Deux amendements au projet de loi Création, déjà adoptés en commission de la Culture, vont grandement faciliter la défense des titulaires de droit dans la lutte contre le piratage en ligne. Le tout financé par des deniers publics. Explications.
Passés inaperçus, les amendements 26 et 29 autorisent en effet le Centre national du cinéma « à se constituer partie civile en matière de lutte contre la contrefaçon des oeuvres cinématographiques, audiovisuelles et multimédia », comme l’a expliqué en commission, son auteur, David Assouline, suivi par l’ensemble des sénateurs PS.
À ce jour, le 6° de l’article 111-2 du code du cinéma et de l’image animée confie au CNC la mission de participer à la lutte contre la contrefaçon. L’article 331-3 du code de la propriété intellectuelle met cette participation en musique : il l’autorise à « exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne le délit de contrefaçon ». Cependant, cette intervention a pour préalable une fâcheuse condition : l’existence d’une action publique mise en mouvement par le ministère public ou les titulaires de droits.
Les sénateurs socialistes, visiblement très sensibilisés aux intérêts du secteur, ont fait adopter un amendement COM-26 pour renforcer quelque peu cette disposition. Il vise à autoriser le CNC à pouvoir, non seulement se constituer partie civile, mais également porter plainte devant le juge d’instruction pour contrefaçon. Il suffira que les diffusions illicites en cause lui portent un préjudice quelconque sur les ressources qui lui sont normalement affectées.
Cette démonstration sera simple : le CNC profite aujourd’hui de trois taxes directement affectées, celle sur les services de télévisions, celle sur les ventes et locations de vidéo et celle enfin, frappant les entrées de cinéma. En arguant que tel site diffuse illégalement des contenus audiovisuels qui menacent les flux où il aurait dû percevoir sa dîme, le CNC passera sans mal la condition.
Le filtre du procureur contourné
Sur sa lancée, l’amendement étend encore « le champ des délits au titre duquel le CNC peut intervenir en partie jointe au délit concernant les droits voisins ». Mais surtout, David Assouline et ses collègues ont aussi ajouté une autre petite phrase à l’utilité tout aussi absolue : « La condition de recevabilité prévue au deuxième alinéa de l’article 85 du code de procédure pénale n’est pas requise ». En clair ? La plainte du CNC entrainera automatiquement un procès, sans avoir à passer par le filtre du procureur de la République.
Le CNC pourra réclamer le blocage d’un site
Ce n’est pas tout. Un autre amendement est à suivre de près : le COM-29 autorise désormais le CNC, à l’instar des ayants droit et des sociétés de gestion collective, à « engager une action en cessation devant le tribunal de grande instance en cas d’atteinte au droit d’auteur occasionnée par un service en ligne », indique l’exposé des motifs. Pour se faire, il modifie une disposition qui fut adoptée lors de la loi Hadopi, très contestée par les socialistes de l’époque : l’article L336-2 du code de la propriété intellectuelle.
Celui-ci autorise les titulaires de droits à solliciter du juge, même en référé, une mesure de filtrage, de blocage ou de cessation face à des faits de piratage en ligne. Avec l’amendement socialiste, le CNC pourra lui aussi exercer ces demandes devant le TGI de Paris, le tout sur deniers publics.
Cette extension avait été suggérée en 2013 par Mireille Imbert-Quaretta. Alors présidente de la commission de protection des droits, celle-ci avait estimé utile qu’une « autorité publique » puisse se voir autoriser à saisir le juge sur le fondement sur L336.2 code de la propriété intellectuelle afin de faciliter ces actions en cessation. Le rapport Lescure s’était inscrit dans ce sillage, en proposant de confier cette mission aux Douanes.