L'UFC-Que Choisir vient d'assigner Valve devant la justice française. L'association de consommateurs reproche au propriétaire de Steam la présence de douze clauses abusives ou illicites dans les conditions d'utilisation de la plateforme, notamment celles interdisant la revente d'un contenu ou la gestion des données personnelles.
Dans le domaine du jeu vidéo, la plateforme Steam est devenue incontournable pour les joueurs. Elle rassemble un des plus gros catalogues de jeu du marché, ainsi que plus de 125 millions d'utilisateurs actifs à travers le monde. Problème, Valve semble avoir pris quelques libertés dans ses conditions d'utilisation, et elles ne sont pas du goût de l'association UFC-Que Choisir.
Exonérations à tous les étages
L'association de consommateurs est en effet en discussion avec Valve depuis de nombreux mois, nous explique Justine Massera, la juriste en charge du dossier au sein de l'UFC-Que Choisir, afin d'essayer de faire changer certaines clauses que l'éditeur impose aux utilisateurs de son service. Si l'éditeur a plié sur quelques points comme l'obligation de prévenir l'utilisateur en cas de changement des conditions d'utilisation de Steam, ce qui n'était pas encore le cas avant juin 2015, il campe sur ses positions à d'autres sujets. L'UFC-Que Choisir a donc décidé d'assigner Valve devant la justice pour faire entendre sa voix.
La procédure de l'association repose sur plusieurs fondements. Le premier concerne les exonérations de responsabilité que s'autorise l'éditeur. Valve explique par exemple qu'elle ne peut être « tenue responsable des pertes et dommages quels qu'ils soient résultant de l'utilisation ou de l'impossibilité d'utiliser Steam, votre compte, vous souscription et les contenus et services » et ce « même en cas de faute, de responsabilité délictuelle (y compris la responsabilité pour faute lourde) » (Art 7 § B).
En d'autres termes, si à cause d'une erreur ou d'un manquement de Valve, un utilisateur perd l'accès à son compte Steam, l'éditeur se réserve le droit de ne lui verser aucun dommage. Or aux yeux de l'association, « cette restriction contractuelle est d’autant plus problématique pour les consommateurs que Steam est une cible de choix pour les hackers ». On rappellera que selon l'éditeur lui-même, plus de 77 000 comptes sont victimes de piratage chaque mois.
Quid de l'accès aux jeux ?
Autre cheval de bataille de l'UFC-Que Choisir : les conditions d'accès à la plateforme. Si l'association a pu obtenir de Valve que les utilisateurs soient notifiés en cas de changement dans les termes et conditions d'utilisation du service, elle souhaite obtenir la même chose que sa consœur allemande.
En Allemagne, si un utilisateur décide de refuser les nouvelles conditions imposées par Steam, il garde l'accès à son compte et peut lancer les jeux dont il a acheté les licences. L'accès au magasin et aux fonctionnalités communautaires lui sont par contre impossibles, tant que les nouvelles conditions n'ont pas été validées. En France, la seule alternative possible si l'on ne souhaite pas se plier aux nouvelles conditions, et de fermer son compte et de perdre dans la foulée, l'accès à tous les jeux que l'on a payés.
En cas de fermeture du compte, Valve réserve une dernière petite surprise à ses utilisateurs. Les fonds présents dans le porte-monnaie Steam ne sont pas rendus au joueur. Problème, ces fonds peuvent parfois représenter des sommes non négligeables au regard des nombreux échanges possibles sur la place de marché intégrée à la plateforme.
L'épineuse question de la revente des jeux dématérialisés
L'association tente aussi de faire bouger les lignes pour ce qui concerne la revente de jeux dématérialisés. Valve interdit formellement cette revente, tandis que l'UFC-Que Choisir estime qu'il devrait être possible d'interpréter l'arrêt UsedSoft/Oracle afin d'étendre son influence vers le domaine des jeux vidéo.
La question est toutefois très complexe. Car si l'arrêt en question fait bien mention de l'épuisement des droits de distribution pour les logiciels vendus en format dématérialisé, un jeu vidéo n'est pas seulement un logiciel. Il s'agit aussi d'une œuvre de l'esprit qui combine plusieurs aspects, avec de la musique, un scénario etc. La transposition de cet arrêt au jeu vidéo n'a donc rien d'automatique.
Autre point délicat, Valve se présente comme un service mettant à disposition des licences plutôt qu'un service de vente de jeux, avec une version dématérialisée des titres majeurs qui se révèle parfois plus chère et plus contraignante à l'utilisation que son pendant physique. L'arrêt UsedSoft/Oracle autorise bien la revente de licence, mais le cas jugé par la CJUE faisait référence aux seules licences octroyées sans limitation de durée et moyennant le paiement d’un prix, ce qui n'est pas identique au cas de steam.
L'UFC-Que Choisir compte sur le fait que le juge français saisira la Cour de justice de l'Union européenne dans le cadre d'une question préjudicielle, afin qu'elle donne son interprétation sur la possibilité, ou non, de pouvoir revendre une licence de jeu vidéo d'occasion dématérialisé. Si la question est effectivement transmise à la Cour de Luxembourg, la procédure sera stoppée en France le temps que la CJUE rende son verdict, ce qui peut réclamer de très longs mois. Autant dire qu'une telle procédure devrait susciter de nouvelles inquiétudes du côté du ministère de la Culture...
Justine Massera, nous explique également que les éditeurs sont majoritairement contre l'idée de permettre une telle revente. Un seul n'y voit pas d'inconvénient, tant qu'il peut s'assurer que les joueurs ne peuvent pas dupliquer les jeux et qu'il peut s'assurer de l'effacement des fichiers du jeu sur le ou les ordinateurs du vendeur, ce qui réclamerait un certain nombre de moyens.
Luxembourg ne devrait pas être la juridiction de référence
Enfin, l'association de consommateurs estime que les mentions faisant référence au droit luxembourgeois doivent disparaître des termes et conditions au profit de rappels directs du droit français. « Nous avons certes la même monnaie mais pas les mêmes droits ! Or qui pourrait imaginer que le consommateur français sera à même de manier la loi luxembourgeoise et défendre ainsi ses droits ? », claironne-t-elle.
Valve fait en effet parfois référence au droit luxembourgeois ainsi : « lorsque le droit du Luxembourg offre un degré de protection du consommateur inférieur par rapport au droit de votre pays de résidence, les lois sur la protection du consommateur du droit de votre pays de résidence prévalent. ». Problème, il est quasi impossible pour le consommateur lambda de savoir quand le droit de nos voisins ou le nôtre s'applique dans le cas d'un litige, laissant un boulevard à la plateforme pour arranger les choses comme bon lui semble.