Le service de streaming PlayTV.fr édité par PlayMedia, se voulait vertueux. Il a loupé son coche : l'éditeur vient d'être condamné en appel à verser 400 000 euros à France Télévisions, somme qui s'ajoutent au million d'euros déjà infligé par le TGI de Paris principalement pour contrefaçon.
L’affaire est un joli sac de nœuds. Playtv.fr, site qui diffuse en streaming les flux de plusieurs chaînes de télévision, avait été mis en service en février 2009. Le business model n'était en rien comparable à un quelconque site pirate monté dans un paradis fiscal. En 2009, son éditeur avait en effet déposé un dossier au CSA pour se voir reconnaître le statut de distributeur de service de télévision. Ce statut entraîne plusieurs obligations : respect de la numérotation CSA, protection de la jeunesse, versement de multiples cotisations (Sacem, SACD, SCAM, COSIP, etc.), et surtout l’obligation de must carry. Cette dernière l'oblige à diffuser l’ensemble des chaînes publiques comme le veut la loi de 1986 sur la liberté de communication.
Seulement, un bâton s’est rapidement placé dans les roues de cette jeune entreprise innovante : France Télévisions. Le groupe a toujours refusé une telle reprise considérant que PlayMedia était hors des clous de son réseau fermé, négociés avec les titulaires de droit et l’ensemble des principaux FAI et opérateurs mobiles.
L’affaire prenait rapidement un tournant judiciaire. En octobre 2014, PlayMedia était condamné à un million d’euros de dommages et intérêts pour contrefaçon. Le tribunal de grande instance de Paris lui ordonnait également de cesser la reprise des flux de FTV. L’éditeur dénonça cette décision, contre laquelle il fit appel tout en obtenant la suspension du paiement en référé.
La mise en demeure du CSA attaquée par France Télévisions
Parallèlement, et après de longues hésitations, le CSA donnait finalement raison à PlayMedia en juillet 2015, considérant que l’éditeur avait su répondre à la totalité des obligations nées de la loi de 1986. Peut-être sensibilisé par Fleur Pellerin, le Conseil supérieur de l’audiovisuel mettait alors en demeure FTV de ne pas s’opposer à la reprise des flux. Une décision immédiatement attaquée par le groupe public devant le Conseil d’État, sur le terrain du recours pour excès de pouvoir.
En appel du jugement d’octobre 2014, PlayMedia a déroulé à nouveau ses arguments : l’obligation de reprise des chaînes publiques née de la loi de 1986 est d’ordre public. Du coup, réciproquement, elle « oblige les éditeurs de ces chaînes publiques à accepter leur diffusion par un distributeur reconnu par le CSA et leur impose d’accepter soit la reprise en dehors de tout écrit, soit la signature de conventions ». L’éditeur de Playtv.fr a épinglé aussi l’absence de convention entre Canal+ et Orange avec France Télévisions, révélateur d’une obligation de must carry.
Il a dégommé également des signes d’« arbitraire », en citant le futur service Molotov.tv, créé notamment par Pierre Lescure, et « dont le système consiste à donner accès aux programmes de télévision à partir de terminaux libres d’une “box” dans les mêmes conditions que PlayMedia ». Or, Molotov.tv « a pu signer une convention avec France Télévisions, apportant ainsi la preuve de la pratique discriminatoire de l’arbitraire par France Télévisions qui sélectionne arbitrairement les distributeurs auxquels elle choisit d’octroyer la diffusion de ses chaînes sur l’internet dans des conditions de pratique anticoncurrentielle en abusant de sa position dominante ». Bref, PlayMedia a réclamé 3 millions d'euros à titre de dommages et intérêts.
France Télévisions a contesté, bien entendu, avançant que le CSA « n’est pas une juridiction, mais une autorité administrative indépendante dont les décisions ne sont pas assorties de l’autorité de la chose jugée, le juge judiciaire n’étant pas lié par l’interprétation donnée par l’administration des textes qui lui sont soumis ». En clair, la décision du Conseil n’a pas grande portée. Elle a ajouté que « certains ayants droit (studios américains, détenteurs de droits sportifs) imposent des interdictions concernant la reprise sur l’internet “ouvert” des diffusions autorisées sur les réseaux hertziens, ou limitent ces reprises du signal hertzien aux seuls sites Internet des diffuseurs ».
Dans tous les cas, PlayMedia doit négocier avec FTV une autorisation, avant toute diffusion de ses programmes, car l’obligation de must carry n’est en rien une exception ou une limite aux droits d’auteur et droits voisins. D’ailleurs, must carry ou pas, FTV conserve son droit d’autoriser ou d’interdire ces diffusions, et la liberté de contracter avec qui elle veut.
Must carry ou pas, l'autorisation de FTV est nécessaire
La cour d’appel de Paris va donner une nouvelle fois raison à France Télévisions. Elle souligne que l’article 1 de la loi du 30 septembre 1986 « dispose que si la communication au public par voie électronique est libre, l'exercice de cette liberté par la libre retransmission des programmes audiovisuels ne peut se faire que dans le respect de la propriété d’autrui ». Joli témoignage de la toute puissance du Code de la propriété intellectuelle.
Du coup, pour les juges, sans l’autorisation de FTV, le site ne peut s’abriter sous le parapluie du must carry, et peu importe la décision du CSA, qui n’est pas une juridiction. Ils confirment donc la peine infligée à l’occasion du premier jugement, soit un million d’euros de dommages et intérêts, en y ajoutant :
- 200 000 autres euros pour contrefaçon des droits de FTV à partir du 20 novembre 2014, date à partir de laquelle PlayMedia a mis en place un nouveau système de diffusion reposant sur les liens profonds visant France Télévisions. La cour d’appel a certes pris en compte de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (affaire Svensson du 13 février 2014 et Bestwater du 21 octobre 2014), autorisant les liens hypertextes et le framing. Mais elle a surtout rappelé que ces deux dossiers ne concernaient que les droits d’auteur, non les droits voisins.
- 150 000 euros au titre de la concurrence déloyale.
- L’interdiction sous astreintes de liens profonds visant les chaînes du groupe FTV.
- 20 000 euros pour couvrir la publication du dispositif de la décision dans deux publications.
- 50 000 euros au titre des frais exposés.
En tenant compte du premier jugement, le total s’approche donc des 1,5 million d’euros au profit de France Télévisions.