Le délit de consultation des sites terroristes est en train de se transformer en serpent de mer. Même si la Commission des lois de l'Assemblée nationale a rejeté les amendements des députés UMP qui souhaitaient instaurer un blocage et un délit de consultation des sites terroristes, le ministre de l'Intérieur Manuels Valls s'est montré sensible à cette thématique, précisant par ailleurs qu'il n'était pas défavorable à une éventuelle période de test d'un tel dispositif, par exemple pendant un ou deux ans.
La Commission des lois de l’Assemblée nationale examinait mercredi après-midi les différents amendements déposés sur le projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme. Comme l’avait annoncé la députée de l’Essonne Nathalie Kosciusko-Morizet dans une tribune intitulée « Le terrorisme doit être aussi pourchassé sur Internet », le délit de consultation de sites terroristes - naguère mis sur les rails par Nicolas Sarkozy puis jeté aux oubliettes par la nouvelle majorité - faisait son retour par voie d’amendement. L’ancienne ministre UMP reprenait à la virgule près le texte rédigé par la précédente majorité il y a de ça quelques mois (voir notre article).
Djiadisme vs terrorisme
Invitée à défendre son amendement, NKM a tenu des propos qui soulignent les difficultés qu'il y a définir ce qu'est un « site terroriste ». Pour rappel, le délit de consultation de sites terroristes - tel que préconisé par la députée - prévoit que « le fait de consulter de façon habituelle un service de communication au public en ligne mettant à disposition des messages, soit provoquant directement à des actes de terrorisme, soit faisant l’apologie de ces actes lorsque, à cette fin, ces messages comportent des images montrant la commission d’actes de terrorisme consistant en des atteintes volontaires à la vie » soit puni de deux ans de prison et de 30 000 euros d'amende.
Mais lorsque l’ancienne Secrétaire d’État en charge du numérique plaide en faveur de son amendement, elle le présente comme un outil permettant de « réprimer la consultation de sites djihadistes ». Problème : le djihadisme est peut-être une forme de terrorisme, mais ce n’est pas la seule forme de terrorisme.
Même si l’on peut penser à une maladresse, NKM reprend à plusieurs reprises cette expression. Un peu plus loin dans les discussions, elle fera par exemple valoir qu’il est « compliqué juridiquement de qualifier "site qui appelle au djihadisme" ». Elle rajoute même : « c’est plus compliqué je crois de qualifier un site qui appelle au djihadisme que de qualifier un site qui présente des images pédopornographiques ».
NKM sort son joker
La discussion de l’amendement donnera lieu à un avis défavorable du rapporteur de la commission. « L’efficacité dans le traquage de ceux qui consultent les sites n’est pas là », a notamment expliqué aux députés Marie-Françoise Bechtel.
NKM a pourtant tenu à dérouler « un cas pratique très concret », autrement dit un fait divers lui permettant de justifier sa position. « J’ai reçu, dans ma mairie, la visite d’une de mes employées de mairie, qui est aujourd’hui séparée, qui a été mariée pendant 20 ans avec un homme qui est parti dans un processus de radicalisation. Elle a quatre fils. Les deux ainés sont déjà complètement partis en vrille et sont manifestement surveillés. Le troisième a 15 ans. Il est influencé par ses frères qui vivent avec le père, qui lui donnent des adresses de sites Internet et elle a été horrifiée de voir ce qu’il y avait dessus. Ce qu’il y a dessus, c’est des scènes de décapitation, sur fond de musique obsessionnelle, avec des types avec des grands sabres noirs qui coupent des têtes. Il regarde ça toute la journée (...). Aujourd’hui, lui, il consulte de manière habituelle et répétée et on ne peut rien faire ». L’ancienne ministre indique enfin qu'elle « pense à ces jeunes adolescents » qui s’échangent au collège ce style « vidéos téléchargées ». Réponse de la rapporteure : « Mais est-ce que ce n’est pas ceux qui mettent en ligne qu’il faut poursuivre ? ». « Mais ils sont basés à l’étranger », s’exclamera NKM.
Vers un dispositif testé pendant un ou deux ans ?
Le député UMP Guillaume Larrivé, co-signataire d’un autre amendement portant lui aussi sur la consultation de sites terroristes, soumet alors une idée à la Commission des lois. Il propose de mettre en place le délit prévu par le texte de NKM, mais pour une durée pré-déterminée, par exemple de un ou deux ans, au bout desquels il sera procédé à une évaluation du dispositif.
S’exprimant en dernier, le ministre de l’Intérieur a reconnu qu’il considérait qu’il y avait « un vrai problème sur la consultation » de sites terroristes. Manuel Valls a néanmoins prévenu : « Il faut quand même regarder de près les priorités que se donne (...) le renseignement. Il s’agit de surveiller (...) des centaines de consultations. Il est évident que le renseignement est essentiellement concentré aujourd’hui sur les administrateurs des sites. Je ne sous-estime, je ne mésestime pas le problème - notamment dans ce qu’il peut représenter comme endoctrinement, ou comme attitude, sur des esprits évidemment très jeune, en termes de violence ».
Mais le ministre semble a priori favorable à l’idée de Guillaume Larrivé : « Si d’ici le débat en séance (...) on peut trouver une solution qui permette au moins, alors sous forme provisoire ou d’évaluation, au moins en signalant le sujet, le ministre de l’Intérieur (...) n’y serait pas défavorable. Parce que je sens bien qu’il faut commencer à travailler et que nous aurons besoin de faire évoluer ce texte ». Il termine : « Si d’ici le débat en séance, nous pouvons ensemble avancer sur ce sujet là pour le pointer, pour voir comment, là-dessus, éventuellement une jurisprudence peut se créer, je n’y voit que des avantages, aux conditions que j’ai rappelées, et sans non plus (...) considérer que ce sera évidemment la panacée ».
En attendant les débats en séance, les amendements relatifs au blocage et au délit de consultation de sites terroristes portés par NKM et le très droitier Éric Ciotti ont été rejetés en Commission.