’effort de monter d’un cran, au niveau du droit européen, là où est le socle de la copie privée.
La directive sur le droit d’auteur et les droits voisins de 2001 ouvre en effet la possibilité à chaque État membre de prévoir une exception pour copie privée. Dans ce cas, seulement, « les titulaires de droits doivent recevoir une compensation équitable afin de les indemniser de manière adéquate pour l'utilisation faite de leurs oeuvres ou autres objets protégés » (point 35 de la directive).
L’article 5, 2, b) est encore plus explicite : en contrepartie « de reproductions effectuées sur tout support par une personne physique pour un usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales », « les titulaires de droits reçoivent une compensation équitable ».
C’est donc clair : le droit européen évoque la notion de « compensation équitable » et jamais celle de « rémunération ». Il parle en outre d’une « indemnisation » pour l’utilisation qui est faite des œuvres, soit un préjudice.
Cette grille de lecture, simple, n’a d’ailleurs pas échappé à la CJUE. Dans un dossier soulevé en Espagne, où est intervenue la France, l’avocat général Maciej Szpunar a expliqué le 19 janvier dernier que « la compensation prévue par la directive 2001/29 n’est pas non plus une rémunération ».
Un attachement plus que symbolique
Donc, quoi qu'en disent Patrick Bloche, Axelle Lemaire, les ayants droit et le Code de la propriété intellectuelle, la France est bien à l’écart de la norme européenne.
S’il y a tant d’attachement des ayants droit à conserver la notion de « rémunération », c’est peut-être en raison de la crainte de voir ce prélèvement fiscalisé comme en Espagne. Un tel mouvement empêcherait en effet les bénéficiaires, et avant tout les sociétés de gestion collective, à garder le contrôle sur les flux.
Autre chose : il est plus facile d’émouvoir les uns et les autres en évoquant une menace sur la « rémunération » des créateurs, plutôt que sur celle de leur « compensation » pour copie privée. Pourtant, l’affirmation compensatrice de cette ponction offrirait possiblement un bel avantage. Elle aurait le mérite de fixer clairement la situation au regard de la TVA. En comparaison, aujourd’hui, le système est bâtard à souhait : voilà une « rémunération » calculée sur le prix des supports, mais frappée d’une TVA à 20 %. Un curieux méli-mélo qui permet à Bercy de récolter plus de 40 millions d’euros sur les flux. Chaque année...