La députée PS Valérie Rabault vient à la charge de ceux qui ont mal compris son amendement cosigné avec Karine Berger. Critiqué, il vise à soumettre à autorisation tous les accès donnés vers une œuvre de l’esprit, y compris via les moteurs de recherche.
« Depuis quelques heures, certains, soit parce qu’ils lisent mal, soit parce qu’ils veulent sciemment faire de la désinformation, prétendent que cet amendement viserait à interdire les liens hypertextes, c’est-à-dire ces liens sur lesquels on clique et qui permettent d’accéder à une autre page Internet ». Sur son site, la députée conteste et réexplique l’amendement déposé avec sa collègue socialiste, dans le cadre du projet de loi Lemaire qui a sucité un certain émoi.
Pour mémoire, cet amendement indique que les FAI et les hébergeurs devront « obtenir l’autorisation des titulaires de droits concernés » dès lors qu’un contenu est posté sur Internet vers une œuvre protégée par le code de la propriété intellectuelle. Certains ont compris que cet amendement allait interdire le lien hypertexte en France, ce que la députée conteste.
Pour expliquer sa prose, l’élue décrit deux cas de figure en se focalisant sur la notion de lien :
- « Soit le lien pointe vers une page sans droit d’auteur. Et là on en reste à la situation existante »
- « Soit le lien pointe vers une page qui est protégée par le droit d’auteur. Alors l’amendement propose d’étendre la protection qui existe sur la page au lien hypertexte. En d’autres termes, cela veut dire que si vous souhaitez mettre un lien sur Internet qui pointe vers une page protégée par le droit d’auteur, alors il vous faudra obtenir les droits auprès de la personne ou l’organisme qui les détient. Il s’agit là d’un principe de protection du droit d’auteur … »
Notre explication de l'explication
Seulement, cette député a visiblement mal compris l’amendement qu’elle a cosigné. D’une part, cette obligation d’obtenir l’autorisation des titulaires de droits reposerait sur les épaules des « prestataires » (FAI et hébergeurs) qui donnent accès à des oeuvres, et non sur celles de l’internaute qui veut poster un lien ! Pour plagier la députée, cela veut dire que « si vous souhaitez mettre un contenu (voire un lien) sur Internet qui pointe vers une page protégée par le droit d’auteur, alors votre FAI et votre hébergeur devront préalablement obtenir les droits auprès de la personne ou l’organisme qui les détient. »
D’autre part, la députée nous dit que lorsqu’un lien pointe vers une page sans droit d’auteur, « on en reste à la situation existante ». L'amendement parle surtout de l'accès aux contenus, plus que des liens. Mais soit. Dans tous les cas, où trouve-t-on des pages sans œuvres ou objets « protégés par le code de la propriété intellectuelle » ? Même les œuvres élevées dans le domaine public continuent à être protégées sur ce terrain, via le droit moral ! De fait, le statu quo serait d’application rarissime, car on trouvera toujours un prétendu titulaire de droit qui revendiquera la propriété intellectuelle d’un amas de pixels, qu’ils soient textes, vidéos, images, photo, etc.
L'amendement n'interdit pas. Il étouffe, étrangle, asphyxie
Il est vrai que l’amendement n’interdit pas les contenus en ligne (ni même les liens). Il soumet l'accès à autorisation, nuance lexicale que nous avons toujours apportée (et qui est auscultée en ce moment à la CJUE).
Pour prendre un exemple, tout le monde sait que pour avoir Internet, il faut un accès. Internet n’est donc pas interdit, mais soumis à conditions (techniques, contractuelles, etc.). Seulement, la demande d’autorisation préalable est ici plus vicieuse. En effet, elle reviendrait en pratique à étouffer les contenus en ligne, pour les étrangler et les asphyxier : cela supposerait en effet que l'intermédiaire surveille l’intégralité des flux ou des données stockées pour :
- vérifier l’existence d’un contenu (ou d'un lien, dans l'esprit des auteures de l'amendement)
- vérifier l’existence d’une œuvre protégée
- identifier le(s) titulaire(s) de droits
- vérifier ou obtenir leur autorisation préalable
- autoriser le cas échéant le flux ou le stockage,
- ...en ayant pris soin de vérifier préalablement que l’œuvre n’a pas changée.
Soit un joli filtrage généralisé. Bien sûr, il y a une autre solution : que l'hébergeur et le FAI obtiennent une autorisation générale pour toutes les oeuvre qui passent dans leurs tuyaux ou serveurs, en contrepartie par exemple d'une belle redevance payées aux sociétés de gestion collective, les grandes gagnantes de l'histoire.
Sans doute consciente de l’énormité de son idée, partagée avec Karine Berger, Valérie Rabault relègue cette proposition au rang des « amendements d’appel », ceux donc destinés à susciter le débat en séance. Il faut tout de même lui rappeler que dès lors qu’un parlementaire relaie un chantier si exotique, certes en phase avec les attentes rémunératoires des ayants droit, il doit s’attendre à une réaction pimentée des internautes. Cela s’appelle la liberté d’expression, liberté qui n’est heureusement pas encore soumise à autorisation.