Brevet unitaire européen : un compromis veut écarter l'Union européenne

Du monopole sur les connaissances

Aujourd’hui, la Commission des affaires juridiques du Parlement européen va tenir une réunion organisée exclusivement sur le brevet unitaire européen. Après des mois de reports, cette rencontre programmée seulement jeudi dernier marque l'accélération d’un processus à risque. PC INpact vous dévoile le texte de compromis qui sera discuté aujourd'hui.

compromis brevet unitaire européen

 

Pour les partisans du système, l’enjeu est d’obtenir un brevet valable dans toute l'Union européenne. À ce jour, les brevets délivrés par l’Office Européen des Brevets ont une validité molle puisque la justice est libre de les ignorer. En outre, ces brevets doivent se décomposer en brevets nationaux. Idéalement, il faudrait donc unifier toutes ces procédures devant une juridiction unique. On conçoit facilement l’importance de ce mécanisme : « tout brevet est une autorisation, dûment accordée par l'État au détenteur de brevet, de limiter les tiers à exercer librement une activité économique : les brevets que l'État m'a octroyés me donnent le pouvoir d'empêcher mes concurrents de me faire concurrence en employant sans mon accord les produits ou procédés que j'ai brevetés », nous indiquait Gérald Sédrati-Dinet (Gibus), le conseil bénévole sur les brevets pour l'April.

 

Mais les adversaires du brevet unitaire entrevoient sans mal les risques : faute de colmatage suffisant, il ouvre la porte à la brevetabilité des logiciels. « Cela reviendrait en l'espèce à laisser entrer dans la sphère de l'intelligence humaine des mécanismes monopolisant, élaborés à l'origine pour des objets physiques », ajoutait Gibus.

Un texte de compromis...

Dans le long cheminement des débats, un incident était intervenu en juin dernier. À la surprise générale, les chefs d'État et de gouvernement de l'Union européenne faisait sauter trois verrous inscrits aux articles 6 à 8 du texte en gestation. Problème : ces verrous étaient fondamentaux puisqu’ils assuraient un cadrage pour éviter justement une interprétation cavalière en faveur de la brevetabilité à outrance, par exemple dans le secteur des logiciels. (voir cet article du cabinet Assuline & Partners).

 

Aujourd'hui, des discussions sont programmées en Commission des affaires juridiques du Parlement européen pour définir un compromis après la suppression de ces articles fondamentaux. Le texte correspondant n'est pas disponible sur le site du Parlement, mais nous le révélons ci-dessus. Ce document aurait pu définir une règle unique valable dans toute l’Europe. Mais non : il renvoie au droit national, uniformisé par un accord entre États (l'accord sur une juridiction unifiée du brevet), le soin de définir le pouvoir conféré par un brevet unitaire, dans tous ses aspects.

 

En clair, une société française peut faire de la recherche en utilisant un produit ou un procédé breveté par une société belge, car on appliquera le droit du plat pays où l'exception pour la recherche est très large. Par contre si le brevet utilisé appartient à une société anglaise, cette exception est beaucoup plus réduite et l'entreprise hexagonale pourrait se voir accusée de violer le brevet britannique.  On devine rapidement le risque d’éparpillement. Le compromis a cependant un plan B pour que les définitions soient  harmonisées et l’effet uniforme. Et il  prend bien soin d'en écarter les instances européennes.

... qui évite l'éparpillement et l'Union européenne

La Commission européenne pourra d'abord apporter des adaptations aux limitations des brevets. Mais c'est une maigre victoire puisqu'en fait, l'institution n'aura plus aucun contrôle. La Commission ne fera que proposer éventuellement des adaptations dans un rapport qui aura une force juridique nulle. 

 

Tout aussi grave. Le texte renvoie à une juridiction spécialisée - qui n’est pas la Cour de Justice - le soin de trancher les litiges et d’œuvrer pour cette harmonisation. Cependant, cette juridiction unifiée et son fonctionnement sont les fruits d’un accord international entre les États membres où l’UE n’est pas partie.

 

En clair ? On laisse à un accord international hors UE le soin de définir des règles (vote des décisions, etc.) qui vont avoir un effet pour le cœur du dispositif, à savoir l’effet unitaire du brevet. Et dans cette jolie cuisine, le Parlement est tout autant mis hors-jeu, contrairement à ce que prévoit l’article 118.1 du Traité de Fonctionnement de l’Union européenne (TFUE du 1er décembre 2009, 2008/C 115/01).

 

Selon cet article, la place centrale du Parlement européen ne fait pourtant pas de doute : « dans le cadre de l'établissement ou du fonctionnement du marché intérieur, le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, établissent les mesures relatives à la création de titres européens pour assurer une protection uniforme des droits de propriété intellectuelle dans l'Union, et à la mise en place de régimes d'autorisation, de coordination et de contrôle centralisés au niveau de l'Union. Le Conseil, statuant conformément à une procédure législative spéciale, établit, par voie de règlements, les régimes linguistiques des titres européens. »

Menace sur les bases légales

Dans une note, Jan Gaster, « Policy Officer » à la Commission européenne, a d’ores et déjà considéré que suite à la suppression des articles 6,7 et 8 c’était tout le dispositif du brevet unitaire européen qui pourrait être menacé. Il confirme là les travaux de Brevets-Unitaires.eu. Comme souligné, le droit de l’UE donne compétence à l’UE pour créer un titre de propriété intellectuelle communautaire. En supprimant les articles 6 à 8, on retire cette compétence et on sort donc des clous de ce texte.

 

Mais le bug pourrait être plus profond encore puisque comme le dénonce aussi Jan Gaster, l’article 118 TFUE autorise l’Union européenne à créer un nouveau brevet. Or, le règlement en gestation se contente de reprendre le brevet traditionnel de l'Office européen des brevets, ce qui n’est pas du tout la même chose, déjà au point de vue des règles démocratiques. En clair, un fonctionnaire de la Commission avoue que le texte en cours d'examen est illégal vis-à-vis du droit de l'Union...

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