Au cours de l'année 2014, l'Agence nationale des Fréquences (ANFR) a effectué près de 3 000 mesures afin de vérifier que les ondes radioélectriques ne dépassaient pas les seuils autorisés. Si les résultats sont tous conformes aux attentes, qu'en est-il du « principe de précaution » ?
L'Agence nationale des Fréquences (ANFR) a récemment publié une longue étude sur l'exposition du public aux ondes radioélectriques. Un sujet qui revient régulièrement sur le devant de la scène et sur lequel il n'est pas toujours facile d'obtenir des données fiables.
Des limitations fixées par décret, des contrôles effectués par l'ANFR sur demande
En France, il existe des limites concernant l'exposition du public aux champs électromagnétiques. Elles sont fixées par un décret de 2002, qui fait suite à une recommandation européenne de 1999. Ainsi, pour les bandes de fréquences de 3 KHz à 1 MHz, il ne faut pas dépasser 87 V/m (Volt par mètre qui permet de mesurer la « force électrique » d'un champ électrique). Elle descend à 28 V/m entre 10 et 400 MHz, tandis qu'elle remonte progressivement jusqu'à 61 V/m à 2 GHz et au-delà :

Pour mener à bien ce bilan, près de 3 000 mesures ont été effectuées sur toute la France en 2014, et ce, aussi bien dans les zones urbaines que rurales. L'ANFR rappelle d'ailleurs que, depuis le 1er janvier 2014, « toute personne physique ou morale peut demander à faire mesurer l’exposition aux ondes électromagnétiques aussi bien dans les locaux d’habitation que dans des lieux accessibles au public (parcs, commerces...). Cette démarche est gratuite ».
Il faut pour cela remplir un formulaire (disponible sur service-public.fr) et impérativement le faire signer par un organisme habilité par le décret n° 2013-1162 du 14 décembre 2013 : collectivités locales (communes, groupements de communes…), agences régionales de santé, certaines associations agréées par le ministère de l’environnement ou de la santé… Les demandes sont ensuite transmises à l'ANFR qui dépêche sur place un laboratoire de mesure accrédité. Ce dernier est rémunéré par l'agence via « un fonds public alimenté par une taxe payée par les opérateurs de téléphonie mobile ».
L'ANFR indique que « le nombre de demandes de mesure dans une zone géographique est proportionnel à sa population et au nombre de supports de téléphonie mobile. Il y a en effet une bonne corrélation entre le nombre de mesures réalisées dans un département et son nombre d’habitants ».
Près de 3 000 mesures en 2014 et... tout va bien
Pour ne pas faire durer le suspense, l'ANFR annonce sans détour que ces valeurs limites « sont respectées sur tous les sites qui ont fait l’objet d’une mesure en 2014 ». On peut même ajouter qu'elles sont largement respectées puisque 99,4 % des relevés ont un niveau inférieur à 6 V/m (le seuil minimum étant de 28 V/m sur les fréquences analysées par l'ANFR). Sur les 2 955 mesures de 2014, seules 18 dépassaient les 6 V/m. Elles ont toutes été relevées dans des milieux urbains (deux dans des villes de plus de 50 000 habitants, contre plus de 200 000 habitants dans seize cas).

Si dans l'ensemble tout va bien pour l'ANFR, le détail des résultats permet d'obtenir de nombreuses informations supplémentaires, à commencer par les différences qui existent entre les zones urbaines et rurales. L'agence explique que « les distributions sont très similaires avec une large majorité de niveaux de champs électriques inférieurs à 1 V/m (95 % des cas en milieu rural et 80 % des cas en milieu urbain). Toutefois, les niveaux mesurés sont légèrement plus élevés en milieu urbain qu’en milieu rural », ce qui n'a finalement rien de surprenant.
La situation est exactement la même pour les mesures effectuées en intérieur et en extérieur. Dans respectivement 85 et 77 % des cas, les résultats sont inférieurs à 1 V/m, mais les maximums sont légèrement plus élevés en dehors des bâtiments, ce qui est là encore assez logique puisque ces derniers bloquent une partie des ondes.

Comme l'explique l'ANFR, il est important de préciser que les sondes utilisées pour les mesures ont une sensibilité moyenne de 0,38 V/m, ce qui laisse une marge d'incertitude relativement importante pour les résultats de moins de 1 V/m. Dans tous les cas, cela n'a que peu d'importance par rapport aux limites fixées par le décret de 2002.
Afin d'aller plus loin dans son analyse, l'ANFR procède parfois à des mesures détaillées. Le but est alors d'obtenir « un ensemble de valeurs de champs pour des sources, des fréquences ou des sous-bandes de fréquences et repose sur l’utilisation d’un analyseur de spectre ». Cet examen plus poussé est réalisé suivant les demandes formulées à ses services et systématiquement lorsque le niveau d'exposition dépasse les 6 V/m.
La téléphonie mobile responsable des valeurs maximales dans 57 % des cas
Cela permet de savoir précisément quelle bande de fréquence a les taux les plus élevés, donc en déduire la source d'émission. En effet, chaque type d'utilisation dispose d'autorisations sur une (ou plusieurs) bande bien définie : 800, 900, 1800, 2600 MHz pour la téléphonie mobile ; 2,5 et 5 GHz pour le Wi-Fi, etc.
Sans grande surprise, dans 57 % des cas la téléphonie mobile est le contributeur maximal. Sur les 18 mesures qui ont dépassé le seuil de 6 V/m, 13 étaient liées à de la téléphonie mobile. Dans le détail, la bande des 900 MHz est celle qui obtient le plus haut niveau d'exposition dans 47 % des cas, suivie par celle des 2100 MHz (34 %), puis des 1800 MHz (15 %) et enfin celle des 800 MHz (4 % seulement).
En deuxième position des contributeurs maximaux, on retrouve la bande HF (14 % des cas). Le reste (Wi-Fi, FM, etc.) ne dépasse pas les 10 % chacun. Tous les détails se trouvent dans le tableau ci-dessous :

L'ANFR apporte toutefois une précision importante : « Les services HF (ondes courtes, moyennes et longues) apparaissent souvent comme un contributeur maximal avec 14 % des cas où la HF domine. Cependant, les cas où la HF domine sont des cas où les niveaux d’exposition sont très faibles et dans des bandes de fréquences où le niveau de bruit est plus élevé, ce qui relativise la contribution de ce service dans l’exposition globale. Par exemple, lorsque la téléphonie mobile (TM) est le contributeur le plus fort, 90 % des niveaux d’exposition sont inférieurs à 1,5 V/m alors que lorsque la HF domine, 90 % des niveaux mesurés sont inférieurs à 0,3 V/m ».
Des relevés 20 fois moins élevés que le maximum autorisé dans 90 % des cas
En guise de conclusion, l'ANFR annonce que « l’analyse globale a montré un niveau de champ médian de 0,38 V/m et 90 % des niveaux mesurés à la sonde large bande sont inférieurs à 1,4 V/m » alors que, pour rappel, le seuil maximum fixé par le décret de 2002 est d'au moins 28 V/m. 9 fois sur 10, les mesures étaient donc au moins 20 fois inférieures à la limite imposée par la réglementation.
Comme nous l'avons remarqué un peu plus haut, l'agence rappelle également que les niveaux « sont légèrement plus élevés en milieu urbain qu’en milieu rural et légèrement plus élevés en extérieur qu’en intérieur ». Elle ajoute que « ces conclusions sont cohérentes avec celles des études menées dans le cadre du comité opérationnel COMOP puis COPIC publiées en 2013 ».
Mais comment sont calculées ces fameuses limites fixées par décret ?
Bref, tout va bien pour l'ANFR... à condition que l'on fasse confiance aux limites fixées par le décret et recommandées par l'Europe. Mais comment celles-ci sont-elles calculées ? Le ministère des Affaires sociales et de la santé explique que les valeurs limites d’exposition des personnes aux champs électromagnétiques ont été proposées en 1998 par la Commission internationale de protection contre les rayonnements non ionisants (ICNIRP), une organisation non gouvernementale.
Il ajoute que « la communauté scientifique considère que les seuls effets sanitaires avérés des radiofréquences sont des effets thermiques à court terme (échauffement des tissus). Il n’y a pas de preuves scientifiques convaincantes à ce jour permettant de conclure à l’existence d’effets sanitaires à long terme, comme celui du cancer par exemple [...] les scientifiques définissent ainsi un effet critique, à savoir l’identification d’un niveau d’exposition à partir duquel il est possible d’observer le premier effet thermique ayant des connaissances sanitaires. Un facteur de sécurité de 50 est alors appliqué à partir de ce seuil afin d’obtenir une valeur limite d’exposition cinquante fois inférieure. Appliquer un facteur de sécurité permet de prendre en compte les incertitudes scientifiques pouvant exister (liées par exemple à la méthode d’extrapolation de l’animal à l’homme) ».
Quid de nos voisins européens et du « principe de précaution » ?
Ne s'agissant que de recommandations, les États membres de l'Union européenne sont libres de fixer les limitations qu'ils souhaitent. La France et 17 autres pays ont décidé de les suivre sans modifications. D'autres vont plus loin en appliquant des seuils inférieurs en vertu de « l’application du principe de précaution face à d’éventuels risques sanitaires liés à l’exposition aux ondes électromagnétiques » indique le ministère de la Santé.
Certains appliquent ainsi des valeurs fixées plus ou moins arbitrairement, tandis que d'autres comme la Lituanie vont encore bien plus loin avec des « niveaux de référence 100 fois plus stricts que les niveaux ICNIRP » :

Dans l'absolu, le débat est encore loin d'être terminé avec, d'un côté ceux qui estiment que toutes les précautions sont prises et de l'autre ceux pour qui les ondes sont nocives pour la santé et qui pensent que l'on se dirige vers une catastrophe sanitaire. Problème, il n'est pas toujours facile de faire le tri dans toutes ces « informations ».
Il y a plus d'un an, l'UFC-Que Choisir avait mené une enquête très intéressante sur le sujet, intitulée « L’argumentaire des associations passé au crible ». La conclusion était alors sans appel : « Les sites des mouvements qui se donnent pour mission de défendre la cause des électrosensibles contiennent nombre d’informations erronées ou mal interprétées, quand il ne s’agit pas d’inventions pures et simples ».
Voici un extrait de l'argumentaire de nos confrères : « Voilà des années que les associations comme le Criirem, Priartem ou Robin des Toits annoncent une explosion imminente du nombre de cas. "La tendance extrapolée indique que 50 % de la population est susceptible de devenir électrosensible d’ici à 2017", écrivait le Criirem en 2007, sur la base d’une étude suédoise. 2017 approche, rien de tel ne se profile à l’horizon ».
Quoi qu'il en soit, à notre connaissance, aucune étude scientifique sérieuse sur les risques liés à l'exposition des ondes, dans les limites fixées par le décret de 2002, ne fait pour le moment pencher la balance dans un sens ou dans l'autre.