Loi Création : la redevance Copie privée étendue plus largement encore au cloud ?

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Droit 5 min
Loi Création : la redevance Copie privée étendue plus largement encore au cloud ?
Crédits : Marc Rees (CC-By-SA 2.0)

Et si un amendement au Sénat venait étendre la redevance copie privée plus largement encore au stockage en ligne ? C’est la crainte née à la lecture du projet de loi Création au Sénat, tel qu’adopté par la Commission des lois.

Nous avons déjà consacré un article à une partie de cet amendement. Pour mémoire, il étend la redevance pour copie privée aux services linéaires de télévision et de radio, dès lors que ceux-ci permettent à un utilisateur de programmer un enregistrement avant sa diffusion en ligne, ou en cours de cette diffusion, pour la partie restante. Ce mécanisme est censé sécuriser juridiquement les acteurs tels quels les fournisseurs d’accès, mais également les pure players comme Molotov.tv, l’imminent service fondé par Pierre Lescure, et Jean-David Blanc, le fondateur d’Allociné.

Sécuriser juridiquement ? En vertu d’une ancienne jurisprudence de la Cour de cassation, dite Rannou-Graphie, les copies privées sont autorisées si et seulement si, il y a identité entre la personne qui réalise la copie (le copiste) et celle qui en profite. Or, avec Molotov.tv, il y a dissociation : celui qui réalise la copie est Molotov.tv, celui qui en profite, l’utilisateur. Sans copie privée, le service devrait donc décrocher l’autorisation préalable des titulaires de droit, en passant nécessairement par la case chèque…

En affirmant clairement que ces services tombent sous le coup de la redevance, les sénateurs socialistes souhaitent contourner cette difficulté jurisprudentielle. À leur actif, ils peuvent s’appuyer sur une décision de la Cour de Justice au détour de laquelle il a été dit que les États membres peuvent instaurer une redevance pour copie privée payée, non pas par les personnes privées, mais à la charge « de celles qui disposent des équipements, appareils et supports de reproduction [et qui] mettent ceux-ci à la disposition de personnes privées ou rendent à ces dernières un service de reproduction. »

Une redevance étendue plus largement encore au cloud ?

Seulement, une autre disposition de l’amendement suscite depuis quelques jours de lourdes interrogations dans les couloirs : elle prévoit une perception de redevance dès lors que les copies privées sont réalisées par une personne physique « au moyen d’un matériel de reproduction dont elle a la garde. »

Cette petite phrase a pour risque de faire passer dans le giron de la redevance copie privée d’autres pans que les services de télévisions et de radio en ligne. C’est d’ailleurs un vœu de certaines sociétés de gestion collectives qui craignant que plusieurs acteurs des nouvelles technologies déportent sur le cloud, les capacités de stockage disponible sur des matériels placés entre les mains d’un particulier. Le principe de neutralité technologique en tête, ils veulent que la redevance soit due sur tout stockage, qu’il soit ici ou dans les nuages (voir ces travaux du CSPLA).

Mais pourquoi un tel amendement ? Revenons encore à l’arrêt de 1984. Là, une boutique de reproduction avait été qualifiée de copiste lorsqu’elle mettait à disposition un photocopieur dans les mains d’un particulier. Il lui revenait donc de verser la rémunération forfaitaire aux ayants droit. Pourquoi était-elle qualifiée de copiste ? Car il y avait en effet dissociation entre le copiste (le commerçant propriétaire du matériel et des locaux) et celui qui profite de la copie (le client, venu presser un bouton pour faire ses reprographies en libre-service). Donc, pour la Cour de cassation, la boutique était le vrai copiste « dès lors qu’elle a assuré le bon fonctionnement de la machine placée dans son propre local et maintenue de la sorte sous sa surveillance, sa direction et son contrôle. »

Le levier juridique de la garde

La haute juridiction avait utilisé un bon vieux levier juridique du droit de la responsabilité (article 1384 al.1 du Code civil), celui de la garde. La surveillance, la direction et le contrôle, ces trois critères permettent en effet de définir qui est le gardien d’une chose, qui en est responsable.

Qu’est-ce qui change avec l’amendement ? La notion de garde fait officiellement son entrée dans les textes sur la copie privée dans une logique d’inclusion, alors qu’elle n’avait été utilisée jusqu’alors que par la jurisprudence, et encore, dans une logique d’exclusion.

Inclusion ? Lorsque l’amendement ci nous dit qu’il y a redevance « lorsque ces copies ou reproductions sont réalisées par cette personne physique au moyen d’un matériel de reproduction dont elle a la garde », on peut se demander en effet si un univers de stockage en ligne couplé d’une manière ou d’une autre à un matériel (un ordinateur, une tablette, un smartphone, etc.) n’en serait pas l’excroissance, certes distante, mais intimement liée à lui.

amendement Assouline copie privée

Garde et hébergement dans le cloud

Juridiquement encore, le détenteur d’une chose en a le contrôle dès lors qu’il a les moyens d’éviter un dommage, parce qu’il exerçait sur elle un pouvoir de surveillance grâce à des prérogatives matérielles. La copie privée est ici le dommage causé aux titulaires de droit, la redevance, sa compensation versée dans les mains de ces victimes... Or, lorsqu'un particulier fait un stockage en ligne à partir de son matériel, il est bien le seul à pouvoir contrôler, non les infrastructures, mais la licité des copies. Comment une telle mission pourrait-elle être dévolue à un hébergeur alors que la loi lui interdit tout filtrage proactif ? D’ailleurs, la licence d’utilisation accordée au copiste dépasse allègrement la simple pression sur le bouton d’un photocopieur de Rannou-Graphie...

On le voit, l’amendement suggère une application très vaste de la redevance copie privée, le tout par le levier du critère de garde qui sera ensuite soumis aux interprétations des juges, éventuellement séduits par les arguments des ayants droit. En commission de la Culture, lors de l’examen du projet de loi Création, le gouvernement a déjà donné son aval à cette disposition portée par David Assouline et l’ensemble des sénateurs socialistes. Selon les derniers bruits, il aurait finalement accepté de revoir cette disposition, face aux craintes exprimées par plusieurs acteurs des nouvelles technologies.

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