Dans son récent rapport sur les services publics numériques, la Cour des comptes invite les pouvoirs publics à « réétudier l’opportunité de développer une carte nationale d’identité électronique ». Un projet pourtant stoppé net il y a près de quatre ans par le Conseil constitutionnel.
Les Sages de la Rue Montpensier avaient en effet jugé le 22 mars 2012 que les articles 5 et 10 de la proposition de loi relative à la protection de l’identité étaient contraires à la Constitution – et plus particulièrement au droit fondamental au respect de la vie privée. Souvenez-vous : ce texte soutenu à l’époque par la majorité UMP reposait sur la mise en place d’une nouvelle carte d’identité électronique, dotée d’une puce dans laquelle aurait notamment été enregistré l’état civil de chaque Français, sa photo mais aussi – et surtout – ses empreintes digitales. Autant d’informations destinées à abreuver un nouveau fichier, qui aurait dû être consultable par les forces de l’ordre à d’autres fins que de simples vérifications d’identité...
Le juge n'a pas censuré la création d'une carte d'identité électronique
Pour les magistrats de la Rue Cambon, le gouvernement devrait néanmoins songer à remettre ce projet sur les rails : « Le Conseil n’a pas censuré la création d’une CNIé elle-même, mais deux dispositions inscrites dans la loi du 27 mars 2012 relative à la protection de l’identité : la création d’une base de données contenant les informations détenues dans ces puces (article 5) portant sur la quasi-totalité de la population et interrogeable notamment par les services de police et de gendarmerie (article 10 de la loi précitée), ainsi que la possibilité pour le titulaire de la carte d’y faire figurer des données permettant de s’identifier sur des réseaux de communication électronique et de mettre en œuvre sa signature électronique. »
Encourageant vivement le développement de l’e-administration, la Cour des comptes explique que la relance de la carte d’identité électronique pourrait faire partie des projets « structurants » dont la France a besoin. À ses yeux, « l’identification électronique des usagers doit être à la fois simplifiée et sécurisée ». Alors que le Secrétariat général de modernisation de l’action publique (SGMAP) travaille activement au déploiement du dispositif d’authentification FranceConnect, les magistrats estiment que « l’étape suivante devrait être de développer une carte nationale d’identité électronique ».
L'identité numérique en débat
De fait, l’article 2 de la loi de 2012 (non censuré) prévoit encore et toujours que « la carte nationale d'identité (comporte) un composant électronique sécurisé », à l’intérieur duquel seraient notamment stockés le nom, l’adresse, la couleur des yeux d’une personne, mais aussi « ses empreintes digitales ». Sauf que ces dispositions restent dans l’attente d’un décret ministériel, pris après avis de la CNIL, avant d’être activées...
La Cour des comptes se montre toutefois optimiste :
« Malgré ce blocage, l’Agence nationale des titres sécurisés (ANTS) est en train de développer un prototype (ALICEM) permettant d’utiliser une pièce d’identité électronique (le passeport biométrique actuellement) pour s’identifier via son smartphone, de confronter la photo avec l’utilisateur par reconnaissance faciale et de créer ainsi un compte utilisable par de nombreux services partenaires. Cette expérimentation, très prometteuse, doit bénéficier d’un financement dans le cadre du nouvel appel à projet du programme d’investissements d’avenir lancé en juin 2015. Le SGMAP a d’ailleurs signalé qu’il envisageait d’inclure ALICEM parmi les fournisseurs d’identité de FranceConnect, ce qui permettrait de proposer aux usagers une authentification d’un niveau de sécurité fort au sens du règlement e-IDAS. Ce projet justifierait la relance d’un projet de carte nationale d’identité électronique dont les modalités soient pleinement conformes à la Constitution, sur la base d’une analyse approfondie de l’opportunité, des coûts et des conséquences d’un tel développement, afin de ne pas réserver une telle possibilité aux seuls détenteurs d’un passeport.
La présentation physique reste aujourd'hui nécessaire à la prise de données biométriques, telles que les empreintes digitales pour le passeport par exemple, mais les nouvelles générations de smartphones, qui peuvent enregistrer l’empreinte digitale de leur propriétaire afin de déverrouiller l’appareil, laissent entrevoir à terme des possibilités de vérification de l’identité par prises d’empreinte digitale à distance. Ceci pourrait permettre par exemple de supprimer l’exigence de double comparution pour l’élaboration du passeport (la première au moment de la demande avec enregistrement des empreintes digitales, et la seconde pour retirer le passeport avec vérification de l’identité notamment par les empreintes digitales). »
Hasard du calendrier, le député Dominique Tian (LR) a interpelé mardi dernier le gouvernement à ce sujet, l’élu affirmant qu’une récente décision du Conseil d’État pourrait contraindre l’exécutif à hâter le pas sur ce dossier (voir sa question écrite). Le sujet pourrait surtout s’inviter dans les débats relatifs au projet de loi Numérique, les députés ayant demandé au gouvernement de préparer un rapport sur « les mesures nécessaires au développement des échanges dématérialisés, notamment l’identité numérique ».