Jeudi, la Commission européenne a annoncé une nouvelle série de mesures pour lutter contre l'évasion fiscale des grandes sociétés. Dans le collimateur, les intérêts des prêts contractés auprès des filiales dans les paradis fiscaux, qui ne sont pas imposables. Cela alors que les accords entre États et géants du numérique se multiplient.
Le paquet européen contre l'évasion fiscale est en marche. Jeudi, Pierre Moscovici, le Commissaire européen aux affaires économiques, a détaillé les mesures de ce plan censé mettre un terme à l'évitement de l'impôt, dont sont notamment coutumiers les géants du Net. La clé est que chaque pays puisse taxer les bénéfices effectués sur son territoire, même s'ils ont été transférés ailleurs, par exemple par des paiements de licence de marque à une filiale située dans un paradis fiscal.
« Ce que nous faisons s'articule autour d'un principe directeur, qui doit devenir notre règle commune : le profit doit être taxé là où il est créé » a lancé Pierre Moscovici, qui estime le coût de cette évasion fiscale entre 50 et 70 milliards d'euros par an. « Nous proposons des mesures concrètes pour empêcher les entreprises de transférer leurs profits dans les paradis fiscaux », notamment en réduisant les disparités dans les régulations nationales, par lesquelles passent les entreprises.
Plus de transparence entre pays de l'Union
Pour la Commission européenne, la mesure la plus emblématique est l'échange d'informations entre administrations fiscales des États membres. Chaque pays sera ainsi tenu de transmettre aux autorités de ses voisins les déclarations fiscales qu'a effectué une entreprise, sur demande.
Un pas vers plus de « transparence », dont les résultats resteront tout de même privés, contrairement à ce qu'a déjà souhaité le Parlement européen, regrette l'ONG CCFD-Terre Solidaire, citée par L'Humanité. Le journal remarque d'ailleurs que la mesure n'est applicable uniquement aux entreprises qui réalisent plus de 750 millions d'euros de chiffre d'affaires.
Des prêts, des intérêts et pas d'impôts
L'une des autres mesures phares est la lutte « contre les accords fiscaux abusifs entre entreprises et États », qui sont au centre du scandale LuxLeaks. Pour rappel, il s'agit d'une série d'accords entre le Luxembourg et de grandes entreprises, révélée fin 2014 par le consortium de journalistes ICIJ. Dans certains cas, le taux d'imposition passait des 29 % officiels à 1 %. Cela grâce à des « explications » du système fiscal luxembourgeois aux entreprises par les autorités, pour les aider dans leurs montages.
Au rayon des méthodes d'évasion, la Commission veut aussi s'attaquer aux prêts entre filiales d'un même groupe, dont les intérêts échappent aux impôts. Il suffit donc qu'une filiale contracte un prêt à une autre, située dans un pays à la fiscalité plus avantageuse, pour qu'une partie des bénéfices ne soient plus taxables. Avec son paquet, l'institution européenne souhaite que les bénéfices fournis sous forme d'intérêts soient bien imposables par le pays où ils ont été générés. Cela si le taux d'imposition du pays où atterrit l'argent est inférieur de 40 % à celui du pays d'origine.
Des mesures en travail, après plusieurs accords
Ce paquet européen suit de quelques mois une initiative similaire de l'OCDE. Le plan de lutte contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfice (BEPS), approuvé en octobre par 90 pays, contient des mesures proches, dont une meilleure communication entre les autorités fiscales.
Les mesures européennes doivent encore passer le circuit habituel des directives. Il leur faut désormais obtenir l'aval du Conseil de l'Europe et du Parlement européen. « Je suis très confiant dans un accord rapide, voire très rapide, sur l'architecture et les mesures de ce paquet » rassurait jeudi Pierre Moscovici. Le fait qu'elles soient calquées sur le cadre approuvé à l'OCDE devrait logiquement y contribuer.
L'initiative de la Commission n'empêche pourtant pas les accords individuels, loin de là. En fin d'année dernière, nous apprenions qu'Apple et l'Italie auraient trouvé un accord, où la marque à la pomme se serait engagée à payer 318 millions d'euros au fisc... Qui cherchait à en récupérer 879 millions.
La semaine dernière, Google a lui accepté de payer 172 millions d'euros aux autorités britanniques. Un accord critiqué, notamment parce qu'il ne remettrait pas assez en cause le montage de Google. Malgré cela, la France aimerait le répliquer, si l'on en croit Michel Sapin, pour lequel il s'agit d'une « nécessité ». D'autres mesures pourraient aussi s'envisager, comme une taxe sur les plateformes, proposée début 2015 par le think tank France Stratégie... Qui a précédé de quelques mois une étude de l'ARCEP sur la mesure du trafic Internet.