Alors que les yeux sont tournés sur la loi sur le numérique à l'Assemblée nationale, au Sénat, c’est l’assujettissement d'une partie du cloud à la redevance Copie privée qui est sur la rampe, grâce aux élus socialistes. S'il est adopté, la brèche sera ouverte.
Le projet de loi Création de Fleur Pellerin sera examiné en séance début février. Avant, le texte passera en commission de la Culture où les amendements seront auscultés, rejetés ou adoptés. On remarque surtout que le sénateur David Assouline, suivi par tout le groupe socialiste, a déposé un texte visant à assujettir une partie du stockage en ligne à la redevance pour copie privée.
Un mécanisme taillé pour la musique et l’audiovisuel
Concrètement, l’amendement frappera les copies réalisées à partir d’un service en ligne (site, etc.), soit à distance soit via un ordinateur, un smartphone, une tablette ou pourquoi pas une box (« terminal personnel »). Toutes les copies ne seront pas concernées et donc autorisées par la redevance, seules sont visées celles couplées à un flux de radio ou de télévision, édité ou distribué par le site.
Enfin, il faudra que la copie ait été demandée par l’utilisateur, soit avant la diffusion du programme radio/TV, soit au cours de cette diffusion « pour la partie restante ». Classiquement, cela ne concernera que les copies de sources licites, pour un usage personnel, faites par une personne « au moyen d’un matériel de reproduction dont elle a la garde ».
Contourner une ancienne jurisprudence de la Cour de cassation
On le voit, le mécanisme est pour l’heure taillé pour la musique ou l’audiovisuel, mais on n’exclut évidemment pas de risque de débordement vers les autres stockages distants.
Pour l'instant, cette disposition vise très particulièrement les magnétoscopes en ligne (NPVR ou Network Personnal Video Recorder), notamment ceux prévus dans les offres des fournisseurs d’accès. Un des principaux FAI français nous avait d’ailleurs confié son besoin pour une telle disposition afin de sécuriser juridiquement ses services commerciaux.
Sécuriser ? Aujourd’hui, de telles copies peuvent s’apparenter à une contrefaçon, si on applique sèchement un ancien arrêt de la Cour de cassation. Le sénateur Assouline le rappelle d’ailleurs : depuis sa jurisprudence « Rannou-Graphie » du 7 mars 1984, la haute juridiction subordonne « l’application du régime de la copie privée à une identité de personnes entre celui qui réalise la copie et le bénéficiaire de la copie réalisée. Or, avec une copie dans le nuage, le prestataire de services est le détenteur du matériel de copie, ce qui tend à écarter la possibilité de copies privées, par l’utilisateur, dans le nuage. »
Cette cible est d’ailleurs exprimée sans détour par le même sénateur : « Au regard des usages de copie, il apparaît que ce type de copie est destinée à se substituer aux modalités actuelles de la copie effectuée par les particuliers sur les supports permettant la réception des programmes de télévision et de radio (« box »). » En clair, les utilisateurs vont enregistrer ces programmes TV et radio non sur le disque dur de la box, mais dans un espace de stockage en ligne mis à disposition par fournisseur d’accès. On note déjà qu’avec un tel amendement, il y aura un sandwich de redevances, non une substitution : une tranche sur le disque dur de la box, une autre sur le stockage en ligne.
Qui paiera et combien ?
Qui paiera Copie France, la société des ayants droit qui perçoit la redevance ? Il s’agira de l’éditeur ou du distributeur du service en ligne permettant la copie, mais bien évidemment, celui-ci pourra se retourner sur le dos du consommateur, abonné à son service.
Quel sera le montant de la redevance ? Il reviendra à la Commission Copie privée de déterminer les taux de prélèvement. Cette perception dépendra des usages, des capacités de stockage mises à disposition, mais aussi, curieusement, du nombre d’utilisateurs du service d’enregistrement.
Qui recevra ces fonds ? Puisque le service vise la musique et l'audiovisuel, ce sont les sociétés de gestion collective du secteur qui percevront ces flux.
Pour son assise juridique, David Assouline s’appuie sur les travaux du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) qui en 2012 avait souhaité l'extension de la copie privée dans le cloud. Entre les murs du ministère de la Culture, ce Conseil salué par la SACD, « a considéré que certaines pratiques effectuées dans le nuage correspondent à une forme de copie privée et devraient donc être assujetties à la rémunération correspondante » résume le sénateur socialiste. Cet été, d'ailleurs, le rapport du député Marcel Rogemont (PS) sur la copie privée avait tout autant milité en ce sens. L'épisode s'était toutefois soldé par le rejet de son amendement.
Molotov.tv compatible avec l’amendement, et inversement
Bel hasard, un tel amendement tombera au mieux pour Molotov.tv, ce très prochain site par Jean-David Blanc et Pierre Lescure Ce service de distribution table comme Assouline sur la « fin des box » avec au menu, le replay des chaînes de télévision sur les Smart TV, tablettes et appareils de Samsung mais aussi LG qui a signé un accord portant sur le déploiement sur ses Smart TV webOS 2.0.
En pratique, Molotov.tv permettra d’enregistrer « des programmes à l’avance » détaille l'un des communiqués, qui répond comme un bel écho à l’amendement Assouline. « Ces programmes sont alors stockés dans un "espace personnel" mis à la disposition de l'utilisateur par la plateforme, équivalent virtuel du disque dur intégré des box » ajoute un autre communiqué du 4 novembre. « Cette spécificité permet à Molotov d’être disponible partout : l’utilisateur peut accéder à son espace de télévision depuis n'importe quel écran, ce qui lui donne le loisir de retrouver sa programmation, ses "bookmarks", ses préférences, ses chaînes payantes, comme il le souhaite. La "télé" n’est plus "attachée à un mur", mais, libérée de son fil ».
L’utilisateur pourra du coup commencer à regarder un programme, et décider d’« enregistrer la fin pour la visionner plus tard sur n’importe quel écran ». Là encore, belle harmonie avec les travaux au Sénat qui permettront ainsi de financer ces fonctionnalités sur le dos des consommateurs, via les fabricants.
On rappellera que, comme le CSPLA, Pierre Lescure avait suggéré dans son rapport de 2013 que la copie privée distante soit assujettie à la redevance pour copie privée. Quant à l'hypothétique intervention d'un des éminents participants du CPLSA aux côtés de Molotov.tv, elle a été jugée inimaginable par Hervé Rony, le directeur général de la SCAM.