Retour sur 15 ans de Wikipédia, ses réussites et ses combats

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Internet 11 min
Retour sur 15 ans de Wikipédia, ses réussites et ses combats

Mi-janvier, Wikipédia fêtait ses 15 ans. Le projet libre est devenu la première encyclopédie collaborative mondiale, et son chemin n'a pas été sans tumulte. Dépendant des dons et encore critiquée à la marge, elle prépare son avenir, qui n'est pas encore garanti.

Cinq millions d'articles en anglais, 1,7 million en français et près de 30 millions dans 289 autres langues. L'importance de Wikipédia transparaît déjà dans ces quelques nombres. Le 15 janvier, l'encyclopédie libre a fêté ses 15 ans, qui l'ont vu passer de simple projet à source de référence pour des centaines de millions d'internautes. À cette occasion, la fondation Wikimedia a annoncé la création d'un fonds (endowment) de 100 millions de dollars sur dix ans, pour soutenir l'encyclopédie en cas de problème.

Ces dernières semaines ont aussi été l'occasion de nouvelles moins heureuses pour le projet. La principale est « l'affaire » Arnnon Geshuri, un membre du conseil d'administration de Wikimedia qui a démissionné il y a quelques jours, suite à des ennuis judiciaires liés à sa carrière dans les ressources humaines chez Google. La communauté a d'ailleurs voté pour cette démission, une première pour la fondation. Cela alors que d'autres défis l'attendent, comme le renouvellement de ses contributeurs.

Ce sont autant de points que nous avons abordés avec Christophe Henner. Un homme aux multiples facettes puisqu'il est à la fois président de l'association Wikimédia France et directeur marketing de jeuxvideo.com.

15 ans d'évolution de l'encyclopédie et de rapports avec l'extérieur

« Internet, du début à maintenant, a démocratisé l'accès à l'information, à la connaissance, à la culture. Là où Wikipédia a apporté une pierre différente à l'édifice, c'est en l'agrégeant, en la structurant et en la rendant plus facilement accessible. Aussi légalement, via les licences libres » nous explique Christophe Henner.

Avec la popularité est aussi venue la légitimité. « Maintenant, il est relativement acquis que Wikipédia est positif » poursuit-il. « De même, sur la fiabilité de l'encyclopédie, la question se pose moins, notamment parce que des études sont passées par là pour prouver qu'elle n'est pas si mauvaise que ça ! »

Dans les 291 langues que propose Wikipédia, la francophone est la deuxième en popularité et l'une des seules dont le nombre de contributeurs ne baisse pas. « On ne sait jamais si c'est dû à l'association française, Wikimédia France, mais la Wikipédia francophone est parmi l'une des plus grosses et anciennes Wikipédia. Le nombre de contributeurs est en stagnation ou croissance selon les mois » précise le président de Wikimédia France.

Financements stables, mais critiques mouvantes

Depuis le début, la grande majorité des revenus proviennent des contributions et dons. Pour l'année 2014-2015, ils représentaient 72,2 millions de dollars sur 75,7 millions de revenus (PDF). « 95 % des revenus de Wikipédia, ce sont des donneurs privés. C'est l'argent qu'on reçoit de grands donateurs, que ce soit des fondations privées ou des individuels » indique Henner.

La situation ne serait pas prête de changer, malgré la constitution d'un fonds sur dix ans. Les campagnes annuelles continueront bien, le spectre de la publicité restant, lui, loin. « Le jour où la question de la publicité se reposera sérieusement, c'est vraiment que nos finances iront très mal » rassure Wikimédia France.

Les critiques, elles, se sont aussi globalement éteintes, à part quelques personnalités qui n'en apprécient pas le fonctionnement. Certaines affaires restent en mémoire, comme celle qui a opposé Pascal Rogard, président de la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques (SACD), à l'encyclopédie et qui entache encore aujourd'hui leurs relations.

À l'époque, l'encyclopédie le qualifiait de lobbyiste, un terme qu'il refusait. Le débat avait culminé sur le plateau d'Arrêt sur images, où SACD et Wikipédia ont longuement débattu de l'impossibilité pour une personnalité d'éditer sa propre fiche.

Plus de 11 ans de Wikimédia France

En France, l'encyclopédie est représentée par l'association Wikimédia France, fondée en octobre 2004. Dès le départ, le but était de pouvoir coordonner des actions qui bénéficieraient « à la connaissance libre ». « Comme toute association, nous avons eu nos périodes tumultueuses, aujourd'hui nous sommes beaucoup plus stables. Elle s'est professionnalisée » défend son président. « On a pris une position forte : Wikimédia France doit être un catalyseur pour la connaissance libre. Notre but est de donner le maximum de moyens aux gens qui veulent en créer. »

Concrètement, l'association s'est organisée au fil des années pour porter cet objectif. Cela passe notamment par des partenariats « prestigieux » pour numériser le contenu de bibliothèques et musées, par l'achat de corpus difficile à avoir (ou cher) pour des contributeurs ou de matériel photo pour apporter des illustrations, par exemple... Que cela finisse sur Wikipédia ou non, du moment que ce soit sous licence libre.

L'association se défend également de gérer Wikipédia : elle « soutient » uniquement le projet. En arrivant au bureau de l'association, Christophe Henner a d'ailleurs démissionné de son poste d'administrateur sur le site, pour éviter toute confusion. Cela n'empêche pas Wikimédia France de recevoir de nombreuses demandes liées au contenu de l'encyclopédie, qu'elle laisse la plupart du temps la communauté gérer.

Aujourd'hui, Wikimédia France compte environ 400 membres, avec un bureau d'une dizaine de personnes et une quinzaine de salariés. Ces derniers s'occupent entre autres de certaines tâches rébarbatives, pour laisser les membres agir en toute quiétude. Elle est financée environ pour moitié via les collectes de dons mondiales de Wikipédia et pour l'autre moitié par des dons, les cotisations des membres et des sponsors sur certains projets.

 « Il y a aussi les missions d'évangélisation, d'accompagnement » ajoute Christophe Henner, ce qui inclut du lobbying. « Je n'ai aucun problème pour appeler ça du lobbying. On explique aux parlementaires quelle est la situation légale actuelle, puis où on veut aller et pourquoi » poursuit-il. La démarche se veut transparente, au contraire d'un lobbying « classique ».

Du lobbying sur la liberté de panorama

Le dernier sujet d'importance sur lequel Wikimédia France a milité auprès des parlementaires est la liberté de panorama, introduite dans la loi Lemaire (voir notre analyse). Pour rappel, elle permet de prendre des photos de bâtiments ou œuvres visibles de la voie publique, mais uniquement pour un usage non-commercial.

Une limite qui ne convient pas à Wikimédia. Avec cette disposition, l'encyclopédie ne pourra pas recevoir ces photos, vu qu'elle ne peut pas en empêcher l'usage commercial par la suite. Dans ce cas, il faudrait rémunérer les architectes pour ces photos. Démarche ouverte oblige, il y a près d'un an, Wikimédia France avait d'ailleurs contacté l'Adagp, la SPRD qui gère les architectes, « pour trouver une solution qui convienne à tout le monde ».

« Je ne suis pas content du résultat, parce que c'est inexploitable. Il faudrait vraiment définir la notion de commercial et de non-commercial sur Internet » explique le président de l'association. Mais cette disposition aura eu un mérite : porter devant le parlement une problématique encore confidentielle il y a dix ans.

« Ça fait 12, 13 ans que je suis sur les projets et on a vu évoluer l'appropriation de ces problématiques » explique-t-il. « En 2006, les premières fois où on avait rencontré des parlementaires pour leur expliquer ce qu'était Wikipédia, c'était très compliqué, parce qu'il fallait expliquer les licences libres, pourquoi on voulait que tout le monde puisse modifier, le commercial, non-commercial, etc. » Soit autant de notions bien mieux maîtrisées aujourd'hui.

En dehors du débat lui-même, l'autre « grande satisfaction » du numéro un de Wikimédia France est un amendement. 50 députés ont ainsi soutenu l'amendement prévoyant de supprimer la notion d'usage non-commercial « Les 50 députés en question viennent de tous les partis, de l'extrême-gauche à la droite. Ça montre que ce qu'on fait est politique dans le sens sociétal du terme, et non partisan » comprend-il.

Un fonds de 100 millions de dollars en cas de pépin

Pour ses 15 ans, Wikipédia a surtout annoncé la création d'un fonds (endowment) de 100 millions de dollars sur dix ans, pour garantir la pérennité du projet. « C'est un peu une assurance-vie. Ça s'adresse à des gens qui croient au projet, mais aussi à la défiscalisation. C'est un système américain : ils nous confient leur argent pour faire grossir un trésor de guerre qui doit pouvoir être utilisé quand on est face à une situation grave » affirme le représentant de l'association Wikimédia française.

Il doit donc uniquement servir dans des cas spécifiques, par exemple « si une tornade passe sur nos datacenters aux États-Unis et que nous n'avons pas la trésorerie pour les reconstruire ». Le fonds est co-géré avec la fondation Tides, qui en aura la responsabilité jusqu'à ce que Wikimédia en décide (éventuellement) autrement.

Ce fonds sera donc alimenté par des Américains, comme les pays occidentaux apportent la majeure partie des contributions. Au quotidien, ce déséquilibre du financement reste un vrai sujet. « Aujourd'hui, le financement se fait en majorité par les pays occidentaux, alors que ce n'est pas où ça a le plus d'impact. Donc si les gens ne sont plus en mesure de financer les projets, il faut être en mesure de les continuer » nous explique Wikimédia France.

La démocratie de Wikipédia mise à mal par Wikimédia

Mais le souci le plus pressant n'est pas à chercher dans le coffre-fort. Le conseil d'administration de Wikimédia est au centre d'une polémique concernant l'un de ses membres. Arnonn Geshuri, l'ancien responsable des ressources humaines de Google, a été nommé dans le conseil d'administration à la mi-janvier. Cette nomination a posé de nombreuses questions au sein de la communauté, qui a lancé un vote de défiance, dans lequel la communauté a demandé la démission de Geshuri, à 290 voix contre 22.

Son tort ? Dans sa carrière à Google, Geshuri aurait directement contribué aux accords de non-braconnage d'employés entre géants du numérique... Des accords qui ont été jugés illégaux depuis. Un échange d'emails entre Steve Jobs, Eric Schmidt, le patron de Google d'alors, et Geshuri a mis le feu aux poudres, indiquant une participation directe de ce dernier dans cette pratique. À cette polémique, la fondation Wikimédia répond qu'elle n'était pas assez informée au moment de sa nomination.

« Sa nomination au conseil d'administration est un fonctionnement normal, même si c'est un sujet de débat, plus sur des questions de procédure que sur le fait de nommer les membres du conseil » estime Christophe Henner de l'association française. La démocratie de Wikipédia s'arrête ainsi aux portes du conseil d'administration, dont les membres sont surtout nommés pour apporter des compétences spécifiques à la fondation, moins pour leur implication passée dans Wikipédia.

« On ne sait pas ce qui a péché dans le processus. Ça nous fait du tort alors que le système est en fonction depuis des années. Parmi les gens appointés, un [Erik Möller] a été pendant dix ans au conseil et a été président de la fondation pendant six ans. On a eu de très bonnes nominations. »

Le cas semble bien particulier. Il s'agirait de la première fois où la communauté s'exprime vraiment sur une nomination. « La personne n'a pas été trop mal choisie, vu qu'il dit se retirer parce qu'il fait du tort au mouvement. C'est à la fois exceptionnel et normal » rassure le président de Wikimédia France.

De l'ouverture et des données pour l'avenir

Pour le futur, l'un des objectifs de Wikipédia est de continuer à s'ouvrir, notamment à de nouveaux contributeurs. « Il y a encore énormément de choses à écrire » explique l'association française. « C'est comme toute révolution : les révolutionnaires deviennent l'establishment. Ils ont contribué aux 1,7 million d'articles de la Wikipédia francophone et ont subi des attaques de l'extérieur. Ils ont donc tendance à se protéger » affirme Christophe Henner. La communauté cherche donc à trouver un équilibre entre la préservation du travail « faramineux » déjà accompli et l'inclusion de nouveaux membres.

L'éditeur visuel lancé ces derniers mois doit par exemple faire baisser les barrières techniques, même s'il est encore trop tôt pour en voir les effets. Mais la principale barrière resterait : l'impression pour les utilisateurs qu'ils ne seraient pas compétents ou légitimes pour contribuer. Ce sera la plus longue à lever, estime Wikimédia.

Une autre initiative doit faciliter l'édition de l'encyclopédie : Wikidata. Il s'agit de rendre sémantique le plus de données possibles, pour permettre de les éditer en même temps sur l'ensemble des versions de Wikipédia. Lancée il y a quelques années, elle doit aider à gommer les écarts entre les versions de l'encyclopédie.

« Pour une personnalité, on aura sa nationalité, sa date et son lieu de naissance, le titre et la date de publication de ses livres... Par exemple, si WikiData était actif le jour de la mort de Michel Delpech, sa fiche aurait pu être mise à jour dans toutes les langues avec sa date de décès » détaille Christophe Henner.

Pour l'avenir, le président de Wikimédia France a quelques souhaits simples : « Que le projet soit encore mieux compris et appréhendé, que Pascal Rogard devienne un éditeur de Wikipédia et que l'activité se fasse comme on l'entend, que tout le monde puisse l'exploiter ». L'appel est lancé.

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