Au travers d’une proposition de loi, le député Jacques Bompard veut que le ministère de l’Intérieur puisse « fermer l’accès » aux sites pornographiques. Sans passer donc par la case du juge, à l’instar de ce qui prévaut depuis un an pour les sites terroristes et pédopornographiques.
Enregistré mardi 26 janvier par l’Assemblée nationale, le texte du membre fondateur du Front National (aujourd’hui rattaché au parti « Debout la France », de Nicolas Dupont-Aignan) vise à lutter « contre toutes les violences faites aux femmes ». Si le député-maire d’Orange propose ainsi d’étendre dans certains cas la déchéance de nationalité aux crimes et délits sexuels, il demande au titre de la « prévention des violences psychologiques » que le ministre de l’Intérieur soit habilité « à fermer l’accès aux sites Internet pornographiques, à faire poursuivre les hébergeurs et diffuseurs de tels sites ou revues ». Autrement dit, la Place Beauvau pourrait décider demain d’enjoindre les fournisseurs d’accès à bloquer YouPorn ou le site de VOD de Marc Dorcel pour leurs abonnés.
En guise de justification, Jacques Bompard dénonce dans son exposé des motifs « l’exposition systématique à la pornographie », ainsi qu’une « marchandisation du corps féminin » qui « dévalorise grandement les femmes, les transformant en biens que l’on jette une fois consommés ». « L’intimité de l’acte sexuel doit aussi être préservée, argumente-t-il, sans quoi les relations humaines seront ravalées au plus bas degré de l’amour. (...) La vieille geste française faite de galanterie visait justement à mettre en valeur le respect dû à la femme. Il conviendrait de préserver cette image aujourd’hui tant brocardée, et qui explique en partie l’augmentation du nombre de viols et d’agressions sexuelles (comme le prouve une étude publiée par un professeur du MIT le 26 juillet 2005 dans le Wiley InterScience Journal), en promouvant une sexualité débridée toute entière tournée vers la jouissance personnelle. »
Une proposition qui n’a guère de chance (ou de risque, c’est selon) d’aboutir
Si le parlementaire ne s’explique pas davantage sur sa proposition, force est de constater sa proche ressemblance avec le dispositif de blocage administratif des sites terroristes et pédopornographiques, en vigueur en France depuis février 2015. Rappelons-en le principe : il revient à l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication (OCLCTIC) – service composé de policiers et de gendarmes dépendants du ministère de l’Intérieur – de dresser une liste de sites considérés comme illicites. Si l’éditeur et l’hébergeur refusent de retirer d’eux-mêmes le contenu litigieux, les forces de l’ordre peuvent alors se tourner vers les FAI, qui disposent de 24h pour procéder au blocage. Une procédure dont l’efficacité est pour l’instant très difficile à jauger, car tout se passe dans l’ombre du ministère de l’Intérieur...
Une telle extension aux sites pornographiques paraît toutefois quasi-impossible. Non seulement parce que rares sont les propositions de loi (d’origine parlementaire) à être examinées, faute de créneaux disponibles, mais aussi parce qu’on voit mal le gouvernement soutenir une mesure si radicale. L’année dernière, alors qu’un député communiste suggérait l’instauration d’un blocage par défaut des sites X, à l’instar de ce qu’il se fait au Royaume-Uni, l’exécutif avait clairement répondu que « le blocage systématique des sites pour adultes n'est pas envisagé par le gouvernement ». Ce dernier affirmait privilégier « des mesures plus efficaces comme la bonne utilisation des logiciels de contrôle parental mais aussi des actions de prévention, d'éducation à la sexualité, de respect de l'égalité femmes/hommes et de déconstruction des stéréotypes véhiculés par de très nombreux sites Internet ».